Interview d’Antoine Wellens ( metteur en scène) et Marie Reverdy ( dramaturge) de la compagnie Primesautier Théâtre – Propos recueillis par Julie Cadilhac– PUTSCH.MEDIA/ Parlez-nous de la Compagnie Primesautier: quels sont les principes théâtraux et les objectifs qu’elle s’impose?
Le Primesautier Théâtre a été créé en novembre 2003. La recherche d’un langage théâtral commun entre les membres de la compagnie nous a permis d’évoluer vers une expérimentation autour de la création contemporaine. Nous plaçons l’écriture, la mise en scène et le jeu comme trois éléments égaux et autonomes à superposer et hybrider au risque même qu’ils s’annulent. Retrouver, pour un temps, le zéro afin que se forme alors un terrain propice au jaillissement et à l’évocation.
Quelles méthodes utilise votre compagnie pour s’imprégner d’un univers théâtral?
Le Primesautier théâtre souhaite désormais construire sa dynamique de travail et ses choix esthétiques selon un processus théâtral global, alliant actions sur différents territoires et son propre travail de mise en scène. Il envisage l’acte de création théâtrale comme un ensemble cohérent d’actions culturelles et artistiques autour d’une même thématique ou d’un même auteur, créant alors, dans le temps, un système d’enrichissement mutuel et culturel.
Nous souhaitons que La Vie de Galilée dépasse le strict cadre de scène en construisant autour de cette œuvre plusieurs manifestations artistiques et thématiques. Nous tenons à œuvrer sur différents territoires, rencontrer différents publics, et explorer les différents rapports scène-salle. L’échauffement de ces enrichissements mutuels et intimement liés les uns aux autres aboutira à la naissance, autour de l’étoile galiléenne, d’un véritable système de sens par la mise en orbite de toutes ces activités.
Brecht nous livre, dans sa Vie de Galilée, une réflexion en plusieurs strates, avec plusieurs niveaux de lecture. Si Brecht est reconnu pour sa pédagogie et son didactisme, il est intéressant de noter que dans cette pièce les différents plans et niveaux d’interprétation n’arrêtent pas de se connecter entre eux, de se répondre, de se superposer, voire de s’hybrider. Nous souhaitons donc embrasser l’ensemble des thématiques de la pièce ainsi que les principes esthétiques de son auteur. Pour ce faire, nous tenons à composer en et hors les murs, en amont comme en parallèle de la mise en scène par un engagement périthéâtral, à travers des rencontres directes, qui feraient des spectateurs un véritable partenaire de travail.
Nous souhaitons éprouver ce qui est contenu dans la pièce. Nous voulons faire en sorte que La vie de Galilée soit au centre d’un système de rencontres et de mise en réseau de plusieurs lieux de recherche. Nous voulons faire de ce projet un projet fédérateur où les véritables enjeux ne se feront pas que sur le plateau, où se mêleraient la sensibilité d’étudiants de différents cursus, de lycéens, de chercheurs, de professeurs… Où la vie et le théâtre feraient corps autour de cette aventure car, comme nous le dit si bien Brecht :
« Tous les arts contribuent au plus grand de tous les arts, l’art de vivre »(B. Brecht, petit organon pour le théâtre)
Par quels adjectifs décririez-vous l’écriture de Brecht? Pourquoi avoir choisi de mettre en scène cet auteur?
Le grand intérêt que nous offre la dramaturgie brechtienne réside dans la proposition esthétique du théâtre épique et de la distanciation qui en découle. Pour Brecht, la forme dramatique aristotélicienne, soumise à l’unité et dont la visée est l’illusion du vrai, aboutit à rendre le spectateur intellectuellement passif par la proposition d’un dénouement conclusif d’instauration (ou restauration) de l’harmonie sociale. Elle repose sur le conflit et sa résolution et proclame « une vérité ». Le théâtre épique brechtien propose une tendance plutôt qu’une forme établie. L’épique entretient un rapport dialectique avec le dramatique, il l’éclaire et l’interroge, il l’étoffe et le complexifie. « Le sens se produit et va ailleurs que dans le sens fléché par l’acte : c’est le réalisme au sens brechtien : ce qui sur scène ne cherche ni à se faire prendre pour du réel, ni ne se résigne à en être définitivement coupé. »[1] Le récit y est développé sans se résumer à une simple narrativisation du drame mais procède plutôt par percée, par déchirure dans le tissu de cohérence de l’unité dramatique. L’écriture devient plus hybride et plus fragmentaire. L’auteur n’est pas démiurgique mais « rhapsode » (Jean-Pierre Sarrazac, Avenir du Drame) dont l’étymologie (coudre) renvoie à un acte d’écriture proche du montage, « assemblant ce qu’il a préalablement déchiré et dépiéçant aussitôt ce qu’il vient de lier ». De cette forme d’écriture surgit la voix de la palinodie, du questionnement et du commentaire, problématisant le drame sans jamais le résoudre sous la poussée de la pulsion rhapsodique.
En tant que médiation entre l’observateur et la chose qu’il observe, le théâtre épique propose une « étude » du réel et de l’histoire.
La volonté propre à la Compagnie Primesautier de tendre vers la démonstration du caractère performatif du théâtre doit se penser en termes de filiation avec la distanciation brechtienne. Notre théâtre semble se construire sous les yeux du public pour répondre à la question sans cesse posée : comment représenter cette parole ? C’est un théâtre en train de se faire, en train de s’accoucher de lui-même, en train de se chercher un sens.
Pourquoi « La vie de Galilée »?
L’intérêt plus particulier de cette pièce réside dans le thème qu’elle exploite, celle de la position sociale de la recherche scientifique, du dévoilement de la vérité démontrable lorsque celle-ci vient contredire les croyances sur lesquelles s’appuie le pouvoir en place.
Si ce n’est grâce à la personnalité de Galilée, l’importance des théories galiléennes et leurs portées scientifiques, ainsi que la remise en question des fondements religieux d’explication du monde qu’elles supposent, finiront par s’imposer, pour leurs valeurs propres, dans les sociétés européennes.
Les théories galiléennes sont de véritables bombes à retardement jetées dans la société qui les a vues naître. Cependant Galilée reste un homme de son temps, chercheur passionné il est également père, citoyen, pieux , susceptible de succomber à diverses tentations, fragile face à la mort. Il refuse le statut de martyr mais ne saurait se résoudre à arrêter la recherche pour autant. Toutes ces facettes de sa personnalité entretiennent un rapport particulier avec la connaissance et sont tout autant actants du drame que les autres protagonistes présents dans la pièce.
Nous ne souhaitons pas trahir la pensée brechtienne en réduisant sa pièce à une lutte manichéenne entre le dogme de l’Eglise et la liberté de penser, ou la cantonner au strict champ de la reconstitution historique ou encore proposer une biographie de Galilée. Ce qui importe à Brecht, c’est de mettre l’accent, afin de le soumettre à discussion, sur le comportement d’un personnage, « là où ce comportement présente une signification historico-sociale, là où il est typique » (Brecht, Ecrits sur le Théâtre).
La dramaturgie et théorie brechtienne, la mise en scène, l’interprétation, la scénographie et l’exploitation des lumières concourent à procéder au dévoilement des soubassements qui régissent les relations de pouvoir, de contre -pouvoir, d’expression indépendante de la connaissance, autant que les pensées souterraines et sensibles qui animent les rapports qu’entretiennent système symbolique et système scientifique. Il s’agit d’utiliser le théâtre comme un outil de la pensée sans en oublier le plaisir. Car la pensée est plaisir. Et surtout celle de Brecht :« Le théâtre de l’ère scientifique peut faire de la dialectique une jouissance [2]»
C’est parce que la jouissance, nous dit Bernard Sichère, dépend de notre rapport au réel.
En deux phrases, de quoi est-il question dans cette pièce?
En une seule même : De la vie d’un homme dédiée à la recherche et de ses rapports avec le pouvoir en place.
Quelles sont vos prochaines dates ( et lieux) de représentation?
Le calendrier brechtien est plutôt vaste…
Il commence durant le festival Hybrides avec la présentation d’un ateleir de théâtre documentaire en partenariat avec le CROUS et L’um2. Le 30 mars à 18h45 et 31 mars à 19h dans l’amphi 5.06, Entrée Libre. Il s’agit d’un travail mené avec un sociologue et des étudiants en science. Le titre est :« c’est quoi un étudiant en science aujourd’hui ? Un ou Une qui de loin voie ton regard et devine l’odeur hypothétique d’un choux fleur ontologique (titre aléatoire). »
Nous enchaînons après avec les « exposés Galilées » le jeudi 7 avril toute la journée au lycée Frédéric Bazille de Montpellier. Une classe de physique, de Mathématique, de Philosophie et d’œnologie se sont mises au travail avec un acteur de l’équipe primesautière. Chaque classe travail à des exposés sur Galilée et chaque acteur met en scène la classe au travail. Le soir viendra clôturer cette journée « le vin des écritures » où des étudiants en œnologie nous ferons déguster des vins choisis en fonction de la pièce. Les 20 et 21 avril nous présenterons enfin « La Vie de Galilée » au théâtre de l’université Paul Valéry (La vignette). Le mercredi à 19h15 et le jeudi à 19h15.. Durée du spectacle : 3h30 avec entracte…Les tarifs sont 6 et 12 € et gratuit pour la carte laisser passer du théâtre de la Vignette.
Les 13 et 14 mai à la baignoire nous proposerons une remise en orbite galiléenne, une variation en forme de dispute performée du tableau 4 de la vie de Galilée.
Les 19 / 20 / 21 mai à 20h au trioletto un atelier étudiant du CROUS présentera les Visions de Simone Machard de Brecht. Un texte sur la guerre 39-45 dans un village français.
Enfin, dernière semaine de Mai nous présenterons L’erreur est humaine (titre constant avec les ateliers de notre compagnie autour de Brecht… Nous y retrouverons notamment : L’antigone, dialogues d’exilés, les fusils de la mère Carrar de Brecht…
Informations et réservations : primesautier@gmail.com Dates de représentation: Au Printemps des comédiens en juin 2012 Le 5 février 2013 à 19h30 au Théâtre Jacques Coeur à Lattes