Nicolas Jules, portrait d’un powête de scène

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L’ennui avec les poètes, c’est qu’ils sont perchés, lunaires et souvent inaccessibles. Nicolas Jules, lui, est un « powète » et ça tombe bien ! Il est arrivé sur Terre en 1973, il a un téléphone portable et une connexion internet, il néglige les muses sophistiquées de la tradition lyrique et conte fleurette aux femmes concrètes. Sur scène, il scotche l’attention, et même celle du badaud fourvoyé. Ses textes désarment, épanchements d’états d’âme amusés, ses mélodies entraînent une agitation insoupçonnée. Derrière ses cheveux en bataille et son registre comico-désabusé, une dérision à fleur de peau et une nonchalance pesée.

L’histoire?
Une guitare, des talents de comédien , de l’audace et l’étudiant de lettres récidiviste de la 1ère année, après avoir poussé la corde vocale dans le groupe « Mama Vaudou », a continué son odyssée sur une nouvelle trière nommée « Longicorne Mineur ». Aujourd’hui il vogue sous son propre nom, a multiplié prix (Félix Leclerc aux Francofolies de Montréal, Prix chansons des découvertes au Printemps de Bourges, Coup de coeur Charles Cros…) et festivals et, depuis, il a fait les premières parties de nombreuses références de la chanson française ( Sansevérino, Têtes Raides, Jean-Louis Aubert, Jacques Higelin, Thomas Fersen, Jamait….) .
Sur son myspace (http://www.myspace.com/nicolasjuleschanteur), n’hésitez pas à retrouver la liste impressionnante de ses futurs concerts ! Il y aura forcément le vôtre !

J’ai donc l’honneur de rencontrer un powète?
« des idées à deux balles dans la tête. »

Il existe neuf muses dans l’antiquité: de l’union de Zeus avec Mnémosyne (la mémoire) durant neuf nuits consécutives ( Zeus est tout puissant!) naquirent les neuf Muses, protectrices des arts, des lettres et des sciences. Calliope, présidait à l’Éloquence, elle est ici représentée un rouleau à la main, Melpomène, muse de la Tragédie et Thalie, muse de la Comédie, tiennent chacune un masque, Euterpe, muse de la Musique tient une flute dans sa main gauche, Clio muse de l’histoire est accoudée, Polymnie, sa voisine de droite est la muse de la Poésie lyrique, Érato est celle de l’Élégie, tient une cithare, Uranie muse de l’Astronomie, avec un globe à ses pieds et Terpsichore, muse de la Danse.
Laquelle invoqueriez-vous pour travailler? pour badiner?

Je n’invoquerai surtout pas les filles, belles filles ou arrières petites cousines de dieux. J’invoquerai plutôt des filles terriennes et vivantes, qui flânent cheveux au vent dans les rues, ou qui se terrent pensives, perdues parfois, au fond des PMU.

En concert, vous affichez un drôle d’accoutrement à mi-chemin entre le dandy et le clown? Pourquoi? Aimez-vous vous travestir? Comédien dans l’âme?
Cet accoutrement est mon costume de tous les jours. En plus sobre. Entre le dandy et le clown parce que mon caractère doit se situer entre les deux. Donc ce n’est pas un déguisement, je suis comme ça. Vraiment. Comédien je l’ai été de 15 à 25 ans. Médiocre et lucide, mais heureux et passionné. Ca m’a permis de découvrir que j’aimais l’odeur et le toucher des planches des théâtres. Ma vie est là. Et j’y endosse désormais mon propre rôle, c’est plus facile à jouer.

Vous n’y lésinez pas non plus sur l’humour, les jeux de gestes et de situations cocasses …diriez-vous que votre musique ne prend sa véritable dimension qu’une fois sur scène?
Non, je ne peux pas dire ça. Sur scène c’est un spectacle, avec tout ce que vous dites en plus. Mais mes chansons sont aussi de grandes personnes qui se débrouillent très bien toute seules quand le public est parti.
Et la musique s’écoute autrement sur disque.

Votre acolyte batteur, boule à zéro harnaché de porte-jarretelles débridés, est-il un Sganarelle, pendant au pied de nez de Don Juan que vous incarnez? Depuis quand date votre union scénique?
Contrairement à moi, Roland Bourbon ne s’habille pas pareil à la scène et à la ville. Mais il ne joue pas à proprement parler un personnage. Même si c’est difficile à croire. Je veux dire que cette façon qu’il a de grimacer derrière sa batterie, la tête enfoncée dans les épaules, c’est sa façon de jouer. Il parle, il bouge comme ça. Après bien sûr on met les choses en scène mais en mettant nos bizarreries en lumière plutôt qu’en les masquant. Jamais nous ne nous sommes dit tu vas avoir telle ou telle attitude. C’est ainsi depuis le début. Qui est le Sganarelle, le clown blanc de l’autre ? C’est plus difficile à dire qu’il n’y paraît. Nous nous connaissons depuis dix ans et nous jouons ensemble depuis trois ans.

Vous vous définiriez de décalé? cynique? boute-en-train? juste comique?
Pourquoi définir ? je suis tout ça peut-être, et tout le contraire aussi.

L’amour et les femmes semble un thème de prédilection……
Oui. Comme chez presque tout le monde.

Vous aimez jouer avec notre si belle langue: les allitérations: « J’aurais pu dans les cyprès, être si loin du zinc mais… » pleuvent, on entend des enjambements moqueurs et vous évoquez,dans Le papier bleu notamment, l’écriture et ses problématiques. Chansons autobiographiques?
Mes chansons n’étaient jamais autobiographique. Elles le deviennent depuis peu. « Papier Bleu » est une invention avec un peu de ce que je suis. Les prochaines sont ce que je suis avec beaucoup d’inventions.

Une voix à la fois rock et caressante sur des textes souvent délicieusement cruels: vous jouez à dessiner des portraits d’éclopés de l’amour : Dans la gueule, Le sac à ma copine, Celui qui n’a rien). Portraitiste dans l’âme?
Vous allez penser que je vous contredis sans arrêt… Je ne crois pas dresser de portraits. J’évoque plus volontiers des sensations du dedans. Je ne décris jamais un paysage ou une personne. Je mets en mots l’abstraction d’un sentiment. Je cherche autour. Des vers pour dire ce qui ne peut ni se définir ni se résumer.

Avec quels genres musicaux aimez-vous faire cahoter vos chansons?
J’aime le blues de Ligthin Hopkins et de John Lee Hooker. Le jazz de Fats Waller et Charles Mingus. Le rock des Doors et de Elvis. Beaucoup de choses. Pour résumer par la négative, je n’écoute pas trop de pop, de variété, d’électro et de hip-hop. J’ai zappé les années 80 et j’aime les sons un peu cassés.

Vos morceaux sont constellés de pauses où vous  » cassez » le rythme, est-ce une volonté de briser le train train des maux quotidiens qu’évoquent vos chansons? de réveiller la passivité de vos congénères humains face à leurs comportements amoureux ?
C’est un peu tout ça. Réveiller la passivité en général. Et peut-être ne pas m’endormir moi même.

Le powète, c’est celui qui ne se prend pas la tête? Êtes-vous quelqu’un de foncièrement primesautier?

Non (catégorique).

Sans en avoir l’air peut-on entendre dans un de vos chansons : le ton détaché que vous utilisez, est-ce une carapace d’oiseau blessé ou la marque d’un état d’esprit toujours caustique? Fataliste résigné ou simplement provocateur?
Un peu tout ça sans être fataliste une seconde. On me renvoie souvent que je suis dans la lune alors que jamais je n’oublie d’être terrien. Observer et écouter, parfois comprendre, sans en avoir l’air c’est beaucoup plus efficace.

Obsessionnel des mots à griffonner, à réciter, à mâchonner? Avez-vous toujours un petit carnet de notes sur vous? quelle est l’impulsion pour écrire une nouvelle chanson?
J’ai toujours de quoi écrire dans la poche. L’impulsion c’est l’envie. Tout simplement. J’écris peu. Le carnet c’est au cas où. La plupart du temps je bricole mes chansons quand j’éprouve le besoin physique d’en faire. Quand je sens qu’il est temps, que c’est mûr. Alors je cherche beaucoup, en marchant ou au bistrot, et c’est dans ma tête que je tourne et retourne les mots. Le papier c’est pour recopier. J’écris comme on pêche. Je pêche de moins en moins mais je commence à bien connaître les coins à poissons… et les saisons. Alors ça mord.

Sur Myspace, on a pu lire la liste impressionnante de concerts que vous avez faits au canada: Nicolas Jules conquiert le monde francophone? Great experience?
J’aime le Québec. C’est un pays jeune où le théâtre, la poésie et la musique se font avec la ferveur et l’imagination de la jeunesse. J’aime ce pays par pas mal de ses habitants et parce que j’ai eu la chance de lire Michel Garneau ou Patrice Desbiens. D’écouter Richard Desjardins, Frank Martel, Jean leloup… et mon chanteur québécois préféré, Urbain Desbois. Et c’est avec ce dernier que je viens d’enregistrer mon prochain album, à Montréal.

Parlons amour: Le grand Ahhhhhhhh ne naît-il selon vous QUE de la magie des mots ( amateur des caramels et chocolateries verbales?) et le coeur ne peut se serrer d’un coup de clef de douze que cérébralement?
Non, bien sûr. L’amour n’est pas dans les mots. Je bricole des chansons, je fais de la scène. Et le reste je le vis à fond, sans caramels et chocolats, rien que de la chair et des os.

Notre magazine réfléchit ce mois-ci sur la problématique du désir. Si vous deviez composer une chanson à partir d’une de ces citations, laquelle choisiriez-vous Nicolas et pourquoi?
1) On en vient à aimer son désir et non plus l’objet de son désir. (Friedrich Nietszche)
2) On n’échappe au désir que pour être repris par le désir. (Jacques Brault)
3) Le désir fleurit, la possession flétrit toutes choses. ( Marcel Proust)
4)Je perds le désir de ce que je cherche, en cherchant ce que je désire. ( Antonio Porchia)
5) Et le désir s’accroît quand l’effet se recule. ( Pierre Corneille)

Ce qui me correspond le mieux c’est « le désir fleurit, la possession flétrit toutes choses » parce que ce genre de réflexion ne me quitte jamais. Et pourtant Proust n’est pas du tout un écrivain qui me plaît. Mes « désirs » de lecture vont à d’autres auteurs où je sens davantage le vent et l’audace me monter aux narines que la naphtaline.

Enfin, y a-t-il un nouvel album en préparation? Une nouvelle tournée? Quelles sont vos projets pour 2010?

Un nouvel album qui sort le 8 mars 2010. En réalité il est déjà fini. Un disque franco-québécois… très belle aventure. Une poignée d’amis l’a écouté et… si vous voulez on en reparle en mars.
Un nouveau spectacle, avec essentiellement les chansons de l’album, à partir de janvier. Roland Bourbon, toujours à la batterie, et une contrebassiste qui s’appelle Béatrice Gréa… si vous voulez on en reparle aussi.

Propos recueillis par Julie Cadilhac

Crédit Photos : Doumé/Piffaut/ Trouvé/Rod
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