L’Autre Théâtre à la rencontre de la richesse de l’Autre

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Propos recueillis par Julie CadilhacPUTSCH.MEDIA/ Crédit-photo: Marie clauzade/ Interview de Fafa Serres, présidente, et de Marion Coutarel, metteur en scène pour L’autre théâtre qui produit depuis 15 ans de passionnantes aventures théâtrales qui veulent mettre en valeur la richesse de l’Autre. Elles présentent cette année avec 20 anim-acteurs: La vie en Chantier: Sylvie, Taha, Mohamed, Hugo, Matthieu, Morgan, Gilles, Laura, Julien, Aymeric, Charlotte, Pierre-Yves, Michelle, Jean Marie, Babeth, Tanarg, Marisa, Karine, Stéphanie, Ascension, Michael, Bruce, Denise, Médina et Vincent ont donc imaginé avec leurs animateurs comment faire vivre un chantier et en montrer le caractère éphémère comme celui d’un décor de cinéma. Alors si la réalité est là, avec ses marteaux piqueurs et ses expulsions en règle, chacun des êtres présents sur le plateau véhicule un morceau de rêve. On croise un Pierrot éthéré, un danseur de comédie musicale, une poupée virevoltant selon le caprice de son parapluie emporté par le vent, un sourire en fleurs, un gentleman d’un autre siècle, une femme mélancolique coiffée d’un béret…et même les êtres les plus pragmatiques ont leurs heures poétiques du maire autoritaire à la journaliste consciencieuse, des ouvriers du chantier à l’étranger à la valise! Ce chantier est l’occasion de laisser la parole livrer ses émotions, l’occasion de danser, de rire et chaque soir – l’improvisation étant une des reines du bal – est donc différent. Du rire à l’émotion, du clown à l’acteur, de la vie au cinéma, une réalisation à saluer avec des acteurs-amateurs très investis, une mise en scène qui s’adapte autant aux difficultés de chacun qu’ elle en met en valeur les atouts, et un public chaleureux qui affichait ce lundi 13 juin 2011 salle comble! Félicitations donc à toute la troupe!Comment est né ce formidable projet « L’autre théâtre »?Fafa Serres (présidente de l’Autre Théâtre):

L’autre théâtre est né de la rencontre de Robert Bedos (frère de Daniel),La vie en chantier Directeur de centre spécialisé, et de José Monléon le responsable de la fondation IITM à Madrid. Ils ont trouvé cette idée en 1996 pour promouvoir la culture pour les handicapés ainsi que les échanges internationaux. La première rencontre internationale s’est déroulée en Grèce et depuis tous les deux ans (environ) d’autres pays ont accueilli ce projet appelé par l’IITM , l’Ile au trésor. J’ai participé en tant qu’accompagnatrice de jeunes français à 4 rencontres , en Espagne (bénidorm et valence), en Bulgarie (varna), en France (Montpellier) et au Maroc (Casablanca). A chaque fois, des metteurs en scène du pays nous accueillaient ainsi qu’une troupe de 40 personnes (animateurs confondus) de nationalités différentes. En 2003, en Espagne, c’était ma première participation, en tant qu’animatrice à un programme de cette ampleur. Se retrouver avec des êtres de sept nationalités différentes, dans un pays étranger avec des personnes porteuses de handicaps très différents pour créer en 15 jours un spectacle , cela semble de la folie et pourtant cela fonctionne. C’est une vraie leçon de vie , de communication. Quand on se retrouve face à une personne handicapée, d’une autre nationalité et que la barrière de la langue devient un handicap de communication supplémentaire, on pourrait se dire « Que faire??? »…. et c’est la personne handicapée qui nous donne là les clefs de la réussite. Il faut aller à l’essentiel , c’est ce que eux font très rapidement et en trois jours ils se connaissent tous entre eux, alors que nous les animateurs ,il nous faut une semaine complète pour y arriver avec beaucoup de volonté. J’ai beaucoup appris en regardant Laura (trisomique) qui sait « capter » l’autre car elle passe directement par le coeur. Laura qui a compris que la véritable « Ile au trésor » c’est la richesse de l’autre. Cette année-là étaient présents pour la France Nicolas, Laura, Laurie et Jean-Marie. Le goût du Théâtre , de la représentation, n’est pas réservé aux personnes dites normales. La joie de tous les acteurs de l’Autre Théâtre durant les répétitions ou les représentations en sont une preuve. Donner la parole ou le geste aux personnes handicapées , nous a permis de voir, au fil des années des évolutions, des transfigurations. C’est une fabuleuse aventure de communication , dans le groupe , avec le public. Etre reconnu et admiré est un fabuleux moyen pour regagner l’estime de soi, la confiance qui va permettre d’étonner les autres, de sortir de ses limites habituelles, de trouver le geste , l’ajustement esthétique: un moment artistique. On pourrait croire que ceci est réservé aux personnes normales, mais cela fonctionne avec eux aussi , personnes psychotiques , autistes ou porteuses de handicaps mentaux. Ce n’est pas admirable, c’est normal, ce sont nos limitations à ne pas pouvoir concevoir cela , pour celui qui est singulier , qui sont anormales.. Voilà bientôt 15 ans que l’Autre Théâtre, permet cette rencontre entre deux mondes. Et c’est un grand bonheur.
La vie en chantierC’est une rencontre  » du spectacle et du médico-social »…Travaillez -vous, pour le spectacle, directement avec des médecins, des éducateurs…?
Fafa Serres: Les premières années d’existence de l’Autre Théâtre, le Président (Robert Bedos) assurait aussi la « direction Pédagogique » des ateliers, c’est le rôle qui incombe au Président d’une telle association . Je suis éducatrice spécialisée depuis plus de 25 ans et il me semble primordial d’assurer le « bien être » des acteurs, surtout quand on sait combien peut « remuer » l’action théâtrale. C’est pour cette raison que depuis trois ans maintenant nous insistons auprès de tous les établissements qui nous envoient les acteurs, pour que des accompagnants « fidèles » participent aux ateliers avec leur groupe ; ils sont de ce fait les « garants » des histoires personnelles des acteurs, et peuvent, le reste de la semaine, les aider pour leur rôle, les soutenir si des difficultés se présentent….et être le témoin de leur évolution. Ce sont les équipes pluridisciplinaires des établissements qui discutent de l’opportunité de la participation des personnes handicapées au projet théâtre, ensuite nous accueillons les intéressés sur 4 séances, ce qui leur laisse le temps de voir si « ça leur plait » ou non. Je n’ai vu , depuis 10 ans , que deux défections en cours de projet..
Ce groupe, composé de personnes d’handicaps différents, d’âges différents (de 14 à 60 ans cette année) fait preuve d’une tolérance et d’une si grande humanité que le « rejet » n’existe pas . Chacun comprend très vite , même sans mot , qu’il est accepté tel qu’il est , et que sa différence est un plus pour la troupe. Nous laissons la porte de nos répétitions très ouverte , qui fait la demande d’y assister se voit obtenir un grand oui…Nous accueillons des stagiaires en formation dans le médico social ou dans les arts du spectacle: chacun peut amener, son enthousiasme et ses idées.Parfois les psychologues des établissements viennent aussi. Beaucoup des acteurs sont issus de l’institution où je travaille (l’IME les Oliviers) et dans laquelle ils ont déjà participé à un atelier théâtre (la compagnie les Oliviers) présentant un spectacle chaque année. Quand ils doivent partir de l’institution , parce qu’ils ont vieilli, l’Autre Théâtre devient aussi un lien entre la nouvelle vie qui s’annonce à eux (avec ses angoisses de la nouveauté) et l’ancienne où ils ont beaucoup d’amis , de connaissances, et de références chez les éducateurs. J’ai vu , grâce à cela, des « transitions  » réussies, parce que ce lien est primordial chez eux.
Le spectacle se nourrit-il de cette réalité médicale? Y-a-t-il une réflexion artistique avec vos comédiens sur lesLa vie en chantier thèmes de la mobilité, de la parole etc….?
Marion Coutarel (Metteur en scène de La vie en chantier): Cela fait plusieurs années maintenant que je travaille en tant que metteur en scène auprès d’adultes et enfants handicapés mentaux, ainsi qu’en hôpital psychiatrique. La réalité médicale est là, enrobante,englobante mais elle ne contraint en rien mon travail. Je suis auprès d’eux en tant qu’artiste pour faire mon travail du mieux possible. Ils sont acteurs sur scène, ils sont artistes. Bien sûr, ensuite, je suis disponible pour discuter avec les éducateurs mais finalement ça prend très peu de place, nous avons tellement à faire pour créer le spectacle que cela prend toute notre énergie lors des répétitions. Je sais que de leur côté quand ils retournent dans leur foyer ou institution, les retours sont très importants. C’est bien comme ça. L’Autre théâtre est la preuve que le théâtre est un outil thérapeutique? Avez-vous une anecdote, une expérience à nous citer?
Marion Coutarel: Je ne sais pas si l’on peut parler d’outil thérapeutique et ce n’est surtout pas à moi de le dire. Je sais seulement ce que le théâtre m’apporte depuis 14 ans que je fais ce métier et comment ça me nourrit et me donne l’envie de le partager, de le vivre avec d’autres. Voilà ce que m’a dit Bruce, notre plus vieil acteur, lors de la dernière répétition :  » Vous avez permis à ma personne de me dompter. Au début je ne m’en suis pas aperçu, vous êtes plutôt coulante comme metteur en scène. Puis ça m’est apparu. Je suis content. Je continue le théâtre. C’est important, ça coupe la semaine. J’ai 60 berges etLa vie en chantier 3 ou 4 jours et je ne me sens pas très vieux, je peux en faire des choses. « . L’année dernière, il pouvait arriver que Bruce fasse des crises en répétitions, cette année, il vient me voir, me dit comment il se sent et on voit ensemble. Le fait d’assister à ça, au-delà de la complicité que cela crée entre nous, c’est quelque chose de très fort. Je laisse soin aux personnes soignantes qui le voient vivre de décider si cela est thérapeutique. Ce qui est certain, c’est qu’il y a quelque chose en lui qui fait qu’il se surpasse et ce qu’il donne sur scène est à chaque fois nouveau, improvisé et en même temps dans la veine de ce que l’on cherche. Il nous éblouit et il le sait. Son « domptage » lui donne une présence scénique indomptée. Je ne connais les acteurs de l’Autre Théâtre que depuis deux ans mais être attentif à l’évolution de leur présence scénique est un vrai plaisir. Bien sûr, pour certains il y a moins d’évidence que pour d’autres, mais il y a toujours quelque chose à en dire.
Cette vie en chantier, c’est une invitation à s’ouvrir à l’Autre. Une façon de montrer que notre existence n’a rien de linéaire et de simple et que la diversité des chemins justifie la diversité des êtres? Une incitation à modifier nos perceptions des choses?

Marion Coutarel: L’an dernier, nous avons travaillé sur les mythes et les personnages de la mythologie, nous nous sommes envolés loin de la terre. Cette année, nous avons eu envie d’atterrir et d’aller s’y frotter, justement, à la terre. Le chantier nous parle de changement, de perte de repères, du passé et de l’avenir. Il nous parle de la ville, des rencontres et de l’anonymat, de la politique aussi.
La vie en chantierEst-ce une juxtaposition de moments poétiques ou y-a-t-il une véritable intrigue?
Marion Coutarel: Ni l’un, ni l’autre et les deux. Dans ma façon de travailler, ce sont les acteurs qui créent à partir d’une situation, d’un objet, d’une matière textuelle. Ensuite, je fais un travail de montage des différents moments, je laisse reposer et le mets à l’épreuve du plateau. Un déroulé se tisse, s’ajuste selon ce qui devient sa propre logique.
Travaillez-vous avec vos comédiens comme avec des professionnels? Ou y-a-t-il davantage de souplesse?
Marion Coutarel: La direction d’acteur me passionne. Aux débuts du Théâtre de la Remise, les quatre acteurs que nous étions ont passé beaucoup de temps à s’interroger, à voir comment nourrir l’acteur, comment lui faire contourner ses blocages, ses limites, comment faire de ses failles une force scénique. Il s’agit avant tout de partir de l’acteur et du processus créatif sans essayer de plaquer un résultat. Le travail que je mène avec les acteurs de l’Autre Théâtre est le prolongement de cette recherche.
La vie en chantier va-t-elle être représentée ailleurs qu’au Printemps?
Fafa Serres: Certains des acteurs de l’Autre Théâtre sont là depuis aussi longtemps que moi: 10 ans de création, de spectacle, parfois dans des conditions assez rocambolesques, sous la grosse chaleur ou sous la pluie (comme l’an passé pour la dernière représentation), sous chapiteaux (ronds ou carrés), dans les oliviers, dans le bassin, dans l’amphithéâtre d’Ô, devant le Château, dans l’espace Micocouliers, au théâtre d’Ô . L’Autre Théâtre doit être la seule troupe qui, au Printemps des Comédiens, a joué dans tous les lieux possibles! Je travaille aussi pour que ces jeunes puissent accéder à leur passion , par le Cabaret - La vie en chantierbiais d’un ESAT (Etablissement spécialisé d’aide par le travail) . Nous travaillons actuellement à l’ouverture de « LA BULLE BLEUE  » qui dès septembre pourra accueillir, ces acteurs là (et d’autres), les former et leur donner l’opportunité de faire de leur passion leur métier. Pour aider à l’ouverture de la BULLE BLEUE, l’Autre Théâtre s’est proposé de recréer en partenariat avec la bulle , LA VIE EN CHANTIER, pour que d’une part ce spectacle continue à vivre , et pour qu’il puisse être développé. Nous mettrons , dans les feuilles de salle du Printemps des Comédiens , avec leur accord, un foyer d’information et de recueil des idées de diffusion. Donc Oui LA VIE EN CHANTIER sera rejoué, mais pour le moment nous ne savons ni où, ni quand…

Au Printemps des Comédiens du 12 au 14 juin 2011
Et Ici, Le blog de L’Autre Théâtre et les commentaires des spectateurs de cette vie en chantier: : www.autretheatre.blogspot.com

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