Sur un air de tango argentin, un chef d’oeuvre de roman graphique….

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Par Julie Cadilhac – bscnews.fr / Qu’est-ce qui fait de Bandonéon un ouvrage aussi émouvant que délicieusement littéraire? Qu’a bien pu inoculer Jorge Gonzàlez pour laisser à ce point saisi et admiratif le lecteur? Bandonéon s’extirpe du plus profond des tripes d’un exilé « volontaire » argentin venu chercher en Espagne un sens, une identité, des réponses, une finitude.
Il est divisé en deux parties brillantes: un roman graphique, petit bijou qui fait danser un scénario vacillant de réalité douloureuse et une partie autobiographique intitulée « Juste comme ça », carnet de bord de l’auteur où se mêlent les impressions d’un retour -durant dix jours- en Argentine auprès des siens, les pensées d’un artiste en pleine construction- déconstruction d’une oeuvre, des lettres de ses parents et leurs souvenirs d’immigration. Il mêle au poids exquis des mots le flouté des images.Les amoureux d’Histoire y entendront battre le coeur de l’Argentine, les musiciens tressailleront au gré des mélodies qui s’enchâssent dans (presque) toutes les pages et les sentimentaux vibreront aux côtés de personnages en proie à des déchirements indicibles, des doutes intestins, des illusions perdues, des lâchetés pesantes.
De Gênes à Buenos Aires, de La Galice à Ushuaïa, Jorge Gonzalez (admirablement traduit par Thomas Dassance, autre exilé volontaire, français vivant en Argentine) nous entraîne dans l’itinéraire d’un musicien gâté, Horacio, qui gâchera son talent par amour et/ou arrivisme. Bandonéon, c’est aussi l’histoire de la génération précédente, celle de son père Luis, anarchiste qu’Horacio dénoncera par vengeance à sa maturité, et celle de son ami Vicente, surnommé « Gordo » , joueur de bandonéon et coeur pur qui espère revoir sa Catalina de Galice…celles de Maria et d’Agata, belles argentines qui seront toutes deux victimes de la lâcheté d’Horatio…
Des prostituées aimantes autant que virulentes aux tangos aux refrains mélancoliques, du sexe violent aux élans romantiques, Jorge Gonzalez a choisi le sépia pour brosser ses tableaux. L’image, sous ce filtre, prend une dimension volontairement vieillie, un peu désuète. Le trait, brut et vaporeux, utilise le croquis et le surdimensionnement , joue souvent avec le changement de point de vue – ce qui force le lecteur à être actif…
…et le plaisir de ce roman graphique naît aussi dans « l’inconfort » de sa lecture: l’auteur multiplie les époques, pratique « une écriture synecdotique » qui désarçonne l’esprit et contribue à le perdre un peu. Jorge Gonzàlez entremêle des récits de vies tronquées à dessein dont le lecteur ne connaîtra jamais qu’une facette, n’aura récupéré que des bribes. Comme lorsqu’on ouvre un vieil album-photos…
Dans Bandonéon, on devine une vie entre chaque ellipse, entre chaque vignette mais l’on ne fait qu’extrapoler : le silence de la page est le mystère du passé.
Je me tais: dire à quel point une oeuvre est belle finit par être vain. Une belle oeuvre du neuvième art est à regarder et à étreindre de ses yeux, de son souffle, de son âme. Je ne saurai donc que trop vous conseiller de ne pas passer à côté. Sauf si vous avez le don d’ubiquité et que vous connaissez tout ce qu’a de tragique, de désorganisé, de collectif et d’universel l’Argentine, ce « meilleur endroit au monde » que « personne n’arrangera »!

« La mélancolie se balade sans trêve sur cette partie de la planête, comme s’il existait une jouissance à visiter encore et toujours les images et les sensations vécues, à se délecter de ce qui aurait pu être et ne fut pas. Toujours les promesses qui virevoltent. Toujours l’impossibilité d’accepter de tourner le dos à ces promesses. Le passé est une demeure dans laquelle je me sens à l’aise. »( Jorge Gonzàlez)

Titre: Bandonéon
Auteur/Illustrateur: Jorge Gonzalez
Editeur:
Dupuis

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