Aude Massot et Chroniques d’une chair grillée
Bonjour Aude, comment avez-vous « atterri » dans ce projet de Chroniques d’une chair grillée?
Ce fut le fruit du hasard. Il y a trois ans, j’ai envoyé des illustrations à plusieurs éditeurs mais je n’avais pas vraiment de scénario terminé à proposer. Je connaissais un peu Benoit Preteseille de Warum qui, lui, connaissait bien Fabien, et après lui avoir envoyé mes dessins, il m’a répondu: « écoute j’ai un pote qui a un scénario mais pas de dessinateur, c’est pas mal du tout ce qu’il écrit, contacte-le ». J’ai envoyé un mail à Fabien qui m’a envoyé le script de « Chronique d’une chair grillée » que j’ai lu très rapidement et qui m’a tout de suite plu. C’est marrant car avec Fabien on ne s’est vu qu’une fois au début, et pendant un an et demi de collaboration, on n’a communiqué que par mail. Le courant est très bien passé entre nous, on s’est entendu tout de suite. J’ai fait quelques planches et 6 mois plus tard, Nathalie Meulemans des Enfants Rouges nous a répondu qu’elle voulait bien éditer notre projet.
Voilà un récit déjanté dans lequel personnages et situations basculent dans l’absurde. Comment avez-vous choisi de traiter cette touche décalée?
Il fallait avoir un rendu graphique un peu trash pour illustrer Chronique, et en même temps, c’est vrai que c’est avant tout une bande-dessinée comique. Sombre et comique, c’est à dire cynique. Il fallait un dessin qui soit capable d’illustrer les deux aspects. C’est pourquoi j’ai choisi un style plutôt rond, je pense assez cartoon, mais avec un trait très épais et jeté, puis colorisé dans des tons un peu crades, ça donnait un rendu qui n’était pas mal. Fabien était assez content du résultat, a priori c’est ce qu’il recherchait. Après, dans le découpage, c’était pas mal de jouer les pauses et les changements d’état dans le jeu des personnages. Mettre en place des scènes entrecoupées de cases silencieuses, comme par exemple dans certains dialogues où Louka s’arrête un instant après une réplique puis explose : cette manière de raconter l’action rajoute une touche absurde et déjantée.
Cette parodie d’une société de consommation et de perfectionnisme à la dérive, êtes-ce une vision du monde à laquelle vous adhérez?
On peut dire que Chronique est une parodie du monde libéral oui. Mais ça va quand même plus loin puisqu’on est carrément dans une dictature, régie par un Code des conventions. Les personnages sont libres à partir du moment où ils obéissent aux lois qui leur sont dictées et correspondent à des critères. On peut y voir une métaphore de notre société mais aussi une caricature de certains régimes dictatoriaux, fascistes ou communistes. C’est en ça que l’oeuvre de Fabien est finalement très universelle. La question que pose le livre effectivement, c’est : en quoi notre société peut au final être capable de dérapages qui peuvent la conduire à devenir une véritable dictature? Ou sommes-nous déjà dans une dictature sans que l’on s’en rende compte? Je pense notamment aux dérives que peuvent produire la télé-réalité comme la parodie en place dans Chronique où est montrée l’importance du regard des autres sur notre propre conduite. La réflexion qui en découle est très intéressante.
Dans quel genre classeriez-vous Chronique d’Une Chair Grillée? Quel public vise-t-il selon vous?
Je le classerais plutôt dans le genre humour noir. De tous les retours que j’ai eu, j’ai plutôt l’impression que le public qui aime est assez éclectique. J’ai eu beaucoup de retours d’ados qui sont fans, ça doit être dû au côté sulfureux de l’histoire. Et ça ne m’étonne pas dans le fond. Je pense que les ados ont besoin d’histoires qui les amusent mais qui remettent aussi en question l’ordre établi.
Pourquoi avoir choisi, à part pour la couverture, une uniformité de couleurs et de tons? Pour quel(s) effet(s)?
J’aime bien traiter les couleurs de manière très sobre avec peu de tons, ça donne un petit côté rétro qui a son charme je trouve, mais c’est purement une histoire de goût.
Et parce qu’il est bien d’adopter une démarche anticonformiste et de poser les questions du début à la fin, comment en êtes-vous venue au dessin? Vous prêtez-vous à d’autres disciplines artistiques? Quel(s) type(s) d’image(s) créez-vous? ( Bandes-dessinées, romans graphiques, toiles, croquis….?)
Je dessine depuis toujours. Je suis passionnée de bande-dessinée depuis toute petite et c’était évident pour moi que je voulais faire ça plus tard. J’ai eu la chance aussi d’avoir des parents qui m’ont laissé faire ce que je voulais, alors je n’avais pas trop de questions à me poser. En ce moment je travaille comme storyboardeuse sur des séries d’animation pour la télé, ce qui me permet de vivre et de faire de la bd à côté.
Propos recueillis par Julie Cadilhac