Jérôme Garcin par Arnaud Taeron

Jérôme Garcin : La lecture au galop

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Partagez l'article ! Interview de Jérôme Garcin par Julie Cadilhac– PUTSCH.MEDIA / Illustrations Arnaud Taeron / photographies Pierre Gable. Dès lors que l’on a gardé un contact moelleux quelques heures avec l’écriture de Jérôme Garcin, on s’exalte sur le lyrisme de sa plume et sur ses mots gandins qui n’hésitent pas à nous immerger dans […]

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Interview de Jérôme Garcin par Julie CadilhacPUTSCH.MEDIA / Illustrations Arnaud Taeron / photographies Pierre Gable.
Dès lors que l’on a gardé un contact moelleux quelques heures avec l’écriture de Jérôme Garcin, on s’exalte sur le lyrisme de sa plume et sur ses mots gandins qui n’hésitent pas à nous immerger dans un vocabulaire équestre érudit. Pourtant c’est avec le mot « juste » que cet écrivain définit ses voltes littéraires et l’on ne peut qu’acquiescer devant cet adjectif tout aussi humble que rigoureux. Son dernier roman  » L’écuyer mirobolant » est une nouvelle déclinaison de sa passion pour les chevaux sur fond de paysages d’Afrique du Nord et des Landes françaises. On y rencontre Etienne Beudant, incarnation de l’écuyer idéal dont l’amour fiévreux pour les équidés force l’admiration et contamine le lecteur néophyte. Plaisir donc de rencontrer son créateur et d’obtenir quelques clés de lecture sensible. Une interview où la plume se démasque, où le mors se relâche le temps de quelques confessions, où le bucolique souffle comme un parfum exaltant sur nos jours citadins et où l’on finit par souhaiter que le galop de la plume de Jérôme Garcin poursuive sa course encore longtemps!

Le titre « l’écuyer mirobolant » est-il un pied de nez à la modestie de son personnage principal? Etienne Beudant aurait-il apprécié le compliment?
Pour tout vous dire, je pense que même si Beudant était effectivement tel que je l’imagine – puisque j’ai plus rêvé sa vie que je ne l’ai racontée dans la réalité – même s’il était très humble – ce qui est pour moi une loi fondamentale de l’équitation- je pense qu’il l’aurait aimé parce que j’ai clairement emprunté le titre au général Decarpentry qui a vraiment dit de Beudant qu’il était un écuyer mirobolant. Venant de Decarpentry qui était un homme de cheval, Beudant l’aurait non seulement accepté mais reconnu. En plus, mirobolant est un mot très joli parce qu’un peu daté. C’est le mot qu’a utilisé Decarpentry pour exprimer sa fascination pour un cavalier hors norme – c’est évidemment un éloge mais qui fait allusion à la magie de l’art de monter de Beudant.


Peut-on affirmer que vos romans tendent à enraciner leur récit dans l’Histoire? Pourquoi? Est-ce simplement un goût Cheval -livre Arnaud Taeronmarqué pour les crises historiques? pour les grands hommes? Jugez-vous plus pertinent de faire mouvoir un personnage au coeur d’une tempête? Pensez-vous que la littérature gagne à se nourrir des cicatrices et des envolées épiques de l’histoire?

Dans

C’était tous les jours tempête

et

L’écuyer mirobolant

, il y a effectivement un point commun – même si les personnages sont totalement opposés – je fais quelque chose que j’aime beaucoup faire et lire chez les autres, c’est à dire me glisser dans ce que j’appelle les  » trous de l’Histoire », ces moments qui sont indéterminés. On ne sait absolument rien des jours qui ont précédé la mort d’Hérault de Séchelles et je me suis glissé dans ce trou-là pour imaginer ce qu’aurait pu être sa fin, la confession de Hérault de Séchelles avant d’être guillotiné. De la même manière, sur le véritable Etienne Beudant , on dispose de deux traités importants de technique pour les cavaliers et d’une biographie qui se réduit à quinze lignes. On sait ses dates de naissance et de mort, on sait qu’il a servi en Afrique du Nord mais tout le reste, ce sont des « trous de l’histoire » et je m’y suis glissé pour imaginer une rencontre avec Calamity Jane, pour composer, par exemple, des dialogues totalement imaginaires entre Lyautey et Beudant. J’aime me faufiler dans les moments de l’Histoire qui restent inconnus et en profiter pour y glisser en même temps des choses qui me sont très personnelles. J’abuse de mon pouvoir de romancier pour insérer, dans ces trous de l’Histoire, des obsessions, des idées qui sont les miennes.


L’écuyer mirobolant nous entraîne en Afrique du Nord : y-avait-il dessein de rendre hommage à des pays dont la culture vous émeut ou était-ce simplement le besoin esthétique de placer le personnage dans un cadre plus « exotique »? ou était-ce simplement par conformité historique?

La première raison est historique: le jeune Beudant est nommé d’abord en Algérie ensuite au Maroc et il va passer vingt cinq ans de sa vie en Afrique du Nord. C’est une vérité historique, je n’ai vraiment rien inventé.L’essentiel de sa vie de petit militaire – il était capitaine de l’armée française – aura été de servir en Algérie et au Maroc; il n’ y a donc pas de choix exotique, c’est une réalité. Cependant c’est une culture qui a avec le cheval une relation passionnelle et de manière générale, les chevaux Arabes -qui sont à l’origine de toutes les races – ont avec leurs cavaliers des relations exceptionnelles. Donc je voulais insérer dans le décor cette relation historique. J’ajoute aussi que l’art de Beudant – et là, pour le coup, quelques photos l’attestent de manière très forte – a été précisément de pousser le génie jusqu’à faire de ces chevaux barbes – qui sont la race majoritaire dans ces pays du Maghreb – de véritables oeuvres d’art, y compris les chevaux abimés, cassés, fatigués, malades…et quand on le voit monter ces chevaux qui sont faits pour l’endurance, pour le terrain mais pas tellement pour la haute école, on constate qu’il a réussi à obtenir de ces chevaux qui ne sont pas faits pour ça des figures époustouflantes. Connaissant ces chevaux du Maghreb, nous avons donc la possibilité de juger de ce qu’était véritablement le génie d’Etienne Beudant. Arrivé à Dax, presque au milieu de sa vie, il a eu le regret de l’Afrique du nord mais aussi des chevaux qu’il montait dans ces paysages d’Afrique du nord car il y avait quelque chose là-bas de l’ordre de la mystique, il avait trouvé sa seconde patrie.


Jument - Arnaud TaeronLors de la sortie de votre roman « cavalier seul », vous parliez de cesser d’écrire sur les chevaux : qu’est-ce qui vous a remis en selle?
La passion chez moi pour les chevaux tourne un peu à l’obsession et j’ai eu le sentiment qu’après La chute de cheval, Bartabas roman et Cavalier seul, j’avais fait le tour de tout ce que je voulais écrire sur la question et qu’aller au delà, ce serait abuser de la sympathie, de la curiosité ou de l’intérêt des lecteurs et donc j’avais pris cette décision qui répondait à une réalité toute simple: j’ai mal vécu de devoir me séparer de mon cheval parce qu’il était arthritique et que je ne pouvais plus le monter aussi je me suis dit que si j’arrêtais de monter ce cheval qui est mon cheval, de la même manière j’arrêterai d’écrire sur les chevaux parce que les deux sont liés. C’était donc une décision parfaitement raisonnée mais la passion a pris le dessus. Contrairement à ce que je disais, j’ai continué à monter plus que jamais après avoir mis mon cheval au pré, même si je n’ai pas repris de cheval – je monte les chevaux des autres. Je monte toujours autant et de la même manière, je me rends compte que je suis incapable de ne pas écrire sur les chevaux qui sont pour moi beaucoup plus que des chevaux: je leur dois énormément, c’est grâce à eux que je me suis mis un jour à écrire. J’avais envie de continuer; c’est un peu comme lorsqu’on est au galop, on n’a pas forcément envie de s’arrêter, on a envie de continuer – donc, effectivement, vous avez raison, je n’ai pas tenu parole et j’ai voulu encore me faire plaisir.


Vous racontez les chutes de Beudant: dans quelle mesure l’accident est constitutif de tout cavalier? Pas de vrai cavalier sans chute? Doit-on lire cette passion équestre comme une métaphore de la vie en général?

Oui, évidemment, raconter la vie des hommes, c’est aussi raconter la vie de ceux qui montent, la métaphore est évidente. Pour ce qui est des chutes, d’abord, c’est vrai, on ne monte pas sans tomber, quel que soit son niveau, qu’on soit simple cavalier ou Bartabas, on tombe : c’est une réalité. Dans le cas de Beudant, j’ai été bouleversé par l’idée que cet homme avait tout sacrifié aux chevaux et que c’est au moment où il arrivait au sommet de son art qu’il a du, brisé par ses chutes, y renoncer. Pour un homme qui vivait depuis son plus jeune âge sur quatre jambes, le fait d’être paralysé, cloué dans un fauteuil roulant et vivre pendant vingt cinq ans avec des béquilles ou dans un fauteuil est la chose la plus terrible qui soit. En fait, le vrai sujet du roman , c’était cela: comment peut-on survivre à une telle passion quand on ne peut plus l’exercer? Pour moi, c’est comme si l’on avait coupé la main de Van Gogh au moment où il était dans la plénitude de son art ou la main d’un grand interprète ne pouvant plus jouer Bach. Aussi comment Beudant peut survivre à sa passion est le sujet de ce roman. La chute de cheval, c’est le titre de mon premier livre et dans mon cas particulier, la chute de cheval, c’est celle aussi dont on ne se relève jamais. C’est le cas de mon père qui s’est tué d’une chute de cheval en forêt et c’est vrai que, contrairement à mon père, Beudant s’en est relevé, il a continué à vivre et je crois qu’écrire sur Beudant, c’était aussi une façon pour moi de prolonger ce qui est peut-être la scène originelle de tout ce que j’écris, c’est à dire mon père tombant dans la fleur de l’âge- puisqu’il avait quarante cinq ans- d’une chute mortelle. Evidemment que chez moi, la chute de cheval n’a pas le même sens que chez d’autres, sans doute qu’en me mettant à devenir cavalier, j’ai le sentiment de prolonger le galop au cours duquel mon père a été à tout jamais arrêté.
La chute de cheval est l’origine de tout car elle raconte comment j’ai construit sur ce deuil : j’avais dix-sept ans, mon père quarante L'écuyer mirobolant -interview Jérôme Garcincinq ans, son cheval s’emballe en forêt de Rambouillet il tombe et il meurt, et évidemment le paradoxe est que pendant un temps fou j’ai repoussé, j’ai fui, j’ai ignoré les chevaux et un jour, longtemps après, j’ai renoué avec eux, j’ai monté et d’une certaine manière j’ai fait la paix avec mon passé et avec cette chute originelle. Donc je ne peux pas répondre à votre question sans évoquer la scène fondatrice de tout ce que j’ai écrit depuis et qui est aussi la raison pour laquelle j’écris, parce que c’est en montant à mon tour à cheval, tardivement – j’avais une trentaine d’années – en comprenant aussi ce qu’avait été la passion de mon père que j’ai commencé – la selle servant de divan – à raconter des choses que peut-être je n’aurais jamais racontées sans le cheval. Il a été l’instrument de ma propre confession. Le cheval m’a permis de libérer des choses que je gardais pour moi , j’ai donc à son endroit une gratitude qui va bien au delà de la simple reconnaissance de cavalier, je lui dois le bien finalement…. et le meilleur.


Quelles figures équestres prisez-vous? Le piaffer, le pas espagnol, le trot et galop arrière? Y-en-a-t-il une, mythique, qui reste un fantasme jamais concrétisé?

La figure la plus incroyable, la plus mystérieuse, la plus difficile, c’est le galop arrière. Beaucoup de grand écuyers l’ont pratiqué mais le seul que j’ai vu l’exécuter magnifiquement sur deux chevaux différents, c’est Bartabas. C’est une figure prodigieuse parce qu’au delà de sa difficulté technique, elle renverse toutes les lois de la nature. Galoper, c’est aller devant or là, galoper c’est aller en arrière. Cela me rappelle toujours un mot d’Etienne Beudant dans un de ses traités – et là encore c’est une métaphore de la vie – « il faut pousser en avant même pour faire reculer ». La figure du galop arrière demande à avancer au petit galop puis au galop rassemblé puis au galop sur place et ensuite petit à petit en gardant la même allure, la même assiette du galop sur place, on passe au galop arrière.

Cheval -livre - Arnaud TaeronVos lignes sont sculptées, limées, ciselées, chaque image (- Robersart II  » le vitrail d’une basilique de muscles » – « Les arbres avaient la transparence d’un verre filé de Venise » –  » Cet étranger empruntant à la fois au militaire à la retraite et au Touareg en exil » ) est un « rêve flottant » de perfection. Ecrire, selon vous, comme monter à cheval nécessite une élégance, des exigences pointues et sévères qui justifient l’utilisation d’un vocabulaire soutenu et d’expressions équestres méconnues du néophyte? Pensez-vous qu’il est bon que la littérature soit un rien inconfortable? Avez-vous un modèle de perfection qui vous semble expliciter au mieux tout le respect que l’on doit aux mots écrits?
L’élégance, je ne sais pas ce que c’est, en revanche je crois profondément qu’il y a un rapport entre l’écriture et l’équitation. Si vous regardez un grand cavalier, quelle que soit la figure qu’il dessine avec son cheval, on se demande toujours comment il fait, la main et la jambe semblent ne pas bouger, il y a un mystère. Le corps ne bouge pas, il semble être dans le cheval et ça, c’est pour moi l’idéal littéraire, c’est à dire que même pour obtenir l’équivalent littéraire d’un piaffer ou d’un galop arrière, il faut que tout le travail ne se voit pas et que l’on ne voit que le résultat. Il faut que l’écrivain puisse donner la même illusion de facilité et que l’on ne voit pas la sueur, le travail, les efforts inouïs que l’on a dépensés pour obtenir cette phrase juste. Quand un cavalier est un bon cavalier, on dit qu’il est juste. Je crois que c’est pareil pour l’écrivain. Moi je n’aime pas ce qui est flottant, j’aime la justesse, l’exactitude, c’est la raison aussi pour laquelle, même si on est un peu un néophyte, je trouve que le vocabulaire équestre est un très beau vocabulaire et que, même s’il n’est pas forcément clair, il a l’avantage d’être précis. J’aime une grammaire sans graisse: certes, parfois il faut utiliser des métaphores pour rendre compréhensible. Beudant, par exemple, pour définir l’impulsion à cheval , disait que « c’est le vent qui souffle dans les voiles du navire », il disait aussi pour l’obéissance à l’éperon que c’est « celle du fils à son père ». Donc parfois il faut traduire, évidemment, cela dit je crois que monter bien, c’est monter juste et qu’écrire bien, c’est écrire juste. Et dans les deux cas, c’est épargner au lecteur, comme le grand cavalier épargne au spectateur, tous les efforts que cela lui a couté.


Vous consacrez effectivement de longs passages à une réflexion sur l’écriture: quel est l’enjeu de cette mise en abime?
Cheval -Pierre Gable le désir de formuler un constat qui grossissait dans votre expérience d’auteur?
Parce que c’est dû à ma propre expérience, monter et écrire sont deux verbes qui, chez moi, ont cohabité et, de manière un peu obscure pour moi, aujourd’hui, les deux activités sont indissociablement liées.Je ne peux écrire que quand je monte et je ne peux monter que lorsque j’écris. C’est très étrange et d’ailleurs j’ai écrit de nombreuses pages en partant deux -trois heures avec un cheval: je pense aux mots de Montaigne que j’avais mis en épigraphe de La chute de cheval « c’est à cheval que sont mes plus larges entretiens ».Je fais partie de cette famille d’auteurs qui ont besoin que le corps se dépense à une altitude incertaine, entre terre et ciel, pour pouvoir faire travailler le cerveau et avancer le livre. C’est la raison pour laquelle je n’écris jamais à Paris, uniquement à la campagne, quand je suis près de ces chevaux et que je suis dans cet état qui me place un tout petit peu en dehors du monde réel.


Etienne lit beaucoup: y-a-t-il, sciemment, une sorte de croisade pour le livre , une nostalgie intrinsèque dans cet hommage régulier à la lecture et aux grands auteurs? Comme beaucoup, déplorez-vous la chute des ventes en librairie ou pensez-vous que les générations nouvelles se construisent à partir d’autres supports que l’objet livre? Etes-vous optimiste?

Je fais lire beaucoup Beudant; dans la réalité je ne pense pas qu’il ait lu autant. J’ai fait récemment édité et j’ai préfacé la grande anthologie de Paul Morand qui s’appelle Anthologie de la littérature équestre chez Actes Sud qui montre depuis la Renaissance italienne jusqu’au vingtième siècle, les grands artistes du cheval ont toujours été des écrivains qui avaient besoin de transmettre leur savoir et j’avais envie d’inscrire Beudant dans cette histoire-là.
Quant à la chute des ventes en librairie, moi je suis un peu frappé par le contraire. Par mon métier de journaliste, ça fait plus de Cheval - Pierre Gabletrente ans que j’observe l’évolution du livre en France, sa production, son édition, sa distribution . Je remarque d’abord l’incroyable résistance de l’objet-livre malgré tout ce que l’on avait annoncé – il était mort à l’époque où naissait Internet, il serait mort encore aujourd’hui avec l’Ipad et le numérique- pourtant l’objet livre fait une résistance assez phénoménale à tous ces courants soi-disant meurtriers. Evidemment que le numérique va changer les choses et qu’on lira de plus en plus sur écran et de moins en moins sur papier mais je pense que l’imprimé, même s’il reste minoritaire, restera toujours. Le livre, c’est comme l’équitation. Aujourd’hui en 2010, on n’a plus besoin des chevaux : il n’aide plus aux champs, à tracter les moissons, il n’est plus utile en ville, malgré tout il persiste: il y a de plus en plus de cavaliers, d’amoureux des chevaux et de la même manière, le livre résistera toujours. Moi je ne suis pas du tout pessimiste. Et si les générations qui viennent préfèrent lire sur écran que sur papier, moi ça ne me choque pas du tout. Pour autant on aura toujours besoin du rêve que procurent les écrivains. Maintenant, les bestsellers ont toujours existé et la vraie littérature a elle aussi toujours existé et elle n’a jamais été majoritaire. Au delà d’un certain succès, on est dans le malentendu de toutes les manières.


Ce roman peut-il lire se lire comme un plaidoyer pour l’authenticité? une réflexion sur le bonheur? Cherchez-vous à convertir? à prouver que l’équitation, au delà d’être un sport, contribue à un équilibre –  » l’autorité sans violence, l’équilibre des forces, l’harmonie du corps et de l’esprit, la patience, l’opiniâtreté, le tact, la justice » – qui explique qu’aujourd’hui le nombre de cavaliers augmente et qu’il y a une recrudescence de l’intérêt porté aux chevaux?

En France, on considère qu’il y a environ 500 000 cavaliers et un million d’équitants: c’est une évolution croissante. Moi je pense – et ce n’est pas original- que l’équitation est une leçon de vie extraordinaire, que c’est une morale, même politique. Apprendre à gouverner une masse de cinq cents, six cents kilos avec de la douceur, avec ce que Beudant appelait « une main insinuante » , apprendre la conduite mais sans violence, sans domination des natures libres et égales, je trouve que c’est un programme formidable. J’y ajoute une donnée à laquelle je tiens beaucoup : l’équitation force – alors qu’on dit souvent que les cavaliers sont fiers – à l’humilité. On ne peut rien contre la force d’un cheval, si on n’est pas humble, on se casse la gueule, il faut accepter que le cheval est plus fort et que pour se faire comprendre de lui, pour devenir son allié, il faut accepter l’humilité.
Pour moi le cheval est un instrument de musique sublime. Mais si je devais trouver de véritables raisons de convertir, je dirais qu’aujourd’hui, de manière tout à fait scientifique, on voit les bienfaits de l’équitation. Les médecins ont inventé l’équithérapie dont on sait combien -aussi bien dans le cas des handicapés moteurs que mentaux – le cheval est un formidable instrument de soin et d’aide. Et puis le cheval, avec peut-être la mer, est encore une des dernières aventures que l’homme peut encore vivre, avec l’illusion d’être aussi bien au XXIème qu’au XVIIIème siècle, aussi bien en France qu’à l’étranger. D’ailleurs ce n’est pas un hasard si le cheval est un langage universel. J’ai beaucoup voyagé, monté un peu partout et je peux vous dire que je parle cheval aussi bien en Tunisie ou au Maroc qu’aux Etats-Unis. C’est quelque chose qui unit les peuples et les cultures sans aucune distinction de classe, c’est quelque chose d’universel et ça, je trouve que c’est une des plus belles choses que l’Histoire ait donné à l’humanité.


Etienne Beudant est aussi intègre qu’Hérault de Séchelles est opportuniste. Le premier ne connaîtra pas l’amour, l’autre y aura droit comme un miracle. L’un est au coeur de l’action ,l’autre en est toujours écarté. Diriez-vous que vous aiguisez volontairement les caractères de vos personnages?

Dans les deux cas, il y a un peu de caricature. J’ai fait de Hérault de Séchelles une caricature du cynique car ça m’amusait beaucoup de montrer que la palinodie politique, le fait de changer de veste à chaque tournant n’est pas l’apanage de nos politiques d’aujourd’hui et que c’était vrai aussi à cette époque. Hérault de Séchelles est capable de passer du roi au comité de salut public avec un sorte d’indifférence impressionnante. J’ai voulu noircir le trait parce que je trouvais amusant littérairement parlant de me glisser dans cette peau. De la même manière, c’est vrai que je pousse un peu le personnage de Beudant qui était un admirable écuyer – ça , c’est incontestable – mais j’en ai fait une sorte de mystique, d’amoureux d’absolu, d’idéaliste, un pur parmi les purs.
Il y a un véritable lien entre ces deux personnages et ceux de tous mes autres livres qui ne sont pas des romans. Je pense à Gérard Philipe dans Théâtre intime, à Jean Prévost, à mon propre père, tous ont en commun mais ça, on ne le voit pas forcément à l’oeil nu, qu’ils ont eu des vies brèves et arrêtées. Je considère, en effet, que la vie de Beudant s’arrête quand il descend de cheval pour la dernière fois. Hérault de Séchelles est guillotiné à trente quatre ans, Jean Prévost meurt dans le Vercors les armes à la main à quarante ans et pour des raisons plus personnelles, la mort de mon frère jumeau, mon père qui se tue de cheval à quarante cinq ans, la mort à l’âge de trente six ans du père de ma femme, Gérard Philipe, que sans doute, de manière inconsciente , j’ai du mal à faire vieillir les personnages. J’ai toujours le sentiment que j’aime raconter des vies brèves, qu’elles soient réelles ou imaginaires et où j’ai le sentiment que plus elles sont brèves, plus elles sont pleines. Le vrai lien entre mes personnages, c’est cela, c’est un combat contre le temps incessant et la vraie question est: qu’est ce qu’on fait de sa vie? à quoi ça sert? C’est autour de ces questions-là que tournent les obsessions.


Vos personnages sont-ils toujours volages dans l’âme? Est-ce une nécessité pour le héros romanesque ce détachement des femmes? ce besoin de butiner? Est-ce parce qu’il est incompatible de se donner tout entier à un cheval et à une femme?

C’est vrai que mes personnages sont le portrait d’êtres qui ont tout sacrifié à leur art, à la passion ,à leur engagement politique, à leur foi et que ça se paye. En même temps, on pourrait donner en contrepoint le livre que j’ai écrit qui s’appelle Théâtre intime qui est consacré à ma propre passion fixe, qui est celle que j’ai pour ma femme, Anne-Marie Philipe, depuis plus de trente ans donc, vous voyez, ce n’est pas aussi simple que ça. Cela dit, c’est vrai que dans le cas de Beudant, j’ai imaginé que cette féroce, ardente, folle et puissante passion du cheval passait par le sacrifice de tout le reste. Il n’y avait pas la place pour une femme aimée et une passion qui occupait tout.


Enfin le magazine, ce mois-ci, ouvre un dossier spécial Amérique : vous évoquez Buffalo Bill dans ce roman et Etienne entretient une correspondance avec Calamity Jane: dans quelle mesure l’Amérique et ses cow-boys fascinent-ils le cavalier que vous êtes?

Bien sûr que ce pays de cavaliers, je dirais même de centaures, me fascine: on ne sait plus, quand on regarde un western, que ce soit côté indien ou cowboy, où s’arrête l’homme et où commence le cheval. Dans le cas de Calamity Jane, j’avais été ému par les lettres que j’avais lues d’elle, j’ai donc greffé de manière naturelle et en même temps un peu artificielle une correspondance entre Beudant et elle, qui est totalement imaginaire. C’est un pays où le cheval est roi, un pays d’immenses étendues dont je persiste à penser qu’elles ne sont vraiment explorables qu’à cheval. Il y a d’ailleurs un bouquin formidable dont on parle rarement qui exprime un peu ce que je vous dis là et qui se nomme Autobiographie d’un cheval de John Hawkes dans lequel il parlait à la place d’un cheval, à la première personne du singulier. Et s’il le faisait si bien, je pense que c’est parce que John Hawkes appartient à ce pays, à ce peuple où l’homme se confond avec le cheval.

Cheval - pierre gable

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