Notre lecture de « La Danseuse » (octobre 2024) croyait déceler dans ce roman le signe annonciateur d’un moment charnière de l’œuvre romanesque. Nous y voilà.

« Un autre personnage bizarre visitait souvent l’atelier d’Ezra Pound au 70 bis de la rue Notre-Dame-des-Champs : Georges Ivanovitch Gurdjieff. On ignore quelle est sa vraie date de naissance ». Le doute n’est pas permis : ceci est du Modiano pur jus. A ceci près que le narrateur n’a pas croisé ces hommes, lesquels n’appartenaient pas au milieu interlope qui lui est cher.
Le grand cycle romanesque du prix Goncourt 1978 a buté contre l’époque contemporaine. Pour preuve, l’apparition d’un téléphone portable dans son dernier roman. Se taire ou défier le temps ? A l’ instigation du musicien Christian Mazzalai, Modiano s’est immergé dans les archives du temps où Montparnasse était encore un village. Pousser la porte du 70 bis rue Notre-Dame-des Champs fut pour ce tandem de curieux invétérés comme découvrir la caverne d’Ali Baba. Le livre d’or de cette ruche enchantée est étonnant : rapins et diasporas, célébrités et découvertes, Camille Claudel et Xavier de Montépin (auteur oublié de La Porteuse de pain),
Rodin et sa belle santé galante. Aussi un certain Toulmouche, au patronyme éminemment modianesque, ou encore la sculptrice Anna Coleman Ladd, qui proposa des masques pour soldats mutilés.
Mazzalai et Modiano ont mis tellement de cœur à découvrir et exploiter les archives de tout ce beau monde que l’on ne serait pas surpris de les retrouver, un jour ou l’autre, en urbexeurs compulsifs.

« 70 bis entrée des artistes », Patrick Modiano, Christian Mazzalai Gallimard, 25 €