Ce qui m’intéresse surtout, c’est la liberté de ce cinéma qui s’est développé en marge du cinéma officiel, et le culte dont il fait l’objet chez certains cinéphiles ; ce qui amène d’ailleurs à réfléchir aux notions de « valeur » et de « hiérarchie » dans le domaine de l’art.
Vos personnages tous aussi farfelus les uns que les autres sont-ils inspirés par le cinéma bis ?
Ce sont des personnages excessifs, parfois caricaturaux, comme on les trouve dans le cinéma bis. Mais au-delà de la comédie, ce sont aussi des personnages qui incarnent la notion de « marge » dont je parlais. Dans une société qui met en avant la flexibilité et l’efficacité, je mets en scène des inadaptés, incapables de suivre le mouvement. Soit à cause de contraintes liées à l’âge (quelle est la place accordée aux personnes âgées dans la société d’aujourd’hui ?), soit à cause d’une personnalité, d’un caractère (quelle place pour les artistes, pour les rêveurs, pour tous ceux qui ne sont pas « rentables » ?)
Votre roman dégage un humour franchement décalé, des situations comiques jubilatoires mais également une certaine pointe de nostalgie, vous confirmez ?
Série Z est d’abord une farce, puisque le moteur de l’écriture pour moi est le plaisir, l’humour, le ludique. Mais la comédie traite souvent de sujets sérieux et graves, comme ici le vieillissement, la mémoire, la disparition d’un monde, et donc la nostalgie peut apparaître au détour d’une scène, de préférence quand on ne l’attend pas… Et j’en suis souvent le premier surpris !
Le professeur de français que vous êtes influence t-il votre écriture ?
Un lycée avec ses élèves, ses enseignants, son administration, est une petite société. Observer quotidiennement ses membres interagir est une source d’inspiration inépuisable… Mais ce qui influence le plus mon écriture, ce sont les livres et les films qui me nourrissent depuis toujours.
Y’a-t-il un peu de Félix en vous ?
Félix étant immature, lâche et inadapté au réel, je réponds non, bien sûr ! Maintenant, il y a sans doute un peu de moi dans chaque personnage, puisque je les sors d’un coin obscur de ma cervelle. Mais ce sont des personnages de comédie, donc des types de caractère : en général, on reconnaît dans leurs qualités les nôtres, et dans leurs défauts, ceux des autres…
Du «Ne prends pas les poulets pour des pigeons» aux «Insatisfaites poupées érotiques du docteur Hitchcock», vous les avez tous vus ?Je n’ai pas vu tous les films dont je parle dans Série Z, mais tous les titres cités sont vrais. D’ailleurs, les titres et les affiches sont souvent ce que ces films ont de meilleurs ! Pour moi, le plaisir du cinéma bis est lié au fantasme, à ce que ces titres et affiches évoquent, aux rêves d’images qu’ils génèrent. Dans cette perspective, le visionnage du film n’est plus indispensable. A la limite, voir le film fantasmé est peut-être une erreur car il a toutes les chances d’être décevant…
Mais vous ne les possédez pas tous ?
J’ai une petite collection de DVD qui s’agrandit peu à peu… Le DVD a tout changé dans le rapport au cinéma bis. Avant les années 80, ces films ne pouvaient se voir qu’en salle, puis sombraient dans les limbes. La VHS a commencé à démocratiser leur accès, et le DVD propose maintenant une offre pléthorique. En France, plusieurs petits éditeurs de DVD font un travail formidable en exhumant des perles oubliées et en les proposant dans de belles éditions avec des bonus passionnants : je pense notamment à « Artus Films », basé à Montpellier, ou encore au « Chat qui fume » et « Bach Films ».
Un prochain roman en préparation ?
J’ai commencé l’écriture de mon quatrième roman, mais il est très difficile d’en parler à ce stade car je travaille toujours sans plan, en partant dans de multiples directions, en laissant libre cours à mon imagination. Ce n’est que dans un deuxième temps que je ferai un tri, que des thèmes se dégageront, et que je pourrai comprendre ce que je suis en train de faire… La part de l’inconscient est donc très importante dans ce processus, et c’est ce que j’aime dans l’écriture.
Un mot sur les couilles en or ?
Les Couilles en or est un film érotique que Jean-Pierre Mocky prétend avoir tourné dans les années 70 sous le pseudonyme de Sam Batman. Mais personne n’a jamais vu ce film mythique car, explique Mocky dans ses mémoires, un homme d’affaires qui s’est marié avec l’actrice principale a racheté le négatif avant la sortie en salle puis l’a détruit pour préserver la réputation de sa bien-aimée. Ce film a-t-il jamais existé ? Ça rejoint la notion de fantasme, centrale dans le cinéma bis : les films les plus fascinants sont ceux qu’on rêve, pas ceux qu’on voit.
Crédit Photo / Philippe Matas – Opale