Mathias Malzieu

Mathias Malzieu: une plume singulière pour une aventure médico-onirique en bord de ciel

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Partagez l'article !Interview de Mathias Malzieu/ Propos recueillis par Julie Cadilhac– PUTSCH.MEDIA/Quels ponts plus ou moins visibles, plus ou moins conscients, existent-ils entre les oeuvres d’un même auteur? Ces fils tissés au sein des personnages, des situations, sont les empreintes indicibles d’une écriture qui séduisent les lecteurs fidèles. Jack. Tom Cloudman. Deux personnages aussi touchants […]

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Interview de Mathias Malzieu/ Propos recueillis par Julie CadilhacPUTSCH.MEDIA/Quels ponts plus ou moins visibles, plus ou moins conscients, existent-ils entre les oeuvres d’un même auteur? Ces fils tissés au sein des personnages, des situations, sont les empreintes indicibles d’une écriture qui séduisent les lecteurs fidèles. Jack. Tom Cloudman. Deux personnages aussi touchants qu’atypiques, nés de l’imagination florissante de Mathias Malzieu, dans La mécanique du coeur et Métamorphose en bord de ciel, ne manquent pas de « différences convergentes » qui méritaient d’être débattues. L’occasion aussi de discuter justement autour de son dernier roman, Métamorphose en bord de ciel, qui nous entraîne dans une aventure médico-onirique surprenante où une femmoizelle, offre à un de ses malades, grignoté de l’intérieur par une betterave coriace, une possibilité de guérison. Un pacte faustien où le diable a un sourire d’ange, des jambes délicieusement sexy et couvre le monde de douces plumes carmin. Comme un enfant à la veillée, on se laisse emporter dans un monde où les enfants-lune apprennent à redevenir des enfants, où les enterrements ont des airs de carnaval et où la fantaisie est la seule reine contre laquelle la Faucheuse ne peut rien. Si le chanteur du groupe rock français Dionysos met en lumière des personnages sensibles et écorchés, on sent pourtant battre la vie dans chaque ligne de ses récits. Tom Cloudman, pourtant condamné onomastiquement à disparaître dans les nuages, est une figure de résistance à la maladie qui réchauffe le coeur. Rencontre avec une plume singulière, une imagination séduisante et un être fort sympathique.

 » J »ai besoin de fantasmer les choses. Mon document, c’est le souvenir »(Mathias Malzieu)


Tom Couldman est une figure fantasmée de vous-même, amateur de sensations fortes ( longboard, saut à l’élastique)?

Tous les personnages que l’on écrit, en livres ou en chansons, sont toujours une part d’ autobiographie émotionnelle. Même si je ne raconte pas ma vie au sens propre avec ce personnage-là, dans ce qu’il ressent il y a une projection, une exagération de mes peurs, de mes rêves, de mes envies.

Dans quel genre classeriez-vous vos écrits…plutôt contes ou romans fantastiques?
Maintenant qu'il fait nuit sur toiJe ne sais pas trop..c’est votre travail à vous de classer, non? ( rires) Le mien, c’est d’écrire quelque chose et je ne me dis jamais par exemple  » je vais faire un conte pour grands enfants! ». J’essaie juste de trouver la forme qui exprimera le mieux ce que j’ai à donner, à partager et il y aurait un peu de cynisme, il me semble, à vouloir trop cloisonner de ma part. Après quand on définit mes histoires de « contes pour grands enfants » , je suis assez d’accord mais mon idée de départ, c’est de raconter une histoire qui fait un petit peur et qui fait rêver mais qui, pour cela, doit aussi être connectée à une certaine forme de réalité.
Métamorphose en bord de ciel semble répondre à la mécanique du coeur lorsque Georges Méliès explique à Jack  » Si tu as peur de te faire mal, tu augmentes les chances, justement, de te faire mal. Regarde les funambules, tu crois qu’ils pensent au fait qu’ils vont peut-être tomber lorsqu’ils marchent sur la corde raide » […] Si tu passes ta vie à faire attention de ne rien te casser, tu vas terriblement t’ennuyer, tu sais »… on pense à Tom qui, lui, ne ménage pas ses expériences périlleuses et n’a pas peur des bleus. Jack représente la prudence, Tom incarne la folie?
Inconsciemment forcément, il y a toujours des obsessions qui reviennent, de chanson en chanson, de livre en livre….après, selon l’humeur et ses lectures du moment, ça prend une forme différente mais on raconte toujours plus ou moins la même histoire finalement. Ce n’est pas du tout une fatalité, je pense qu’on sculpte de mieux en mieux la matière première que l’on a pour lui donner meilleure forme, meilleur goût; on peut cuisiner des centaines de fois les spaguettis bolognaises et s’améliorer. Par contre, consciemment, par exemple, je fais revenir le personnage de Giant Jack dans Métamorphose en bord de ciel en grand-père d’Endorphine mais c’est un fait de récit. Dans la sensation et la caractérisation des personnages, ce n’est pas fait exprès. D’ailleurs, s’il y a du Méliès dans Tom Cloudman, il y a du Jack aussi. Si Jack n’est pas un casse-cou aussi systématique que Tom Cloudman, c’est peut-être simplement parce qu’il a encore quelque chose à gagner; il a un coeur qu’il peut mettre en danger, il est très jeune, il est en train de tomber amoureux mais il n’est pas au pied du mur. Tom Cloudman, c’est un peu Jack plus tard et il n’a plus rien à perdre d’où ses choix plus radicaux. Ces personnages sont très très proches car ils sont passionnés, fragiles et qu’ils ont besoin de se fabriquer leur propre réalité pour arriver à supporter la réalité.
La mécanique du coeurIl y a dans cette mécanique du coeur, la même idée terrible du paradoxe amoureux que dans La peau de chagrin de Balzac: l’amour tue car il est fait de désirs à assouvir…Il semble y avoir dans la vision de l’amour une évolution dans Métamorphose en bord de ciel: si l’amour peut tuer Jack, elle sauve Tom…
C’est une façon de sauver…ce n’est pas aussi catégorique que cela. Tom est transformé en oiseau mais il a perdu une part de son humanité, sa mémoire et sa parole. Alors ça lui convient parce que ça flatte une partie de sa personnalité et que ça le sauve de la mort absolue; il devient un oiseau et quelque chose en lui reste. Mais, d’une certaine manière, ça le tue aussi parce que, peut-être, que s’il s’était juste voué aux traitements au sein de la journée et de la doctoresse au sens médical du terme- il y a des gens qui guérissent de cancer même quand on leur dit que c’est incurable – il aurait pu rester un homme…sauf que c’est un personnage extrême qui ne supporte pas l’hôpital; son choix c’est donc l’aventure qui est presque vitale pour lui. Ce serait donc un peu rapide de dire que ce coup-ci l’amour sauve.
La fragilité de la vie et de l’enveloppe charnelle semble un thème récurrent: tendance à l’hypocondrie de l’auteur? Ces deux livres sont des pied de nez à la mort?
Je ne sais pas s’il y a de l’hypocondrie, peut-être un peu. Dans la vie, je ne suis pas quelqu’un de souvent malade et qui fait gaffe au moindre symptôme etc mais par contre la maladie me fait peur dans le sens où, comme le personnage, elle pourrait m’immobiliser, m’empêcher de faire tout ce que j’ai envie de vivre et d’apprendre. En ce sens-là, donc oui…et pied de nez à la mort, tout à fait. Tous les livres, tout acte créatif sont un pied de nez à la mort parce que c’est une façon de ralentir le temps, de fixer quelque chose et c’est travailler à de l’impalpable donc contourner la mort à chaque fois.
La métamorphose est d’abord un thème antique décliné notamment par Ovide mais aussi dans la nouvelle de FranzMétamorphose en bord de ciel Kafka où Grégoire Samsa se transforme en un monstrueux insecte….Aviez-vous lu certaines de ces histoires? vous ont-elles directement inspiré?
Kafka, je l’avais lu il y a très longtemps…peut-être que ce sont des réminiscences. On me parle beaucoup de L’écume des jours aussi pour ce livre-là…par contre c’est vrai que, lorsque j’ai fait des recherches pour ce bouquin, je me suis replongé un peu dans Ovide. Ovide, c’est le côté mythologique qui m’intéressait et qu’il m’amusait de détourner. En même temps, lorsque j’écris, je ne veux pas trop me documenter. J’aime prendre plaisir à lire des choses qui infusent en moi ou pas. Pour La mécanique du coeur, je suis allé à Edimbourg mais je n’ai pas eu besoin d’y retourner pour prendre des notes etc…je ne fais pas de recherches documentaires. J’ai besoin de fantasmer les choses. Mon document, c’est le souvenir. Même s’il est transformé par un fantasme, ce n’est pas grave et même au contraire, ça me permet de styliser mes personnages et les endroits dans lesquels je les fais évoluer.
L’existence de ce bord de ciel aux possibilités oniriques infinies joue sur l’ambiguïté…le lecteur ne sait pas vraiment si ce monde existe ou pas…
Exactement. Dans mon premier roman ( Maintenant qu’il fait tout le temps nuit sur toi), on commence vraiment dans le réel de manière assez dure avec un deuil et il y a l’apparition du surnaturel qui arrive de manière brutale avec un géant de 4m50 qui débarque et là, clairement, ça existe peut-être dans la tête des personnages mais on distingue, d’un côté le réel ,d’un autre côté un autre monde: c’est très cloisonné. Dans La mécanique du coeur, on part sur une logique de conte. D’entrée de jeu, il y a des faits surnaturels: des oiseaux gelés tombent du ciel (même s’il y a eu , depuis, en Arkansas, des oiseaux dans une tempête qui sont tombés du ciel , en vrai!), on met une horloge à coucou à la place du coeur du personnage principal. On se reconnecte à une forme de réalité presque sociale quand on arrive dans le cabinet de Madeleine avec tous ses patients et on retourne dans le réel comme ça. Sur Métamorphose en bord de ciel, je voulais travailler sur cette limite fragile entre le réel et le fantastique mais de manière différente. Je voulais que ça commence dans le réel: même si le personnage est un peu surréaliste, ça pourrait exister quelqu’un qui serait le plus mauvais cascadeur du monde qui partirait en tournée dans un cercueil à roulettes, ce serait étrange mais pas impossible. L’arrivée du surnaturel, je souhaitais qu’elle se fasse de manière ambigüe; je voulais qu’on se demande :est-ce que c’est lui qui le pense ou est-ce que ça existe vraiment? et qu’on puisse aborder le texte des deux côtés pour que l’imaginaire et la réalité ne fassent plus qu’un et qu’on accepte tout ce qui se passe sans se dire: ça c’est le réel, ça c’est l’imaginaire. En même temps, au moment de l’écriture, moi en tant qu’auteur j’y crois…. qu’il y a la volière et à cette fille qui se transforme en oiseau mais j’aime l’idée qu’il y ait l’ambigüité.
Ce récit suscite, par de nombreux aspects, une réflexion mystique. Vous abordez notamment la notion de réincarnation. Tom Cloudman se demande si, en devenant oiseau, son cerveau va rapetisser: sa réincarnation nécessite le sacrifice de sa condition d’humain qui pense….
A partir du moment où le personnage accepte sa métamorphose, il va y avoir des conséquences. Il passe un pacte faustien avec cette femmoizelle- et un peu avec lui-même aussi -et il y a l’enjeu de son humanité qui se joue alors. Forcément, il y a toujours des petits lignes dans le contrat qui déplaisent mais ce qui fait l’intérêt d’un récit, c’est qu’il y ait une forme de combat car même si l’on raconte des choses un peu fantastiques ou fantasmées, on parle de la vie et dans la vie, à chaque fois qu’on prend une décision, on perd quelque chose en prenant autre chose. Depuis notre naissance, on perd des choses mais on apprend aussi. Un livre doit être le reflet de cette réalité avec toutes les belles choses que l’on peut trouver à l’intérieur, ça n’est pas un constat de fatalité, c’est juste l’ordre des choses. On grandit, on vieillit, on perd l’innocence, on perd la forme alors c’est à nous, après, de se bagarrer pour gagner d’autres choses.
Dans des Fleurs pour Algernon de Daniel Keyes, un personnage aussi se voit confronter à perdre ses facultés mentales comme Cloudman: Charlie Gordon, arriéré mental et une souris, subissent une expérience génétique et deviennent des génies jusqu’au jour où Charlie voit la souris décliner et se voit condamné à retrouver cette débilité mentale des débuts…

C’est un bouquin qui m’a beaucoup plu. La différence avec Tom Cloudman c’est que Charlie Gordon a déjà été arriéré mental. C’est comme si Tom Cloudman avait déjà été oiseau et qu’il savait que lorsqu’il était oiseau, il pouvait voler, il était libre etc mais que, par contre, il ne se rappelait plus de rien, il ne savait plus parler et qu’il ne reconnaissait plus personne…et qu’à un moment donné, il était devenu humain et qu’il fallait maintenant qu’il redevienne un oiseau. Là, on serait dans une logique à la Algernon. Mon personnage est étrange et humain, il a des rêves un petit peu trop hauts pour lui ce qui fait qu’il lui arrive des conneries mais il est dans l’inconnu donc il a plus un rapport à l’inconnu , à l’aventure qu’un  » Oh putain, c’est ça, il faut que j’y retourne et je n’ai plus le choix » comme pour Charlie Gordon.
C’est aussi un livre qui fait l’apologie de l’instinct animal qui sommeille à l’homme…ce qui le sauve, c’est cet instinctif besoin de survie qui lui fait décrocher son cathéter, l’incite à refuser le milieu médical aseptisé etc…

Tout à fait. Pour moi, on perd beaucoup trop ça dans nos sociétés actuelles…tout est une question de dosage, évidemment, je ne dis pas qu’il faut qu’on retourne à l’état sauvage et que l’on aille courir tout nu dans la forêt mais je pense qu’on pourrait vivre mieux un peu plus en phase avec nous-mêmes, sans prétendre donner de leçon à qui que ce soit. Je ne dirais pas qu’il faut se laisser aller à ses instincts animaux puisque sa propre liberté s’arrête là où commence celle de l’Autre mais être conscient qu’on a une part très animale en nous et ne pas la confiner, l’éteindre et ne jamais l’utiliser. Il y a plein de lieux où peuvent s’exprimer ces parts animales ou enfantines qui s’appellent la création, le sport, le voyage, les rencontres…et moi, j’ai besoin de libérer cette part animale qui est très très forte.
Parlez-nous de cet enfant lune, l’ami complice de Tom Cloudman…

J’aimais bien l’idée que tous mes personnages se transforment. Au début, cet enfant-lune a sa maladie et un comportement d’adulte, même s’il a des petits rêves et qu’il voit Cloudman comme un super-héros. Il est presque plus responsable que Tom Cloudman mais à la fin, en se métamorphosant en Tom Cloudman ,il se reconnecte à ses rêves d’enfant malgré la maturité obligatoire que lui donne sa maladie. Il y a un personnage qui évolue de la même façon, c’est Pauline qui, au début, est à la limite de la caricature de la vieille infirmière aigrie, fan de sudokus et de séries télévisées, et qui, finalement, a aussi sa part d’enfance et d’animalité qui s’exprime au fur et à mesure. J’aime bien l’idée que mes personnages évoluent. Cloudman, celui qui est rigolo, l’aventurier déglingué qui n’arrête pas de se casser la gueule, termine dans une phase quasi mystique, Pauline de chiante devient extra rock’n roll , Endorphine passe de l’infirmière au rôle de mère en passant par le fantasme féminin…
S’envoler, à la fin, c’est aussi quitter le nid douillet et protecteur d’Endorphine…qui est à la fois une maîtresse, la mère de de son futur enfant et une mère pour Tom Cloudman, non?
Pour moi, dans une vraie histoire d’amour – je ne parle pas d’un coup de foudre ou d’une passade- dans une histoire qui se construit, on passe par tous les rôles. Après , évidemment, c’est toujours une question de dosage mais la femme, l’amoureuse, c’est aussi la meilleure amie, la mère ( la mère de l’enfant mais aussi sa propre mère) etc…. comme l’homme doit avoir une dimension un peu paternelle aussi, mais en même temps complètement enfantine pour rester sexy aussi..les choses doivent bouger. Plus il y a du composite dans les livres et dans la vraie vie , mieux c’est pour moi. Les gens qui sont caractérisés dans une seule boîte me font très peur parce qu’ils sont très carrés et les exécutants me font très peur, ceux qui sont systématiquement d’accord pour faire ce que dit l’autorité au dessus tout le temps et ….sans jouer au rebelle à deux balles non plus. En ce moment je suis en train de réaliser un film d’animation et l’idée, c’est de changer la caméra de place à plein de moments . Ainsi, on ne voit pas les choses de la même manière selon le point de vue. Dans ma vie, de même, j’essaie de changer de focal tout le temps en écrivant des livres, des chansons, des fois c’est dur et des fois je n’y arrive pas mais j’y apprends toujours à quel point j’ai beaucoup à apprendre tout le temps….
Vous vous entourez de formidables dessinateurs pour vos couvertures et c’est presque troublant tellement leurs univers collent au vôtre….Leur choix s’est-il fait toujours après l’écriture d’un roman? Nicoletta Ceccoli, par exemple, dessine des princesses hybrides, des Endorphine. Elle mêle le sublime au monstrueux…un peu comme vous.

J’ai rencontré Nicoletta sur La mécanique du coeur et c’est elle qui a fait tous les dessins du film et sans trop intellectualiser, j’adore ce qu’elle fait tout simplement. Effectivement on a une sensibilité en commun qui est ultra évidente. L’histoire de La mécanique du coeur, le thème de Métamorphose l’ont séduite et elle me rend toujours au centuple ce que je lui propose.
Le mot de la fin sur vos actualités?
Il y a l’adaptation de La mécanique du coeur avec le groupe Dionysos pour octobre 2012 si tout va bien. Et puis toujours ce livre-là que je défends encore au Marathon des mots à Toulouse, au Forum de la FNAC à Marseille etc…, et je suis en train de composer le nouvel album du groupe. L’année prochaine, il y aura à nouveau Dionysos, avec certaines chansons connectées à ce livre-là autour des oiseaux platinis, de Tom Cloudman et sûrement aussi sur le Dreamscope, l’appareil qui prend des photos des fantômes et de rêves, et puis des chansons autres aussi. Déjà des idées pour un prochain roman mais j’essaie de me calmer parce que ça fait beaucoup….
Crédit-photo: Arnaud Février/ Flammarion
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