Laisser faire une Démocratie en marche

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Par Sophie Sendra – BSCNEWS.FR / Il y a quelques mois de cela je parlais avec sérieux d’un livre extrêmement intéressant par son contenu et par les personnalités qu’il mettait en avant, L’Émergence de l’Afrique, Regards croisés de Paul Biya, Abdoulaye Bio Tchane et Youssou N’Dour (Entretiens avec Christian Malard et Florence Klein-Bourdon), aux Cherche Midi Éditions.
Cet ouvrage retraçait les différentes avancées du continent africain depuis l’indépendance, il y a cinquante ans, de dix-sept pays. Ces entretiens mettaient également en lumière (avec le Président du Cameroun, l’ancien ministre du Bénin et l’auteur-compositeur et interprète sénégalais) les difficultés qu’avaient parfois ces pays à accéder à une démocratie telle que nous la connaissons dans les pays occidentaux.
Les préjugés et la doxa publique voudraient faire croire, quelques fois, que ces difficultés viennent exclusivement d’une incapacité « sociétale », voire continentale, à s’adapter aux principes démocratiques.
Or, à la lecture de cet ouvrage, nous pouvions découvrir les bouleversements auxquels ont dû faire face ces pays accédant à une liberté bien méritée et légitime : problèmes économiques, indépendance et organisation du « multipartisme », adaptation des populations face aux changements de gouvernance etc.
La conclusion de cet ouvrage nous laissait à penser que cinquante ans de changements ne pouvaient amener ces pays à l’acquisition pressée et pressante de ce que nous, nous avions mis plus de deux siècles à obtenir c’est-à-dire une démocratie telle que nous la connaissons aujourd’hui (après 1789 nous sommes tout de même passés par une période, la Terreur, puis par un Empire, revenant ainsi à ce qu’on peut associer à une forme de Monarchie absolue etc.). La patience est nécessaire.

Ceci n’est pas un livre

En écho à cette publication, nous pouvons citer « l’ouvrage » publié il y a peu, Crimes et Fraudes en Côte d’Ivoire de Roland Dumas et Jacques Vergès (aux Éditions Édite, 2011), suite logique d’un battage médiatique du déplacement sur place de ces deux briscards du barreau : retour fracassant et très critiqué de cette défense du Président Laurent Gbagbo ou devrions-nous dire « ancien Président de Côte d’Ivoire ».
Ce qui créa la réaction intestine des critiques et des ivoiriens eux-mêmes, c’est ce soupçon de « relations-ingérences » de ce que l’on appelle la Françafrique.
Relations ambigües, sous-jacentes, rampantes, politico-économiques dans lesquelles on peut supposer une envie irrépressible du Nord de continuer à détenir des intérêts dans le Sud, à gouverner sans le dire.
« L’ouvrage » de Roland Dumas et de Jacques Vergès n’est pas un livre, mais un dossier d’accusation, une plaidoirie en faveur de Laurent Bagbo. Un dossier à charge, pièces à l’appui, qui mène à la possibilité d’une manipulation électorale de la part du camp adverse celui de l’actuel Président Alassane Ouatarra.
Mais quel est le but de cet « ouvrage » ? Défendre cette thèse de manipulation des élections ? Redonner à Laurent Bagbo une stature perdue par une attitude d’acharnement à garder un pouvoir dont il n’était pas détenteur à vie ?
Une envie d’ingérence de deux avocats français ? Comme s’il n’existait pas d’avocats en Côte d’Ivoire suffisamment « forts » pour défendre un Président déchu.

Croire en la Démocratie

Accepter la Démocratie c’est accepter ses aléas de construction. Il faut accepter que les pays d’Afrique n’en soient qu’aux prémisses de leur création.
Il faut dire que les pièces données par les deux avocats sont troublantes, les photos parlent d’elles-mêmes, les explications sont très claires et les rôles donnés à chacun des noms cités nous éclairent sur le fonctionnement politique de la Côte d’Ivoire.
Mais qu’aurions-nous dit dans la période de construction de notre propre démocratie si au XVIII°, au XIX° siècle et jusqu’à la moitié du XX°siècle, certains pays avaient envoyé des émissaires dénonçant des malveillances électorales ?
On attend désormais les ouvrages suivants, ceux dénonçant les supposées malveillances démocratiques des ex-pays de l’Est. Les meurtres « supposés » d’opposants politiques trop bavards. Peu de chance que de telles publications voient le jour. Nos deux auteurs ne semblent pas s’y intéresser.
Pourquoi l’Afrique et cette ingérence permanente ? Ça n’est pas une ingérence politique de la part des deux auteurs, mais une ingérence tout de même.
Même si les deux briscards ont raison dans leurs allégations et dans la défense de leur client, la seule ingérence possible est celle qui sert à protéger les populations contre un massacre éventuel.

Laisser faire une Démocratie en marche

Pour éviter toutes les petites phrases d’une inexactitude philosophique et ethnologique qui tendaient à vouloir faire croire que « l’Afrique n’était pas rentrée dans l’Histoire », il faut redire que l’Afrique est dans l’Histoire depuis toujours puisqu’elle a constitué la nôtre, dans nos origines propres.
Certes, le système du « Chef emblématique » est une des pièces fondatrices de la création sociale de ce continent. Certes les frontières ont été créées par nos ancêtres, colonisant ce qui pouvait l’être sans comprendre les particularités ethniques, fleuretant ainsi avec « l’erreur humaine » au sens propre, celle d’une négation totale de l’Autre.
Le « Chef emblématique » est l’une des sources de difficultés rencontrées ici et là dans le processus démocratique : il est à la fois, guide spirituel, chef de la tribu et législateur. Lorsque la démocratie s’installe (principe inhabituel, historiquement, pour les pays africains) elle a besoin de temps pour être acceptée, comprise par les populations. Principe vis à vis duquel nous avons eu également à nous adapter après la Révolution Française.
L’erreur de Laurent Gbagbo a été de ne pas avoir laissé sa place en proclamant, par la suite, les irrégularités possibles, se défendant ainsi politiquement et juridiquement. Appelant le peuple à accepter la défaite de son camp et à combattre les idées (et seulement elles) de son adversaire.

S’il fallait conclure

Ce livre qui n’est pas un livre nous dit ce que nous pouvions soupçonner, c’est-à-dire une possible « problématique démocratique », une possible ingérence dans les affaires politiques et économiques en Côte d’Ivoire. Il ne faudrait pas que cela devienne une habitude, celle du « chevalier blanc » sauvant sa « belle Afrique ». Cette dernière a le droit à son émancipation et à l’apprentissage de ses erreurs.

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