Les Damnés de la terre : Jacques Allaire dénonce à grands coups de pinceaux inspirés le mal colonial

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Par Julie Cadilhac – bscnews.fr/ Jacques Allaire est un prodigieux conteur d’histoires. Véritable orfèvre des planches, il imagine ses spectacles comme des touts dont chaque mouvement est lié intimement aux autres, chaque décor contient déjà le suivant et l’on reste toujours admiratif de l’ingéniosité de cet artiste au génie plastique incontestable.

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La mise en scène des Damnés de la terre pourrait être qualifiée de cinématographique tant on est absorbé par la réalité des décors et des peaux, tant la qualité des lumières, des costumes et des maquillages baigne le plateau d’ocre et d’anthracite, donne l’impression vivace que notre regard traverse un filtre avant de se poser sur les comédiens, sur ce champ de coton d’Amérique ou encore cet asile militaire algérien. Et, le peintre, pour parachever sa toile, alterne des tableaux où le blanc perce sur le noir – et réciproquement- et sur lesquels jaillissent, par touches intestines, des éclaboussures de rouge sang. Outre la beauté primitive et originelle des décors et des corps peints, le jeu des comédiens, investi et souvent hébété de conscience, est terriblement juste ; les tableaux s’enchaînent avec une fluidité douloureuse et la prose de Frantz Fanon, puissante et bien écrite, ne laisse pas de répit à notre attention.
Jacques Allaire signe une pièce résolument engagée qui invite à se rappeler du mal du colonialisme, de la présence, plus ou moins larvée, du racisme encore aujourd’hui et de la nécessité pour l’être humain de prendre conscience de ses erreurs, de ses faiblesses qui, dans la nécessité, se muent inéluctablement en pathologies et en comportements bestiaux. Le metteur en scène a la volonté également de faire un théâtre  » au nom du peuple plutôt que pour le peuple » où le spectateur n’est pas convié pour être diverti mais pour s’interroger et partager un moment d’humanité. Une démarche louable et qui réussit, en plus, -ce qui n’est pas le cas de tous ceux qui aspirent à ce genre de représentation – à ne pas assommer son public avec des théories et des concepts indigestes mais qui lui offre, en plus de pistes de réflexion, un moment de théâtre appréciable. Si l’on n’a pas été complètement convaincu par le manichéisme des propos de Frantz Fanon qui défend une cause noble mais occulte des parts importantes de l’Histoire, si l’on pense que le propos aurait gagné en force en soulignant les horreurs de l’esclavage, de l’exploitation, du génocide sans positionner deux camps bien identifiables et ériger un banc des accusations que certains trouveront inconfortables, on conseille tout de même de ne pas passer à côté de cette création aussi singulière que passionnante !

Les damnés de la terre
Un spectacle de Jacques Allaire
D’après les écrits de Frantz Fanon
Scénographie: Jacques Allaire et Dominique Schmitt
Lumiere: Christophe Mazet
Son: Guillaume Allory et Jacques Allaire
Costumes: Wanda Wellard
Photos: Laurence Leblanc Vu
Avec Mounira Barbouch, Lamya Redragui, Amine Adjina, Mohand Azzoug, Jean-Pierre Baro et Criss Niangouna
Durée: 1h50

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Dates de représentations:

Du 5 novembre au 6 décembre 2014 au Tarmac à Paris

Du 18 au 21 mars 2014 au Théâtre Jean Vilar à Montpellier

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