Thierry Galibert : Toute la bestialité du monde

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Par Sophie Sendra –bscnews.fr / Il est parfois des auteurs que l’on a oublié parce qu’ils faisaient partie des « lectures de jeunesse » et correspondaient à des périodes d’interrogations et de curiosités sur le monde.
Dans une certaine mesure, Antonin Artaud fait partie de ces « Classiques » de la littérature, difficile à aborder, parfois même à comprendre, mais qui reste passionnant, curieux, et surtout qui est à relire avec tout le recul de la maturité.

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Philosophiquement parlant, l’œuvre d’Antonin Artaud est source d’apprentissage :  sur les multiples facettes du monde et sur ce qui nous qui permet de comprendre l’âme humaine.
L’ouvrage de Thierry Galibert nous ouvre les portes du génie et de toute la bestialité du monde.

La face cachée du monde

Dans La bestialité (Éditions Sulliver, 2008)
, Thierry Galibert expose toute la complexité d’un auteur, d’un poète, voué à se confronter au monde.
L’idée première est de se dire que la folie de Antonin Artaud est son seul et unique ennemi et que la « bestialité » dont il est question dans le titre est censée être « l’animal », la « bête furieuse » qui guide l’écriture et les emportements de ce révolté.
Au fur et à mesure, on s’aperçoit que « la bête immonde » n’est pas celle qu’on croit.
Le monde dans lequel vit l’auteur de L’Ombilic des Limbes n’en est qu’à ses débuts en matière de psychiatrie, de traitements de la folie avec toutes les aberrations d’interprétations, les cruautés « curatives » et les humiliations.
Ainsi, on en vient à se dire que la « bestialité » dont il est question n’est pas du côté où on l’imaginait et que la « folie » vient peut être de ce monde qui ne tourne pas rond. La perception est bousculée, le point de vue diffère quelque peu de la bonne morale qui exprime l’idée selon laquelle nous déterminons ce qui est normal et bon par rapport à ce/ceux que nous jugeons comme mauvais et différent(s).
Cela nous fait croire (et nous rassure dans le même temps) que notre monde occidental et moderne est supérieurement en avance par rapport aux autres : en un mot c’est un ethnocentrisme exacerbé.

La séparation des mondes

Si on regarde de plus près ce que dénonce Antonin Artaud c’est exactement ce que nous pouvons reprocher au nôtre, à notre cher XXIème siècle.
Nous séparons le monde en plusieurs catégories. Ce principe, issu du manichéisme, nous laisse croire que nous détenons la norme, le réel, la liberté et, par ricochets, la liberté et la démocratie. Les « autres mondes » sont relégués à des formes diverses d’aliénations politiques, culturelles et cultuelles.
Cette séparation des mondes pose le monde occidental en fer de lance de la vérité.
Mais il est possible d’interpréter les choses différemment si, et seulement si, nous nous réfléchissions dans un miroir capable de montrer que l’aliénation (l’attache par des liens ; se faire étranger à soi même) n’est pas forcément là où on le pense c’est-à-dire chez l’autre.

La solitude des mondes

A force de croire que la folie est chez l’autre on en oublie la nôtre. Déshumanisation,  politique aliénée par l’économie (alors que c’est l’économie qui doit servir la politique). Une moitié du monde qui veut maigrir pendant que l’autre veut manger, des marchés financiers qui s’enrichissent sur une crise financière, un désir de démocratie en opposition au monde des abstentionnistes.
La solitude des mondes vient de leurs oppositions, de l’inversion des pôles : l’évolution régresse. Le fou n’est pas celui qu’on croit.
Ce que dénonçait Baudelaire dans son poème l’Albatros (Les Fleurs du mal) est en substance dans cette solitude emblématique de l’auteur Artaud : l’écrivain veut toucher l’idéal, mais le monde le retient, le capture et le bouscule dans toute sa bestialité et sa violence.
En fait, dire que le monde est « bestial » reviendrait à dire qu’une « bête » sommeille en nous (ou qu’elle est déjà là). Terme péjoratif et insultant pour les bêtes elles-mêmes.

S’il fallait conclure

 

Être au monde c’est en supporter la réalité, les images, la violence, mais c’est aussi rendre une autre perception : celle d’une littérature qui révèle le vrai. Antonin Artaud est un classique, il n’est pas « poussiéreux » parce qu’oublié sur nos étagères. Il est au contraire moderne et lucide, lui qui avait un matricule : 262.602. Celui que l’hôpital Saint-Anne à Paris lui réserva lorsqu’il fut « admis » en psychiatrie en 1938. L’immatriculation des individus devint un réflexe de déshumanisation par excellence lors de la seconde guerre mondiale. Nous n’avons de leçons à donner à personne.

Thierry Galibert  » La bestialité  » – Editions Sulliver

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