Britna Svit : Une nuit à Reykjavik
Par Marc Emile Baronheid – BSCNEWS.FR / Britna parle peu de Lisbeth, obligeant à l’imaginer, qui en rêveuse dont le regard se perd constamment au-delà de la ligne bleue des Vosges, qui en aspirante vieille fille se desséchant lentement de l’intérieur.
Tous les chemins des cœurs en déshérence ne mènent pas au Club Med ; ses déambulations ont conduit Lisbeth à Buenos Aires. Rencontre d’Eduardo Ros. « Il portait une chemise blanche, un pantalon noir et des chaussures de danse. Et il avait quelque chose de luisant et d’insolent dans les yeux ». On le reconnaît de loin à sa démarche coulée, à son assurance de danseur de tango, habitué aux bras des femmes. Ouvrier le jour, taxi boy le soir. Un avatar du Jacky de Brel, devenu cavalier pour femmes vieillissantes.
Au moment de repartir, Lisbeth est prise d’une envie incongrue. Elle propose à Eduardo de la retrouver à Reykjavik, pour une nuit, en échange d’un billet d’avion et d’une gratification substantielle. Ros accepte. Curieuses retrouvailles islandaises, en plein hiver. « Il a changé. Enfin elle ne le voyait pas comme ce type en jean délavé, vieux col roulé, barbe de trois jours, yeux cernés, assis bêtement à côté de son sac à dos », une manière de rustre n’imaginant même pas le soutien-gorge de sa cliente, balconnet en tulle floqué gansé de velours, ni la culotte banale, mais idéale pour les fesses. Ses tétons ont durci lorsqu’elle se préparait, mais le soufflé est retombé depuis belle lurette. Elle a mis trop de rouge à lèvres. Sa peau ? Elle a l’âge qu’elle a ; pas question de se la faire retendre. Du moins pas encore.
Ça commence fort : Eduardo tire sur lui la couverture à carreaux et s’endort. Lisbeth, qui depuis toujours est soucieuse de l’ argent et même radine, regarde son sac où dort le cachet de l’artiste, dix billets de cinq cents euros. Elle a tout loisir de repasser le film de sa vie.
Le soleil tombe déjà l’après-midi ; la nuit prendra tout son temps. Lisbeth la voulait langoureuse, voluptueuse, mémorable. Qu’est-ce que le désir ? Une inaptitude. A la paix, à la satisfaction, à la satiété. Autrement dit une ambition, une ligne d’horizon, un leurre. En quelle part de nous-mêmes lui donnons-nous asile ? La meilleure ? La plus innocente ? La part de l’ange ou celle du démon ? La passion selon Britna : une illumination de l’innocence, peinte par Rothko.
La dernière phrase : « Et ce sera sans doute le commencement du monde » …
> Lire Une nuit à Reykjavik de Britna Svit
« Une nuit à Reykjavik », Brina Svit, Gallimard, 16,50 euros