La comparaison comme révélateur visuel de la poésie et de la cruauté de l’instant
Par Harold Cobert – bscnews.fr/ Attention, révélation. Pour son premier coup d’essai en littérature, Sandrine Roudeix frise le coup de maître. Le propos? Extrêmement simple sans pour autant être simpliste : l’attente de trois personnages à trois époques différentes. À seize ans, une adolescente attend de rencontrer son père pour la première fois à la terrasse d’un café.À trente-trois ans, une mère célibataire attend sa fille à la sortie du collège pour lui parler de son père qu’elle ne connaît pas.À dix huit ans, un jeune homme attend dans les couloirs de la maternité de découvrir l’enfant qu’il a eu « par accident ».Bien évidemment, chacun de ses trois personnages est la fille, la mère et le père. L’intelligence du livre est, entre autres, grâce à cette structure narrative à trois voix, de nous balader de fausses pistes en conjectures, et, tout en remontant le temps, de construire un suspense autour d’un secret de famille où le salaud n’est pas nécessairement celui que l’on pourrait croire. D’une certaine manière, ce roman aurait très bien pu s’appeler, au-delà de l’incorrection grammaticale, Nos vies à s’attendre. Mais le titre à l’infinitif retranscrit parfaitement le caractère figé et interminable de toute attente. La force de ce roman tient tout entier dans celle de son écriture. Photographe de profession, Sandrine Roudeix excelle dans l’art de faire tenir toute une histoire dans un seul cadre. Elle creuse le temps en plan fixe comme un objectif creuse le champ de manière dynamique – et, de là, elle creuse le « chant » mélancolique et le « tant » de ces attentes. Dans son travail de photographe, les clichés de Sandrine Roudeix racontent toujours une histoire. Ici, ces trois histoires autour d’une même histoire figent le temps et le décor dans un triptyque familial et quasi photographique. Même s’il ne se passe que peu de choses en terme d’action présente – et comment pourrait-il en être autrement lorsqu’on écrit sur l’attente ? – l’écriture est vive, rapide, jamais ennuyeuse, riche d’inventions verbales et imagées ayant pour pivot la comparaison concrète, étrangement source de poésie visuelle, plutôt que la métaphore abstraite. Une sorte de vitesse dans l’immobilité, semblable à celle d’un déclencheur ou d’un révélateur photographique, comme une urgence d’en finir avec l’infinitif du titre et ce temps suspendu, pétrifié dans l’incertitude flottante de l’attente. En conclusion : Attendre est un roman à lire sans plus attendre.
Attendre, de Sandrine Roudeix Flammarion, 14€