Bobi + Bobi : une illustratrice poétiquement espiègle
Bobi+Bobi parce que ma présentation à l’époque de mon tout premier blog était : « Bobi is Bobi, yes, but who is Bobi ? ».
Vous faites partie de la sélection 2010 du concours Teatrio de Venise et ce alors que vous avez réalisé vos dessins avec un simple Bic quatre couleurs et du pastel blanc… quelles étaient les consignes du concours ? Quelles sont vos références en matière d’illustration ?
Il fallait inventer une histoire en cinq planches doubles et une couverture pour illustrer le sujet : «The Cannonball Lady». Le format était imposé mais le choix de la technique était libre. Le stylo est un outil simple mais compliqué, lunatique mais égal : il a toutes les qualités pour réussir des textures et des rythmes impossibles.
Mes références en illustration sont picturales, tout vient de là chez moi. Rembrandt, Vélasquez, Goya, Manet, et les Nabis, Vuillard en particulier. Le lien avec l’illustration s’est fait grâce à Carll Cneut et à Suzanne Janssen.
Vous travaillez pour HongFei Cultures et illustrez des albums jeunesse : qu’est-ce que vous appréciez dans la ligne éditoriale de cette maison ? Quels sont vos principales exigences face aux textes que l’on vous propose ?
Avec HongFei le plaisir est aussi dans l’écoute et le respect de l’autre, leur courtoisie m’enchante. Leurs choix sont exigeants et atypiques, ça me convient tout à fait.
Je suis très sensible à l’écriture d’un texte, sa syntaxe, l’inventivité de sa forme, sa poésie. Un texte qui ne vaut que pour son histoire anesthésie un peu (ou beaucoup) mon imagination.
Vous illustrez également de la prose poétique pour adultes ; en quoi, selon vous, ce genre sied à votre trait ?
J’illustre aussi pour les adultes de la prose pas du tout poétique… c’est en partie pour ça que je mesure l’importance d’une certaine poésie dans mes projets.
Une certaine poésie ?
Oui, une poésie un peu expérimentale qui bouscule la forme, qui me surprenne et m’inspire, donc. Comme en peinture où il faut sans cesse inventer, recréer, tout remettre en question. Peu importe le sujet sur lequel on travaille, c’est la manière de le traiter qui compte, la manière de le ressentir et de l’exprimer. J’ai besoin de travailler dans ce sens avec des poètes, et si possible sur des textes en cours d’écriture pour que nous avancions ensemble. Ca crée une sorte d’intimité qui rend joyeux et élastique.
Avez-vous un livre de chevet dont vous voudriez nous vanter toute l’exquise saveur ?
Par exemple « Exercices de style » de Raymond Queneau, l’édition illustrée par 150 artistes (Gallimard), toutes ces déclinaisons qui se croisent comme on le décide (le livre est physiquement coupé en deux) sont idéalement stimulantes d’un point de vue littéraire et graphique.
Un ami pour Lucas raconte l’histoire d’une amitié entre un renard et un petit garçon : vous travaillez avec des couleurs chaleureuses, dans une atmosphère floutée de campagne. Qu’est-ce qui vous a plu dans cette aventure ?
Le souhait de HongFei de me voir illustrer ce texte avec du dessin m’a fait plaisir. Ca tombait bien, c’était l’été, j’avais envie d’une pointe Rotring fine qui morde un papier tendre. Je me souviens que je dessinais chaque jour des kilomètres de fleurs, d’herbe, de fourrure. Avec le Rotring je gratte le papier de telle manière qu’on sent le dessin sous les doigts, c’est de la dentelle vivante, sensuelle, réconfortante. Pour Un ami pour Lucas, j’ai eu la surprise de découvrir que j’aurais pu dessiner une nature complètement inventée sur des dizaines de pages.
Yin la Jalouse est un petit bijou d’illustration : parlez-nous en.
Le texte de Yin la jalouse est très audacieux, il a été écrit par SHEN Qifeng, un lettré chinois du 18ème siècle. J’ai fait beaucoup d’essais avant de trouver l’expression la plus proche du caractère impétueux de Yin – tout en essayant d’être à la hauteur du ton original du texte. C’est un livre qui dérange certains libraires, ça me réjouit.
Votre univers est empli d’enfants espiègles, de mots qui sillonnent la page, de regards qui en disent long : il y a quelque chose de « théâtral » dans certaines de vos illustrations, non ? Il semble y avoir une volonté d’ouvrir l’imaginaire et d’inciter le spectateur à développer les incipit que vous lui offrez…
J’ai tout entendu à propos de mes personnages. Je les invente par familles entières, ils ne sont pas encombrants, je ne suis pas obligée de les loger ni de leur faire la cuisine, ils sont autonomes… Chaque personnage a sa réalité, chaque réalité a son moment de grâce. Le monde qui sort de mon crayon se nourrit de moi presque à mon insu et se nourrira des yeux qui le regarderont. Si mes dessins invitent à s’interroger ou à imaginer, tant mieux. C’est peut-être ma manière de suggérer les choses plutôt que de les livrer entières qui ouvre le champ, je ne sais pas, je crois que j’évite de réfléchir sur ce mécanisme. La seule chose qui me paraît claire : quand un dessin touche, c’est qu’il est juste, juste juste…
Assurément, le regard semble un point dominant de vos créations : une citation à nous proposer qui illustrerait votre esthétique ?
« Tout corps plongé dans un liquide reçoit une poussée verticale dirigée de bas en haut, égale au poids du volume du liquide déplacé. » (C’est terrible, je crois qu’on peut en mourir).
« Sur un banc » est l’illustration pour laquelle j’ai eu immédiatement un coup de cœur : pourriez-vous nous en expliquer la genèse? (Cette petite fille dont le crâne est picoré par un oiseau).
Elle fait partie d’une petite série de dessins inspirée par la première phrase de la chanson de Renaud, « Mistral gagnant » : A m’asseoir sur un banc cinq minutes avec toi.
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