Bertrand Leblanc-Barbedienne: « L’idée même de souveraineté technologique est pour Microsoft ce que la citronnelle est aux moustiques : un répulsif »

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Bertrand Leblanc-Barbedienne, Fondateur de SouveraineTech, aborde dans ce passionnant entretien sans concession la souveraineté technologique française, les dangers du soft power américain et la quête d’indépendance intellectuelle face à une normalisation orwellienne des discours. Il est question également de l’utilité et du rôle de Telegram face à la doxa. Une vision audacieuse pour un avenir libéré des dépendances étrangères.

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Vous parlez de « souveraineté technologique » comme étant la maîtrise des outils nécessaires à une communauté.  Selon vous, dans quel domaine la France est-elle le plus vulnérable face à une dépendance technologique étrangère ?

La technologie, ça n’est pas la technique. La technologie, c’est le discours moral sur la fin et les usages de nos outils et moyens. Mais comme la technique est insidieusement devenue, par notre maladive aspiration à l’optimisation de l’optimisation son propre but, nous nous sommes mis à employer le mot technique à la place du terme de technologie. Ce qui nous prouve prive, vous le voyez, de toute prise de recul sur la marche forcée du « progrès » technique. La souveraineté, quant à elle, est le pouvoir de pouvoir, et tout particulièrement, celui qui git dans les mains du peuple, qui le confie dans celles de ses représentants au service du Bien Commun de la nation. La souveraineté technologique consiste donc dans le pouvoir de déterminer seuls, sans nous trouver sous quelque influence ou dépendance dispensable que ce soit, les outils dont nous avons besoin, à quelles fins exactes, à quel prix, et comment subvenir aux besoins afférents à cette ambition.

Dans quel domaine la France est-elle le plus vulnérable face à une dépendance technologique étrangère ?
Ma réponse risque de vous surprendre : C’est dans le domaine cognitif, culturel, politique que notre plus grave dépendance nous empêche d’agir. Nous sommes sous influence, sous ingérence atlantique. Nous subissons un « huge » soft power dont nous n’avons même plus conscience. Je vous donne un exemple qui vous semblera peut-être dérisoire ou anodin. Pourquoi la quasi-totalité des t-shirts en vente dans les grandes surfaces sont-ils marqués de références culturelles américaines ? Qu’est-ce que je peux bien avoir à faire de UCLA ou de Surfing California quand j’ai dans mon propre pays les plages d’Hossegor et HEC ? Tout commence à ce stade. Et finit tôt ou tard, en pâmoison au pied de la vallée de silicone.

 

« Pourquoi la quasi-totalité des t-shirts en vente dans les grandes surfaces sont-ils marqués de références culturelles américaines ? Qu’est-ce que je peux bien avoir à faire de UCLA ou de Surfing California quand j’ai dans mon propre pays les plages d’Hossegor et HEC ? »

 

Et comment y remédier ? Est-elle notre meilleure arme de défense notamment sur le plan technologique ?

Notre meilleure arme est intellectuelle. Mais encore faut-il la fourbir. Nous devons former une nouvelle génération de jeunes conquérants fiers de leur héritage, de leur pays, de leur culture, qui vont se lancer dans le monde avec le même appétit que nos ancêtres. Au plan technologique, nous n’avons rien à envier à personne. RIEN. Et il faut mettre un terme à la fascination que nous inspire le Nouveau Monde, destination favorite, soit dit en passant, de nos cerveaux. Mais cela suppose de renoncer à notre économie dirigiste qui ne parvient pas à se défaire de son addiction fiscale vexatoire. Economiquement, rien n’engage vraiment à entreprendre dans le domaine technologique sinon la perspective morbide d’un exit financier qui ne profite qu’aux capitaux-risqueurs. Ainsi qu’aux pays qui viennent acheter nos entreprises quand nous les avons suffisamment gavées de capitaux, comme on cueille un fruit quand il est bien mûr.

 

« Nous devons former une nouvelle génération de jeunes conquérants fiers de leur héritage, de leur pays, de leur culture, qui vont se lancer dans le monde avec le même appétit que nos ancêtres »

 

Quel est votre rapport à la souveraineté ?
Il est de nature passionnelle et rationnelle à la fois. C’est un très beau mot qui n’a rien perdu ni de de son sens ni de sa valeur, comme essaient vainement de nous le faire reconnaître certaines personnes payées pour ne pas le comprendre. Je crois profondément dans la souveraineté des nations, c’est à dire à leur capacité mais aussi leur devoir de se maintenir dans le temps, de subsister, pour le bien des familles dont elles sont elles-mêmes les familles. C’est une notion à défendre becs et ongles contre la tendance de notre époque à atomiser l’individu après l’avoir dévêtu des traditions et des corps intermédiaires qui assuraient sa protection, sa félicité et ses libertés. Nous sommes des animaux politiques, et la meute est nécessaire à notre survie. Aussi, tout ce qui va dans le sens de l’isolement de la personne, par exemple en lui faisant croire qu’elle est vraiment libre en présidant seule au choix de ses achats constitue une menace pour les peuples. J’ai la faiblesse de croire que le nôtre, aussi parcouru soit-il de divisions plus ou moins naturelles, a l’intuition de ce qui peut le garder intact, face à une élite technocratique déracinée composée majoritairement de politiques de carrière, dont la parole est chaque jour un peu plus démonétisée.

 

« C’est une notion à défendre becs et ongles contre la tendance de notre époque à atomiser l’individu après l’avoir dévêtu des traditions et des corps intermédiaires qui assuraient sa protection, sa félicité et ses libertés »

 

Vous mentionnez que certains acteurs récusent même l’idée de souveraineté technologique. Quelles sont, selon vous, les principales objections à cette notion, et comment y répondez-vous ?
L’idée même de souveraineté technologique est pour Microsoft ce que la citronnelle est aux moustiques : un répulsif. Alors vous imaginez les arguments qu’une telle entreprise peut porter contre la souveraineté. « Le monde est global, il repose sur les infrastructures logicielles, sur la donnée, alors il faut être capable de répondre à ses attentes au niveau planétaire, avec des biens et des services susceptibles de monter en charge à grande échelle et rapidement. La souveraineté technologique, c’est la fuite, le repli sur soi, le pré carré, l’autarcie, le protectionnisme, le scorbut, l’irish Coffee sans crème fleurette et les jours sans soleil. Vous pensez sans doute que je caricature ? Que répondre à cela ? Que le gigantisme conjugué au solutionnisme ne représentent définitivement pas une vision viable de l’avenir. Nous devons comprendre une bonne fois pour toutes que l’uniformisation du monde, son homogénéisation couchée devant l’autel du demi-dieu Marché n’est pas la solution, que le village global est un dangereux mythe, et que nous avons besoin de conserver les seules organisations qui nous maintiennent : les nations.

 

« L’idée même de souveraineté technologique est pour Microsoft ce que la citronnelle est aux moustiques : un répulsif. »

 

Vous évoquez la fin possible de la stricte confidentialité à cause des plateformes chiffrées comme Telegram. Comment concilier, selon vous, la lutte contre les crimes transfrontaliers tout en garantissant le droit à la vie privée et à la confidentialité pour les citoyens ?

C’est un problème cornélien. Partout où le secret est permis se trouve le risque qu’y soit fait de lui un usage malicieux. Partout où la malice peut pointer son nez, se trouve le risque de restreindre les libertés au nom de la sécurité. On retourne quasiment dans le jardin d’Eden ! La question n’est pas technique, elle est morale, philosophique. La plateforme chiffrée, c’est un levier, considérable certes, mais un levier seulement. Honnêtement, je peine à vous répondre. Mais laissez-moi vous dire toutefois que je suis bien plus inquiet pour l’avenir de nos libertés publiques que pour celui de notre sûreté.

 

« Nous devons comprendre une bonne fois pour toutes que l’uniformisation du monde, son homogénéisation couchée devant l’autel du demi-dieu Marché n’est pas la solution, que le village global est un dangereux mythe, et que nous avons besoin de conserver les seules organisations qui nous maintiennent : les nations. »

 

Vous critiquez la “normalisation orwellienne” des discours imposés en Occident. Pensez-vous que les plateformes comme Telegram et X jouent un rôle de refuge pour ceux qui se sentent étouffés par ces normes, et quel impact cela pourrait-il avoir sur la liberté d’expression à long terme ?
Dans à peu près tous les domaines, la pensée a bel et bien été formatée. Vous ne pouvez plus vous exprimer librement si votre point de vue diffère un tant soit peu de la doxa. Politique, économie, bioéthique, principes traditionnels, prophylaxie, géopolitique. C’est assez amusant de constater d’ailleurs une forme d’inversion des valeurs dans le cadre d’un nouveau puritanisme moderne, où tout ce qui heurte le prêt à penser choque ou blesse immédiatement de la même manière qu’autrefois les croyants sans grande souplesse. Le clergé a juste changé de costume. Dans ce cadre, comment s’étonner du fait que nous ayons besoin de canaux dérivatifs. Pour quoi faire ? Eh bien commenter librement le Réel, échapper à l’inquisition nominaliste, qui décide de ce qui est par la façon même dont elle se représente le monde. C’est une funeste résurgence de la vieille querelle médiévale des Universaux. Est-ce que le grand banditisme ou la criminalité savent gré à Telegram de les avoir fait progresser dans l’organisation de leurs sinistres affaires par rapport au temps du pot de yaourt à fil ? Certainement. Mais on n’interdit pas les bois parce que des margoulins s’y donnent rendez-vous pour intriguer. Peut-être qu’on y envoie quelqu’un faire le guet.

 

« Dans à peu près tous les domaines, la pensée a bel et bien été formatée. Vous ne pouvez plus vous exprimer librement si votre point de vue diffère un tant soit peu de la doxa. Politique, économie, bioéthique, principes traditionnels, prophylaxie, géopolitique. »

 

Vous soulignez que les outils numériques sous juridiction américaine, via le “lawfare”, posent un défi à la souveraineté européenne. Comment l’Europe pourrait-elle mieux défendre sa souveraineté technologique face à ces enjeux ?

Pour commencer je ne crois pas une seconde dans l’idée d’Europe souveraine. Il s’agit d’un oxymore. L’Union européenne est la forme politique qu’ont choisie (il faut le dire vite) un certain nombre de nations souveraines (là aussi, ne nous attardons pas trop). Elles forment un ensemble dont nous avons intérêt à accroître la puissance collective, mais certainement pas à subir l’illégitime pouvoir descendant. Pourquoi illégitime ? Parce qu’il sort parfois, souvent, des attributions dans lesquelles il devrait être exercé. Regardez par exemple ce qui se passe au niveau de la politique extérieure, dans le cadre du conflit entre la Russie et l’Ukraine. Qui a permis quoi, au sein de nos peuples ?
Dès lors, comment pouvons-nous défendre la souveraineté des vieilles et belles nations européennes ? Une fois encore, le problème est d’essence politique. Et l’on ne le règlera que par la voie politique. A titre personnel, je pense que c’est par la formation de nos futures élites aux arcanes et enjeux de l’intelligence économique que nous reprendrons la main en la matière. Nous avons la chance d’avoir en France deux écoles de premier rang dont c’est la vocation : l’Ecole de Guerre Economique et l’Ecole Européenne d’Intelligence Economique. Si j’avais à conseiller de jeunes bacheliers en matière d’orientation, je leur recommanderais d’aller frapper à la porte de l’un ou l’autre de ses établissements. Outre le fait qu’ils y obtiendraient la garantie une certaine sécurité sur le marché du travail, ils rendraient un fier service à notre pays.

 

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