Federico Mompou : le musicien du silence

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Par Damien Luce – bscnews.fr / « Ma musique, c’est mes mains. » Ce mot de Federico Mompou (1893-1987) explique peut-être l’hégémonie du piano dans son œuvre. Pour ce Catalan, la musique se fabrique sous les doigts. C’est un artisanat subtil et solitaire, dont le silence est la matière première, et qui se pratique à tâtons devant un clavier, les yeux fermés, mais les oreilles grandes ouvertes.

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Oui, au commencement de cette musique, il y a le silence, mais un silence habité. Un silence que Mompou aura tâché toute sa vie de faire parler, de nommer, sans pour autant le détruire. Les Música callada (Musique « qui se tait ») en sont l’exemple le plus abouti, mais pas le seul. Tel Prélude, telle Chanson, procèdent de cette même volonté d’exprimer l’indicible. Parmi les autres ingrédients du compositeur, on trouve un attachement à tout ce qui touche à l’enfance, le goût de la redite et de l’ostinato, celui du chant et de la danse, celui du folklore.
Enfance… On la trouve, certes, de manière avouée (Scène d’enfants), mais elle est omniprésente. Dans quasiment chaque pièce de Mompou, un enfant pointe son nez. Et la moindre mélodie a des accents de comptine. Écoutez la première pièce de Suburbis (La Rue, le Guitariste et le Vieux Cheval, n’est-ce pas là un titre de Conte enfantin ou de Fable ?), la première Chanson et Danse, le premier Prélude, on y trouve la fraicheur et la candeur des ritournelles de l’âge tendre. Mais pour illustrer mon propos, voici la première des Scènes d’enfants, Cris dans la rue : http://www.youtube.com/watch?v=nV8_-h6ccBE. Un joyeux tumulte d’accords, repris à mi-voix, puis la chanson commence, partagée entre l’impatience (trait si caractéristique du jeune âge) et l’insouciance. Petite pause, juste le temps de fredonner quelque chant populaire (« Un peu grossièrement », écrit Mompou), et l’on retrouve les accords de quartes du début. Les trois scènes suivantes sont des Jeux sur la plage (Et on notera que, contrairement à ceux de Debussy ou de Schumann, les enfants de Mompou ne sont pas confinés à une chambre.) Toutes trois sont lancées par un « Cri », point de départ d’une valse âpre et ombrageuse, entrecoupée de grandes rafales d’accords et d’embruns. Chacune a sa couleur, mais elles ont en commun je ne sais quelle mélancolie, quelle peine légère. Pour clore le cahier, des Jeunes Filles au jardin. Un court motif berceur, interrompu par de grandes exclamations stridentes, puis l’on retrouve la ritournelle de la première pièce : « Chantez avec la fraicheur de l’herbe humide ».
Ostinato… Ce mot désigne un procédé musical, qui consiste à répéter obstinément une formule, (et dans le cas de Mompou, on peut parler de formule magique…), que ce soit un rythme, une mélodie, ou même une suite d’accords, et qui sert en général d’accompagnement. Ce procédé est l’une des marques de fabrique de notre compositeur. On le trouve dans chacune des Scènes d’enfants évoquées ci-dessus. Mompou a besoin de la redite. Sa musique est sœur de l’incantation, à qui elle emprunte les inflexions lancinantes. Elle a toujours l’air de vouloir ensorceler quelque chose, à la manière des Charmes, recueil datant de 1921, et qui est sans doute la pièce maitresse du compositeur. Les titres parlent d’eux-mêmes : Pour endormir la souffrance, Pour pénétrer les âmes… Nous sommes bel et bien dans l’univers du sortilège et de la sorcellerie. Déjà en 1917, Mompou annonçait un goût pour l’occulte, avec ses Cants màgics (Chants magiques). Voici ces Charmes, interprétés par le compositeur lui-même : http://www.deezer.com/fr/#music/playlist/61901449.
Chant et danse… On a assez parlé du premier, voyons la seconde. Il suffit d’entendre les douze Chansons et Danses pour s’en convaincre : la muse de Mompou n’a pas la jambe dans sa poche, et ne se contente pas de s’adonner à la contemplation et à la psalmodie. On la trouve aussi dans les fêtes de village (voyez les Fêtes lointaines de 1920, l’Homme à l’Ariston de Suburbis), elle sait taper du pied, elle connaît l’ivresse du rythme et de la cadence. Voici, toujours par le compositeur, ces Cançons y Danses : http://www.deezer.com/fr/#music/playlist/61901901. Quelques mots sur la première, dont la Chanson est un petit miracle. Mompou a su y trouver l’équilibre exact entre le sensible et le sentimental, en créateur qui sait « jusqu’où aller trop loin ». Un brin de relâchement, et ce morceau tomberait dans la romance. Mais non, le fil de la beauté reste toujours tendu (ce fil d’or qu’Arthur Rimbaud a tendu « d’étoile à étoile »). La danse commence un peu rudement, puis s’attendrit, sans perdre son bourdon de quintes si caractéristique des danses paysannes.
Folklore… Mais un folklore citadin. Certes, Mompou fréquente volontiers la campagne (voyez les Paysages de 1942/1947), mais c’est à la ville que sa poésie se distille le mieux. Il y trouve cette « solitude des grandes villes » dont son œuvre est pétrie. Il est sensible aux sons et aux parfums des Faubourgs, ces faubourgs qu’il a dépeints dans un cahier de cinq pièces, Suburbis, dont voici le premier numéro : http://www.youtube.com/watch?v=svo1lrCd59c&feature=related. On y trouve tous les ingrédients évoqués plus haut : le fameux ostinato, les ritournelles enfantines, les pas de danse… Pour ceux qui souhaitent entendre le recueil dans son intégralité, voici la version de Jean-François Hesser (Erato) : http://www.deezer.com/fr/#music/playlist/61902983.
Peut-être parce qu’on n’est jamais si bien servi que par soi-même, Federico Mompou a enregistré une bonne partie de son œuvre pour piano (label Ensayo), nous donnant le privilège rare d’entendre sa musique telle que lui-même l’a entendue en l’écrivant. Citons également le bel enregistrement de Stephen Hough (Hyperion), contenant les Paysages, Charmes, quelques Chansons et Danses, les Chants magiques…

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