Dorian Gray : une adaptation BD brillante du roman d’Oscar Wilde
Par Julie Cadilhac / Illustrations d’Enrique Corominas/ On a presque l’impression d’offenser Dorian Gray en le présentant. En effet, qui n’a jamais entendu parler de ce personnage fascinant d’Oscar Wilde? Qui n’a jamais rencontré du moins une de ses pâles répliques?
Fantômes dont le narcissisme exsude de chaque sourire, dont l’arrogance n’a d’égale que la beauté, dandies effrayants de charme, noceurs invétérés qui déciment tout ce qu’ils frôlent.Dans un supplément passionnant ; à la fin du volume, Enrique Corominas explique : » le portrait de Dorian Gray est un drame fantastique dont le thème principal est la moralité de l’art, qui établit un trait d’union entre la beauté et la responsabilité; c’est la chronique d’une corruption qui finit par détruire ce que l’on voulait sublimer ». Il faut d’abord ,modestement et humblement, reprendre les mots de celui qui a sculpté cette bande dessinée remarquable pour débattre sur cette notion de « moralité de l’art ». Basil Hallward est-il coupable d’avoir donné à Dorian Gray un visage sublimé, de n’avoir point connu que son modèle avait une bête atroce qui sommeillait en lui? Dorian Gray est-il coupable de profiter à l’envi de son pouvoir de séduction? Dans ce roman, le corrosif Oscar Wilde dépeint le tableau troublant d’êtres mis à mal par le génie d’un tableau. Basil Hallward, en représentant un modèle sublime, crée à son insu un monstre dont il ne peut mesurer toute la dangerosité. Dorian Gray, prince charmant des dames, est victime de sa beauté destructrice. Henry Wotton, Lord à l’âme libertaire, symbolise la tentation suprême, le serpent insupportable qui incite à la débauche et à la décadence. »Tout art est parfaitement inutile » disait l’auteur irlandais; il faut ainsi l’admirer pour ce caractère superflu. Mais l’art reflète le spectateur et non la vie et c’est là le coeur de cette tragédie. Le portrait de Dorian se modifie-t-il véritablement? Devient-il, rictus après rictus, cette grimace monstrueuse qui le conduit à s’auto-détruire? N’est-ce pas, peut-être et cruellement, son visage d’Adonis qui finit par le rendre fou tant il y devine, derrière la pureté des traits, toute l’horreur de l’âme? Dans ce cas, l’art est-il moral? Sans doute puisqu’il n’est que le reflet des consciences qui l’analysent.
Enrique Corominas a adapté brillamment ce célèbre roman et fait ressortir les problématiques soulevées par l’oeuvre avec élégance et pertinence. En divisant le récit en actes, il lui rend sa dimension théâtrale et chaque aphorisme est mis en valeur dans une vignette qui lui permet de s’épanouir librement. Graphiquement, il réussit à recréer une ambiance victorienne en s’inspirant de tableaux et sculptures d’époque mais en la sublimant de nuances de couleurs qui évoluent au gré des humeurs du personnage et en y définissant systématiquement une source de lumière pour illuminer d’ombres ou de clartés les lieux dans lesquels évolue Dorian Gray . Chaque vignette est un tableau à part entière, un canevas huilé de perfection. On est subjugué par la beauté impérieuse et inhumaine de Dorian, on vacille devant le corps tatoué et entrelacé d’un serpent de Sybil, on vibre le temps d’une valse étourdi par la foule des danseurs qui se pressent sur la piste, on secoue un mouchoir très loin en direction du matelot de frère qui part affronter la mer, on tremble sous la noirceur révélée d’un lampadaire insensible, on pardonne trop vite pour ensuite regretter, on blêmit lorsque le poignard menace et tue, on condamne et l’on meurt. Dans ce théâtre artificieux qu’est la vie amorale de Dorian Gray résonne la malédiction de l’homme qui a fait un pacte avec le diable. Rester jeune à tout prix, en voilà une idée malsaine! hurle le portrait vengeur. Sous les grâces funestes de la perfection sommeille un être nourri de haine et de rancoeur qui n’attendait qu’un prétexte pour dévaster tout autour de lui…Enrique corominas y ajoute le génie du pinceau et du scénario.
Un conseil? Résistez à tout sauf à la tentation de vous procurer cet ouvrage inutile!
Titre: Dorian Gray
D’après le roman d’Oscar Wilde
Auteur: Enrique Corominas
Editions: Daniel Maghen
Prix: 18 euros
> Les planches d’Enrique Corominas sont exposées à la galerie Daniel Maghen ( Paris)