« Je le ferai pour toi » de Thierry Cohen . Editions Flammarion
Thierry Cohen ne s’affiche pas littéraire. Ce n’est pas un reproche. Il faut du savoir-faire pour ne pas sombrer, avec un thème aussi terrible – la mort de son enfant dans un attentat – dans une quiète sensiblerie ; il faut du talent pour oser faire revenir ce gamin sous la forme d’un fantôme conversant avec son papa, sans nous asséner une mouture supplémentaire de Guillaume Musso ou de Marc Lévy. (Rien de désobligeant pour ces deux derniers. Un simple constat : d’un procédé similaire, Cohen parvient à tirer une force dramatique supplémentaire, sans rien perdre du rythme, ni de la terrible –de l’effrayante – crédibilité de son récit).
Oui, Thierry Cohen est un communiquant. Et un bon. De ceux qui, avec des termes simples et des images fortes, avec cet art hélas si peu français de montrer par des mots richement imagés plutôt que de disserter inutilement à coup de périodes littéraires engoncées dans la bienséance rigide de l’Université (« Névrosons nos lecteurs, mes chers confrères, nous serons incompris mais estimés à la valeur que nous croyons nôtre ») – de ceux, oui, qui savent raconter une histoire.
Et c’est bien de valeur dont il est question dans le roman de Thierry Cohen. Tout au long des quatre cents pages du livre. De la valeur d’un homme. Des valeurs des autres hommes. Sans y toucher, Cohen aborde des questions profondes. Des questions – mais, de grâce, ne fuyez pas : celui-ci est un type bien, pas un fin lettré condescendant – des questions existentielles.
D’où l’insidieux doute, que j’entends zonzonner dans vos cerveaux, depuis tout à l’heure, comme une agaçante mouche d’été. « On est bien dans la rubrique polar, là ? » Oui, parce que « Je le ferai pour toi » est aussi prenant qu’un thriller réussi : des faits, de l’action, des personnages typés, une intrigue qui vous harponne violemment et vous entraîne, consentant ou pas, à la perte de votre innocence, jusqu’au tréfonds de l’horreur.
L’histoire
Quand il perd son fils Jérôme dans un attentat, Daniel Léman quitte lui aussi ce monde, à sa manière. Il n’est plus du côté des vivants : « Je me consacre à la mort », explique-t-il, habité par une seule idée : venger son enfant. Il décide de tuer le cheik qui a commandité cet attentat. Daniel abandonne sa femme et son autre fils, Pierre, pour traquer l’Islamiste jusque dans sa retraite londonienne.
En parallèle, un deuxième récit, sans lien apparent. Jean, un SDF, est kidnappé par un obscur groupuscule. Pas de revendication, pas de demande de rançon. Une simple feuille de papier envoyée à un présentateur de télévision sur le retour, aigri et affamé de revanche médiatique. Une simple feuille, et quelques mots : « Quelle est la valeur de cet homme ? »
En résumant ainsi l’intrigue de « Je le ferai pour toi », on en a déjà trop dit. Et pourtant rien n’est dit. Ni l’histoire de Daniel, jeune malfrat dont la bande de copains va se reformer pour l’aider ; ni sa rencontre improbable et merveilleuse avec Betty, ni son ascension professionnelle… Rien de son intelligence pour monter son plan vengeur, pour approcher le cheik…
Bien sûr tout ça est romanesque. Bien sûr, les deux récits sont intimement liés. Bien sûr, il y aura des coups de théâtre. Cela suffirait déjà à composer un bon roman. Mais Thierry Cohen va plus loin encore. Il transcende le tout en bouleversant nos certitudes, en interrogeant les hypocrisies de nos sociétés occidentales, de nos promptes tendances à nous élever contre… à nous mobiliser pour…
Laissez tomber…
Tout est-il aussi simple ? Cohen l’écrit : « En ce monde dérangé, la folie niche partout. Les hommes ont oublié le discernement, ne savent plus quelle part accorder à l’émotion et quelle place offrir à la compassion dans leur jugement. Ma rage n’est pas pire que l’égarement général. »
Cohen est un brillant communiquant. Il sait jouer avec les genres littéraires, jouer avec les… Mais brisons là. Si vous n’êtes pas convaincu, tant pis pour vous. « Je le ferai pour toi » est un livre dont on n’a pas envie de trop parler. Juste de le passer, de le prêter, de l’offrir. Parce que tout est dit dans ce roman et que le commenter est superflu. Indécent presque. Parce que si vous n’avez pas envie de réfléchir à la valeur de vos valeurs… laissez tomber.
Dans le livre, Cohen interroge Daniel qui voulait « écrire, simplement ». Pourquoi ne l’avait-il pas fait plus tôt ? « Sûrement n’avais-je rien de suffisamment intéressant à raconter ». Soyez sûrs d’une chose, braves (?) gens : maintenant, Cohen/Daniel a des choses à nous dire. Etes-vous prêts à les entendre ?
Olivier Quelier