Clémentine Beauvais : Voile or not Voile ?
Par Martine Bréson / Photos D.R – PUTSCH.MEDIA /
Clémentine Beauvais se serait bien passée de toute cette polémique autour du voile intégral. Quand elle a écrit l’histoire de « Samiha et les fantômes » illustrée par Sylvie Serprix, cette jeune auteur franco écossaise de 21 ans était loin d’imaginer que le port du voile intégral allait provoquer autant de remous en Europe et particulièrement en France. Jamais elle n’aurait pensé que son album pour les petits serait tellement en phase avec l’actualité. Et la loi actuellement en discussion qui interdirait le port de ce voile intégral dans tous les lieux publics y compris dans la rue, la chagrine plutôt. Elle aurait préféré un climat plus serein pour son album qui condamne cette burqa et transforme les femmes en fantôme. Si cet album est un acte militant, il sert d’avantage à défendre l’égalité homme femme qu’à montrer la burqa du doigt. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si ce sont les éditions Talents Hauts qui publient cet album car cette maison d’édition s’est fixée comme mission de lutter contre le sexisme. « Samiha et les fantômes » est aussi un album qui a été pensé pour les tout petits. Poétique et respectueux, il est d’ailleurs porté par des dessins colorés et enchanteurs chargés d’une vraie tendresse.
Un sujet comme la burqa, ce n’est pas un thème facile surtout pour un album destiné au 6/8 ans. Est-ce que cela a été évident tout de suite pour vous ? J’ai eu cette idée bien avant le débat qui a lieu actuellement en France. Je vis la moitié de l’année à Londres. Dans cette ville, on rencontre très souvent des femmes entièrement voilées. On ne voit même pas leurs yeux. L’année dernière, j’étais à Londres dans un bus bondé et l’une de ces femmes est montée dans le bus et bien sûr, personne n’a rien dit, personne n’a réagi. Et là, j’ai remarqué un petit garçon qui devait avoir 6 ans et qui regardait cette femme d’un air complètement fasciné. Dans son regard il y avait de la crainte et je me suis demandé ce qu’il pouvait bien penser, ce petit garçon, face à cette « créature ». Je me suis dis que, pour un enfant, c’était très violent d’être confronté à ce que les adultes lui ont appris à craindre, l’image des fantômes. Il avait l’air terrifié, ce petit garçon et personne ne lui disait rien. Je me suis demandé si sa mère allait lui expliquer pourquoi cette femme portait une burqa. Et c’est là que je me suis dis qu’il faudrait faire un livre pour enfant sur le sujet, pour engager le dialogue sans agressivité
Quelle est votre position personnelle sur la burqa ?
Moi ce que je veux c’est engager une discussion, une réflexion avec l’enfant. J’aborde le sujet avec tendresse car il n’est pas forcement sinistre et sombre, du moins je l’espère. D’ailleurs, cela m’a un peu ennuyé que l’album paraisse juste au moment où le sujet a été étalé sur la place publique avec tant de passion, mais c’est comme ça.
L’anecdote du bus a vraiment été le seul déclencheur qui vous a donné envie de faire cet album.
Oui, mais après cela il m’a fallu beaucoup de temps pour trouver une histoire qui corresponde vraiment à ce que je voulais. Dès le début je voulais parler de fantômes et surtout ne pas nommer le voile, la burqa. Je voulais vraiment rester dans un imaginaire enfantin, d’où ce choix du fantôme. Après, l’histoire m’est venue assez naturellement et je suis passée dans l’univers du conte, de la fable donc à quelque chose qui devenait assez universel en fait. D’ailleurs, à part les noms des enfants, il n’y a aucun signe qui permet de cataloguer les personnages, on ne connaît pas leur nationalité, on ne sait pas de quels pays ils viennent. Ils sont dépeints d’une façon très neutre, très universelle tout au long du livre, c’est ce que je voulais. J’ai eu du mal à trouver la fin. Je ne savais pas si c’était les enfants qui allaient renverser le système ou s’il allait s’effondrer naturellement. Finalement, j’ai opté pour la deuxième solution parce que je pense que, même s’il y a énormément d’espoir avec cette nouvelle génération, il aurait été un peu angélique de montrer des enfants qui mettent à bas ce système. La fin est mi figue mi raisin. C’est plus réaliste de se dire que le port du voile va dépérir de lui même.
L’écriture est très poétique…
J’ai pas mal retravaillé les textes. J’ai tout de suite voulu que ce soit très tendre, épuré un peu comme les haïkus, ces poèmes japonais. Je souhaitais aussi laisser parler les illustrations. Dans un album pour enfant, il faut un équilibre entre illustrations et textes, les unes ne doivent pas pouvoir exister sans les autres. J’ai essayé de garder des rimes à l’intérieur des phrases parce que la musicalité c’est très important dans la littérature pour enfant. Cela berce l’enfance et cela aide celui qui ne sait pas lire seul à s’accrocher à la musique comme à des refrains. Il va aimer les sonorités et les textes vont vraiment s’imprimer dans son esprit. Mais cela peut se faire de plein de manières différentes comme avec le Prince des mots tordus où le Petit Nicolas. L’important c’est de ne pas crétiniser l’enfant en faisant des phrases du style «Maman va dans la voiture.» Je pense qu’il faut vraiment permettre à l’enfant de découvrir toutes les manières dont on peut s’exprimer et pourquoi elles s’accordent mieux à telle ou telle histoire. C’est quelque chose qu’il va apprendre à l’école plus tard mais c’est une bonne première approche.
Avez-vous l’impression d’avoir fait un album militant ?
Oui, mais cela ne me dérange pas du tout. La littérature pour enfant permet de prendre des positions. Si on n’avait pas de littérature pour enfants engagée, on n’aurait pas Philippe Pullman et son roman « Les royaumes du nord » par exemple. Dans la vie, je ne suis pas une militante active mais selon moi, la littérature jeunesse doit pouvoir faire passer des idées sociologiques ou politiques. L’enfant est un futur citoyen. Il faut savoir que tous les livres que l’on donne à nos enfants vont leurs donner une image du monde, un point de vue qui va les formater d’une manière ou d’une autre. Il y a des livres qui ne se déclarent pas militants et qui sous des apparences de neutralité, vont avoir un effet nocif. L’étiquette « livre militant » ne me dérange pas si l’auteur s’engage et le dit. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si mon album est publié par Talents Hauts. C’est l’un des rares éditeurs jeunesse qui a une ligne éditoriale strictement sinon politique du moins sociologique et culturelle destinée à combattre le sexisme latent dans la plupart des livres pour enfants. Accepter d’être publié par Talents Hauts cela implique une prise de position, moi j’assume tout à fait, cela ne me dérange pas du tout d’être cataloguée comme ça.
Vous êtes donc sensible à la parité mais du coup, choisir le conte et cette image de fantôme, est ce que cela ne gomme pas un peu le vrai sujet ?
C’est drôle que vous pensiez ça car plusieurs personnes m’ont dit qu’on reconnaissait trop la burqa. Je trouve que la représentation de la burqa dans l’album est très proche de celle que l’on voit dans les caricatures. C’est peut être parce que Sylvie, l’illustratrice, a été dessinatrice pour la presse.
Mais les enfants font-ils le rapprochement entre la burqa et les fantômes ?
Cela n’était pas censé être réaliste comme une photo, on voulait que cela reste dans une sorte d’entre deux et je trouve que c’est assez réussi. Cela permet aussi au lecteur d’avoir le choix, il peut s’affranchir du thème de la burqa pour évoquer le thème plus général de l’oppression des femmes. Il y a un deuxième niveau de lecture, celui d’une société où les femmes sont dominées, écrasées par les hommes.
Il y a deux héros, une petite fille et un petit garçon…
Ah oui, c’était extrêmement important pour moi qu’il y ait un petit garçon qui soit d’accord avec la petite fille. On est vraiment dans l’idée que, de génération en génération, il peut y avoir un rapprochement et des idéaux communs. Dans le livre, chez les adultes, il y a une sorte d’entente tacite entre l’oncle et les femmes et même si les enfants ont un regard critique sur leurs aînés, ils ont aussi de la tendresse pour eux. J’espère qu’on comprend que Samiha ressent de la tendresse pour sa mère, sa grand-mère, sa tante. Elle ne s’oppose pas directement à elles, il y a plutôt une sorte de détachement. Samiha et son frère veulent rompre avec cette tradition du port du voile qui les empêcherait de mener leur vie telle qu’ils l’imaginent. Je pense que dans n’importe quelle civilisation, à un moment donné, les jeunes générations se retournent, regardent comment elles ont été élevées et décident ce qu’elles gardent et ce qu’elles abandonnent pour leur vie future. La mort de l’oncle qui est réelle, est aussi la mort symbolique de tout ce qu’on veut laisser derrière soi. Son fantôme c’est le spectre de l’oppression féminine, c’est une étape de transition où les deux enfants sont capables de dire «Nous ne voulons plus de ça», et ils regardent loin vers l’océan, symbole très traditionnel de conquête et de voyage.
Si jeune, vous avez 21 ans, qu’est ce qui vous pousse vers ce type de sujet ?
Ce qui m’a amené à ce cheminement ce sont mes études littéraires. Dans la littérature jeunesse on se rend vit compte que la femme même si c’est sous-jacent, est presque toujours inférieure à l’homme. Je me souviens de ma fascination pour Martine. « Martine petite maman » : quand j’étais enfant, je regardais pendant des heures et des heures cette image magnifique au milieu du livre quand elle donne le bain à son petit frère. C’est une image iconique. C’est la glorification de la maternité à un âge, Martine, elle a quoi, elle a 7 ans dans l’histoire. Ce sont des images qui vous formatent pour toujours. On est immédiatement séduit. C’est le genre de chose qu’il faut prendre en compte quand on choisit un livre pour enfants ou quand on raconte une histoire à un enfant. Cela ne veut pas dire qu’il faut arracher tous les livres de princesses des mains des petites filles en disant c’est nul. Pas du tout et ce n’est pas non plus le point de vue de Talents Hauts. Ce que nous disons c’est qu’il faut une alternative. Il faut des livres qui correspondent aux sexes des enfants et il faut des livres plus neutres.
Il n’y a pas que des princes courageux et des princesses endormies qui attendent qu’on les embrasse pour se réveiller…
Oui, mais ça peut être plus insidieux que cela. Il suffit de voir dans un album une petite fille qui lit dans la maison avec son chat et un petit garçon qui joue à l’extérieur avec son chien. Ce sont des images fortes, elles vont donner lieu à des sortes de norme. L’idée c’est de donner plusieurs choix aux enfants. Il y a tellement de possibilités. Pourquoi se cantonner à des rôles pré établis ?
Samiha et les fantômes c’est votre premier album, vous avez d’autres projets ?
J’ai un livre qui parait ce mois ci «Les petites filles top modèles». On change complètement d’univers. C’est un petit roman très drôle, d’une centaine de pages, pour les 9/11 ans. C’est toujours engagé, toujours chez Talents hauts. C’est sur l’univers de la mode, c’est une dénonciation des Maisons qui emploient des enfants mannequins. Cette année, je suis aussi l’un des lauréats du prix du jeune écrivain et ma nouvelle se trouve dans le recueil du prix 2010.En fait, j’écris depuis longtemps. J’ai envoyé mes premiers livres à des maisons d’édition, j’avais 10 ans.Dans mes ouvrages non publiés, il y a beaucoup de textes pour les enfants et les sujets sont souvent compliqués. Je trouve que la littérature jeunesse est un mode d’expression extrêmement intéressant qui peut servir à aborder des sujets sérieux et profonds. J’ai écrit sur le cancer pour de très jeunes enfants par exemple.Je lis aussi beaucoup de littérature jeunesse et en ce moment, il y a des livres extraordinaires qui sortent sur des sujets extrêmement complexes comme «La princesse qui n’aimait pas les princes». C’est un petit livre qui parle de l’homosexualité féminine de manière absolument géniale. C’est vraiment ce genre de livre qui fait la vitalité de la littérature jeunesse.