Interview de Ludovic Danjou et Mady, co-scénaristes de la bande-dessinée: Un héros presque parfait/ Propos recueillis par Julie Cadilhac– PUTSCH.MEDIA/
Comment est né ce projet d’un héros presque parfait?
LD : Alors le plus simplement du monde, pendant un moment de tchat avec ma complice d’écriture Mady ! Une idée qui a germé d’abord chez Mady puis qui rebondit chez moi pour atterrir chez le dessinateur !
MM : En effet, j’avais un projet de ce genre dans mes cartons, mais je n’étais pas 100% convaincue. En fait Ludo avait envie de faire une série gag, alors je lui en ai parlé, et ça lui a parlé. On a donc fait évoluer le concept ensemble pour qu’il devienne ce qu’il est aujourd’hui. Quand à Philippe Fenech, notre talentuesque dessinateur, c’est en discutant autour d’un café que je lui en ai parlé. On avait déjà souvent travaillé ensemble par le passé, mais jamais sur un projet BD. Le concept lui a plu, et on a monté le dossier en deux temps trois mouvements.
Pourriez-vous citer à nos lecteurs quelques héros qui ont inspiré cette bd?
LD : heu comme ça je dirais Fenech, Mady…C’est très référencé années 80/90 (l’âge peut- être… ? ) Mady et moi nous avons grandi avec des Arnold, Schwarzy, Bruce…etc. Alors forcément, notre héros, c’est un peu de tout ça à la fois… ( Charlie Sheen si tu lis cette interview, tu sais ce que l’on attend de toi…)
MM : Mon papa, ma maman, et mon chien… En fait nous essayons surtout de tourner autour de types de héros plutôt que de personnages précis, mais on ne peut pas ne pas citer Indiana Jones pour la caricature de l’aventurier.
On trouve des leitmotiv comme l’épisode de la boule de pierre: est-ce pour parodier les scènes récurrentes que l’on trouve dans les films d’aventure?
LD : Le film d’aventure par excellence, même ! du Indy pur jus ! toute la bd est une parodie, donc la boule c’est un peu le symbole…de cette parodie !
MM : Bien sûr, le coup du tunnel et de la boule est un symbole de tous ces films où il s’agitde s’échapper après avoir sauvé la princesse ou récupéré le magot. Mais le fait que ce soit un gag récurrent vient plutôt de l’envie de jouer avec ce principe du running gag, qui fonctionne toujours très bien pour moi et dont je suis fan. Ici, on part d’une situation bien établie dans l’imaginaire collectif, justement grâce à tous les films qui l’utilisent, et on détourne, on pousse plus loin.
L’humour, cela se travaille et répond à des techniques ou c’est inné?LD : Là tout de suite, j’ai pas de trucs drôles à raconter ! Et pourtant le tome 2 est sur les rails ! L’humour dans mon cas, c’est une idée instantanée qui jongle sur une autre et ainsi de suite, pour finir par : heu non, c’est pas drôle là, Ludo. Rebelote pour un autre gag !
Ensuite, la technique pour raconter un gag suit évidement une structure bien précise que Mady gère très bien alors que…heu…bon..oui on s’en sort !
MM : Je pense que l’humour et le gag BD sont deux choses bien distinctes. On peut avoir beaucoup d’humour mais ne pas parvenir à le retranscrire sur une page de gag. On est donc bien obligé d’utiliser les techniques à disposition pour y parvenir. Le principe de base étant de guider le lecteur vers une fin attendue, pour finalement le surprendre avec quelque chose de décalé, ou de plus fort que ce qu’on l’avait poussé à imaginer. Mais dans cette série, on utilise aussi beaucoup les commentaires du narrateur, et on superpose donc à l’action une couche d’humour plus « textuel », avec des jeux de mots ou des remarques sarcastiques. Le double effet qui coule quoi 😉
Vampires, samouraïs, aventuriers, super-héros, avez-vous établi une liste de clichés incontournables avant de commencer à imaginer vos planches ou bien les gags et le choix des personnages vous sont-ils venus au fur et à mesure?LD
: Nous avons utilisé des acteurs/ chômeurs en costume de héros avec un texte à lire. Si nous rigolions un peu, l’heureux élu était pris pour l’album sinon…au suivant comme on dit ! Le tri a finalement été assez rapide, c’est toujours les même types de héros que l’on utilise. Y’a bien eu un gars en indien dénudé avec des tatouages de bikers à un moment, mais nous avons préféré le cow-boy dans la même catégorie… Sinon, oui, ça c’est fait au fur et à mesure, sans trop se poser de questions.
MM : On a vraiment fait ça en fonction des idées qu’on avait et des univers qui nous plaisaient, mais pour le tome 2, on se pose un peu plus de questions : qui on garde, qui on rajoute… On essaye surtout de se faire plaisir !
Vous vous acharnez un peu sur les princesses, non?
LD : Ah bon ? roooo si peu pourtant… m’enfin les pires, c’est Mady…y’a qu’une fille pour faire ça…
MM : Oui, mais le but est de montrer ce que notre apprenti héros fait subir à la pauvre princesse, justement ! C’est très féministe comme album finalement ! Non, je suis pas crédible ? Tant pis alors…
Quelles sont vos références en matière de scénario? Qui incarne selon vous l’idéal du scénariste et pourquoi?
LD : Alors là on ne cite pas de noms… Faut comprendre, y’a une loi du silence, l’Omerta…
Bon sinon y’a bien d’un côté Goscinny, intemporel et tellement parfait et de l’autre Diaz Canales le scénariste de Black Sad qui marie avec une perfection incroyable histoire et narration BD.
MM : Définitivement Alan Moore… Rien à voir avec un héros presque parfait vous me direz, mais j’adore son travail, ses idées, et la façon dont il les véhicule à travers ses albums. Il pousse toujours au bout du bout ses univers et ses personnages, il a un petit côté extrémiste que j’apprécie… et une imagination fabuleuse.
Comment travaille-t-on un scénario à deux? Quels sont les avantages et les inconvénients?
LD : Mady et moi sommes complètement différents dans notre approche, ce qui rend le binôme très solide. Chacun possède ce que l’autre n’a pas. Notre truc : on s’écoute tous les deux et on essaye de correspondre à ce que l’autre demande. En gros on ne se marche pas sur les pieds mais on se promène ensemble ! J’avoue qu’après 3/4 ans de collaboration, bah…ça fonctionne toujours ! Les avantages : rapidité d’exécution, recul nécessaire, émulation, soutien, compagnon de choc. Les inconvénients, bah y’en a pas…( enfin je les vois pas, ça doit surtout être ça…)
MM : On écrit des pitchs chacun de notre côté, et quand on est tous les deux ok dessus, l’un de nous (pas forcément celui qui a écrit le pitch d’ailleurs) le rédige. Puis l’autre fait éventuellement quelques retouches de dialogue, et hop on envoie à Phil… qui nous dit que c’est pas assez drôle. Alors on en rajoute une couche et on envoie à notre éditeur… qui nous dit que c’est pas assez drôle… alors on en rajoute une couche et on ne lit plus nos mails de peur qu’ils râlent encore. C’est vrai que la collaboration se passe particulièrement bien avec Ludo, le plus naturellement du monde, sans règle pré-établie. Et puis c’est toujours important à mon avis, quand on bosse sur du gag, de travailler à plusieurs. Il n’y a rien de si subjectif que l’humour, et plus on est à trouver un gag drôle au moment de l’écriture, plus il y a de chance qu’il touche du monde ensuite.
Héros et anti-héros: la frontière est-elle donc si mince?
LD : Qui sont les héros, les vrais ? quels sont les héros qui nous parlent ? ceux qui sont perfectibles, humains, vous et moi…Un type qui réussit sans petits bobos intéresserait qui de nos jours ? vous par exemple : n’est ce pas un acte héroïque que de poser des questions à desscénaristes ? c’est risqué, on ne sait pas ou ça va aller, vont -ils répondre correctement, allez vous pouvoir faire un bon article ? il en faut du courage non ?
Un héros est un ancien anti-héros car avant d’être un héros il se doit d’avoir raté pour apprendre à être un héros. Donc un anti-héros c’est aussi un futur héros…vous voyez ?
MM : Non ? Vous voyez pas ? C’est clair pourtant… 😉 Mais notre héros n’est pas un anti-héros, il est juste presque parfait. Avec un peu de bol, il pourrait s’en sortir, mais avec lui, un petit rien devient toujours un grand n’importe quoi. Pour conclure, je dirais qu’entre héros et anti-héros, il y a anti-, et ça, c’est sans doute un message…
Diriez-vous qu’aujourd’hui le héros n’est plus une valeur en laquelle on croit vraiment et que les gens préfèrent rire de leurs défauts et maladresses?
LD : L’époque est à l’envie de se soulager. Qu’importe le lieu ( WC de cinéma, d’autoroute, public, chez mémé ), le tout c’est de se lâcher un bon coup pour décompresser. Notre quotidien même le plus facile du monde est tellement angoissé, stressant ! Encore une fois, je crois que le héros moderne c’est vous et moi et ce que l’on est capable de faire pour égayer notre vie et lui donner un peu d’humour. Alors un héros sérieux avec des valeurs très « morales » ne correspond plus trop à cette demande.
MM : Je pense que c’est justement parce que le héros est une valeur en laquelle on croit (et en laquelle on croira toujours à mon avis), que c’est drôle de le voir plein de défauts et de maladresses. Un héros qui réussit tout, ou un gars lambda qui ne réussit rien, ça n’a rien de très rigolo. Encore une fois, c’est le décalage qui fonctionne.
Vous êtes en préparation d’un nouvel album: la vraie histoire vraie d’un héros presque parfait : Ulysse. Y retrouvera-t-on toutes les étapes de l’Odyssée du héros?
LD : Top secret. Je vous l’ai dit, loi du silence, omerta, des gens écoutent, cia, fbi, DGN… bon disons qu’Ulysse va faire un grand voyage et que nous allons quelque peu réinterpréter cette épopée…
MM : Nous sommes récemment tombés sur une bouteille à la mer, contenant des documents précis et inédits sur l’aventure d’Ulysse. On se doit donc de faire ces révélations au monde, mais comme le journal de 13h nous a refusé une présentation, nous avons décidé de passer par la BD… Philippe Fenech nous accompagne au scénario sur ce coup-là (normal de travailler à trois, pour Ulysse ;), et comme le disait Ludo, on risque gros en vous dévoilant quoi que ce soit. Mais je réitère, c’est le décalage qui compte, et on va décaler à fond (de cale), sans trop se soucier des étapes classiques. Ulysse est avant tout un gars avec un bateau qui tente de rentrer chez lui, avec beaucoup d’îles sur son passage, comme celle de Pâris par exemple, où il échoue au début de notre premier tome.
Pourtant Ulysse est un vrai héros, lui….vous allez l’égratigner un peu?
LD : Vui, écorchures, griffures, hématomes, il va subir pas mal effectivement.
MM : Disons que c’est en héros qu’Homère le présentait, mais il ne nous disait pas tout ! Heureusement qu’on est là, aujourd’hui, pour rétablir la vérité vraie.
Quelle étape en particulier vous paraît offrir les moments les plus truculents?
LD : heu….heu…comment dire, nous allons essayer de passer en revue chaque étape relais d’Ulysse. Hop panneau d’indication, on s’arrête, on cuisine le truc à notre sauce et on repart…
MM : Les Cyclopes, les Cicones… que de possibilités, de jeux de mots et de sources d’inspiration ! On a de quoi faire, mais le but n’est pas tellement de parodier Ulysse lui-même. Il s’agit plus de l’utiliser pour poser un regard sur notre société contemporaine de manière… (je vous laisse un peu de temps pour deviner…) décalée !
Peut-on s’attendre à un volume sur la guerre de Troie après celui-là?
LD : Mieux vaut ne pas parler de ce tragique événement, croyez-moi…
MM : Jamais deux sans Troie ! On en parlera déjà dans ce premier tome, mais il s’agira plus d’un point important du background d’Ulysse car l’aventure commence juste après la guerre.