Vous éditez le blog « Au pays des souris ». Quel en est la genèse ?
Le Pays des Souris fait référence au discours du sénateur nord américain Tommy Douglas. Il a été mis en image et traduit en français sur Youtube (https://www.youtube.com/watch?v=4qJQCwudM7Q). Ce discours évoque l’idée que nous serions un peuple de Souris et que nous déléguons notre représentation à des Chats qui, bien entendu, dirigent le pays dans l’intérêt des Chats, non celui des Souris. J’ai adapté ce discours à la situation de la France post 2012. (Texte à lire ici)
Tout l’intérêt de ce discours est de pointer notre propre renoncement à diriger nous-mêmes notre pays et à nous contenter de changer la couleur du Chat que nous élisons tous les 5 ans ; comme s’il suffisait de changer la couleur des Chats pour changer la vie des Souris…
A travers mes différents articles, je cherche à dénoncer les dysfonctionnements de notre démocratie, le rôle pervers des médias, et à inciter les Français à prendre conscience de leur capacité à agir, à devenir de véritables citoyens et non de simples électeurs.
Comment expliquez-vous que depuis plusieurs mois, il y a de nombreux candidats citoyens qui se sont lancés dans la course à la présidentielle ? Un processus démocratique hérité des Gilets jaunes ?
L’extraordinaire floraison d’initiatives citoyennes confirme les aspirations des Français à participer à la vie publique et à s’engager en faveur de l’intérêt général. Ils donnent chaque jour des preuves concrètes de leur motivation à servir leur pays, loin des querelles d’appareils qui constituent à leurs yeux l’essentiel d’une vie politique dont ils s’éloignent chaque jour davantage. Nos concitoyens, s’ils sont prêts à s’engager, ne croient plus aux injonctions venues « d’en haut » émanant d’autorités perçues comme déconnectées de la vie réelle et donc illégitimes. Ils s’émancipent des idéologues et cherchent à agir avec pragmatisme et inventivité. Ces initiatives témoignent de la formidable vitalité démocratique de notre pays. Elles prouvent l’intérêt des citoyens pour la chose politique et leur ambition à y prendre part.
Le mouvement des Gilets Jaunes a été l’une des manifestations de la crise démocratique que traverse notre pays. La grande force des Gilets Jaunes est d’avoir agit comme un révélateur. Tout à coup, des gens ordinaires, bien élevés et sans histoire se sont laissés aller à une violence qui échappait à toute analyse politique. Ces gens habituellement raisonnables revendiquaient le droit de vivre dignement de leur travail sans avoir à prendre un crédit Cetelem pour payer leurs charges courantes.
Les Gilets Jaunes sont la conséquence de décennies de trahison politique, dont l’épisode le plus symbolique a été la ratification du traité de Lisbonne qui n’était que le copié-collé du traité constitutionnel de 2005 refusé par 55 % des Français.
« Le mouvement des Gilets Jaunes a été l’une des manifestations de la crise démocratique que traverse notre pays. La grande force des Gilets Jaunes est d’avoir agit comme un révélateur. Tout à coup, des gens ordinaires, bien élevés et sans histoire se sont laissés aller à une violence qui échappait à toute analyse politique »
Avec le mouvement des Gilets Jaunes, les petites Souris ont prouvé leur capacité à se mobiliser contre une politique économique menée depuis des années par, et au service, des Chats. Mais, après le temps de la démonstration de force, vient nécessairement celui de l’engagement construit, de la réflexion collective et structurée, de l’élaboration de propositions concrètes, de la reprise en main des décisions qui les concernent. Car c’est bien sur le terrain politique que les choses peuvent changer, pas dans la rue.
Sur votre blog, vous posez la questions suivante : « sommes nous gouvernés par des chats? » Qu’appelle cette question ?
C’est avant tout une prise de conscience. L’esprit de la démocratie a été détourné par, et au profit de Chats sans scrupules qui écrivent les règles d’un jeu dont les Souris sont exclues. Or, il est capital de comprendre que la démocratie est un bien commun et que nous devrions en être les principaux acteurs. C’est sous cet angle que nous devrions aborder le scrutin de 2022. Mon livre « Prendre le risque de la démocratie », qui sortira début octobre, traite de cette problématique de démocratie confisquée et d’engagement citoyen.
« L’esprit de la démocratie a été détourné par, et au profit de Chats sans scrupules qui écrivent les règles d’un jeu dont les Souris sont exclues »
Comment expliquez-vous une abstention endémique qui s’est grandement accélérée ces dernières années et notamment sur les Municipales ?
Concernant les Municipales, je me permets un léger bémol car je pense que la crise du Covid est en grande partie responsable de la désaffection des urnes sur ce scrutin-là en particulier. En revanche, et d’une manière générale, on ne peut que constater une évolution dramatique de l’abstention qui est désormais majoritaire à chaque élection. Les politiciens ont beau jeu de pleurnicher sur les plateaux TV mais cette abstention est une véritable aubaine pour eux car ils sont élus plus facilement, sans opposition, avec les votes de leurs militants.
Ce qui est important avec de tels niveaux d’abstention est de bien comprendre ce qu’elle tente d’exprimer.
Je pense que la grande majorité des abstentionnistes expriment davantage un rejet ou un ras-le-bol plutôt qu’un désintérêt. Il me semble que les Français sont à la fois lucides, conscients et excédés par 30 années de pratiques, magouilles et autres mensonges politiques. Ils n’en peuvent plus. Malheureusement le message de l’abstention est sans effet et offre une porte de sortie aux élus qui préfèrent voir des mauvais citoyens qui s’abstiennent plutôt que des mauvais candidats qui n’arrivent pas à convaincre.
Pour plus de détail, j’ai écrit un article sur le sujet : Abstention, piège à cons ? (https://www.stephaneguyot.fr/abstention-piege-a-cons)
« Les politiciens ont beau jeu de pleurnicher sur les plateaux TV mais cette abstention est une véritable aubaine pour eux car ils sont élus plus facilement, sans opposition, avec les votes de leurs militants »
Selon vous, est-ce que la reconnaissance du vote blanc pourrait-il réconcilier une partie des citoyens avec le devoir électoral ?
Je crois en effet que c’est la clef. En tout cas c’en est une…
Si on considère que les abstentionnistes sont des citoyens intéressés par la chose politique mais déçus par une offre jugée défectueuse, il est capital d’accorder à ces électeurs les moyens d’exprimer leur insatisfaction. Il ne s’agit nullement de prôner une forme de nihilisme mais de permettre l’expression d’une exigence citoyenne à l’endroit de ceux qui prétendent nous représenter. Le vote blanc est cet outil démocratique qui rétablit le dialogue entre l’électeur et l’élu. Son intérêt est de permettre aux électeurs insatisfaits de dire clairement leur opposition aux candidats en lice. Contrairement à l’abstention, son message est unique et n’autorise qu’une seule interprétation : aucun candidat ne convient.
La démocratie ce n’est pas uniquement être d’accord avec tel ou tel autre candidat. C’est aussi de pouvoir dire NON, lorsque cela est nécessaire. Il est clair en tout cas que si les abstentionnistes votaient ‘’blanc’’ au lieu de se taire, leur message contestataire serait autrement plus audible.
« La démocratie ce n’est pas uniquement être d’accord avec tel ou tel autre candidat. C’est aussi de pouvoir dire NON, lorsque cela est nécessaire »
Et pourquoi nos élites politiques rechignent à le mettre en place ?
Le vote blanc a un point commun avec le RIC. Dans les deux cas, leur sort dépend de ceux qui en ont peur et qui n’ont donc aucun intérêt à ce qu’ils soient mis en place. Dans le cas du vote blanc, la raison est simple.
En cas de votes blancs majoritaires, le scrutin se verrait annulé et les candidats éliminés. Un nouveau scrutin devrait avoir lieu avec de nouveaux candidats. On comprend donc aisément le peu d’engouement des politiciens à légiférer en faveur d’un outil qui pourraient les éliminer et ruiner leur carrière.
Mais l’intérêt du vote blanc ne se résume pas uniquement au second tour. Dès le premier tour, il permettrait de cristalliser la contestation sur un outil, non sur un candidat. Il entend ainsi renouer avec l’esprit du vote d’adhésion en ne laissant accéder au second tour que les deux candidats ayant reçus le plus de votes de soutien à leur projet.
Et le vote obligatoire est-il une possibilité selon vous ?
Le vote obligatoire est une mauvaise idée de politicien qui refuse d’admettre que le problème vient des candidats, pas des électeurs.
Le problème du vote obligatoire est qu’il ne résout en rien les causes de l’abstentionnisme. Il ne fait que répondre à ses conséquences, sans se soucier des raisons profondes qui ont poussé l’électeur à bouder le scrutin. Il me fait ainsi penser à un dentiste qui, plutôt que de soigner la carie qui ronge la dent de son patient, se contente de lui administrer une bonne dose de paracétamol pour faire passer la douleur. C’est ça le vote obligatoire. Un cautère sur une jambe de bois qui évite de prendre le mal à la racine.
En tant qu’ardent défenseur du vote blanc, je dirais même que le vote obligatoire est son meilleur ennemi. La raison est simple. En obligeant les abstentionnistes à voter, ceux-ci utiliseront le bulletin blanc, non par conviction, mais uniquement pour éviter les sanctions (administratives ou financières) liées à l’obligation de voter.
Le vote blanc deviendra alors une sorte de fourre-tout indéfinissable dans lequel se retrouveront des votes contestataires et des votes « je veux pas payer d’amende ».
C’est une sorte d’enterrement 4 étoiles.
Mais au lieu de contraindre les électeurs à voter pour des candidats qu’ils n’ont pas choisis, je préfèrerais qu’on oblige les 47.462 élus qui disposent d’un droit de parrainage afin qu’ils parrainent un(e) candidat(e), quel qu’il/elle soit, pour 2022. Ils n’étaient que 14.296 à parrainer un candidat en 2017. Ce chiffre est en baisse constante depuis 20 ans. Il représente une abstention de près de 70% chez les élus. Ceci a pour effet de laisser le champ libre à des candidats de partis politiques dont le nombre d’adhérents, tous partis confondus, ne représentent pas plus de 1% des personnes en âge de voter, fragilisant ainsi le principe de représentativité sur lequel repose notre édifice démocratique. En refusant délibérément d’exercer leur droit à parrainer un candidat, ces « élus réfractaires » interdisent toute forme de pluralisme et se rendent coupables de « non-assistance à démocratie en danger ».
« Au lieu de contraindre les électeurs à voter pour des candidats qu’ils n’ont pas choisis, je préfèrerais qu’on oblige les 47.462 élus qui disposent d’un droit de parrainage afin qu’ils parrainent un(e) candidat(e), quel qu’il/elle soit, pour 2022. Ils n’étaient que 14.296 à parrainer un candidat en 2017. Ce chiffre est en baisse constante depuis 20 ans »
Vous évoquez notamment sur votre blog le jugement minoritaire. En quoi cela consiste-t-il en quelques mots ?
Comment faut-il interpréter un résultat de second tour lorsque le gagnant totalise 51% des voix et le perdant 49% ? Les deux candidats sont-ils excellents au point de ne pouvoir être départagés ? Sont-ils, au contraire, tellement décevants qu’aucun des deux n’aura réussi à réellement convaincre ?
Comment éviter que les perdants du premier tour ne réapparaissent en bonne place auprès d’un des finalistes ? N’ont-ils pas été éliminés par les électeurs lors du premier tour ?
Le Jugement Majoritaire est un système de vote conçu pour éviter les travers du scrutin uninominal majoritaire à 2 tours. Les électeurs donnent leur avis sur tous les candidats, indépendamment les uns des autres, en utilisant un barème d’évaluation équivalent à celui du BAC : Assez bien, Bien, Excellent, insuffisant ou A rejeter. Celui qui aura atteint la meilleure mention majoritaire sera désigné vainqueur. Ce système de classement facilite l’expression d’un suffrage par évaluation. Manifester son soutien à un candidat ou marquer sa désapprobation devient possible. Le vainqueur est désigné en un seul tour.
La méthode du jugement majoritaire offre l’avantage de donner une réelle lisibilité aux résultats et d’apprécier plus précisément l’opinion des électeurs. Elle protège contre le risque des candidatures multiples et rend caduc le principe de vote utile. Un tel système, même s’il est imparfait, montre qu’il est possible d’envisager un processus électoral différent, plus juste et plus respectueux de l’opinion des gens.
Vous évoquez votre candidature en 2022 pour la Présidentielle. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Ma candidature de 2017 avait pour ambition d’incarner un « vote blanc qui compte » avec pour conséquence la mise en place d’une Constituante. Cette candidature avait été estimée à 10% d’intentions de vote par l’institut IFOP. Malheureusement, ce sondage est resté sous embargo. Aucun média n’a jugé opportun de le relayer. Mon livre revient sur les raisons de ce silence médiatique.
L’expérience de 2017 m’a amené à imaginer de quelle manière je pourrais le faire évoluer afin de répondre à l’urgence de 2022. De nombreux amis et lecteurs du Pays des Souris me poussent vers une nouvelle candidature. Certains ont même proposé mon nom à la Primaire Populaire. Mais pour être candidat il faut bien plus que des idées et des soutiens. Les 500 parrainages constituent un obstacle quasi insurmontable pour une petite Souris qui voudrait bousculer le monde des Chats.
Je ne suis donc candidat à rien si ce n’est contribuer, à mon humble niveau, à une réflexion globale de rénovation démocratique et participer, le moment venu, à un projet citoyen de reconquête du pouvoir.
« Ma candidature de 2017 avait pour ambition d’incarner un « vote blanc qui compte » avec pour conséquence la mise en place d’une Constituante. Cette candidature avait été estimée à 10% d’intentions de vote par l’institut IFOP. Malheureusement, ce sondage est resté sous embargo. Aucun média n’a jugé opportun de le relayer »
Enfin, comment jugez-vous le rapport qu’entretien Emmanuel Macron avec la démocratie ?
Le moins que l’on puisse dire est que la Macronie rime davantage avec monarchie qu’avec démocratie. Je pense par exemple à la gestion de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Ce projet, vieux de 53 ans, était en effet l’aboutissement d’une procédure administrative longue et complexe. Les électeurs de Loire Atlantique s’étaient prononcés à 55,17% en faveur du projet. La quasi totalité des élus locaux s’étaient également déclarés favorables. Au total, ce ne sont pas moins de 180 décisions de justice qui avaient été rendues, toutes en faveur du maintien du projet de construction du nouvel aéroport. Mais, au mépris des ces consultations et des 180 décisions de justices, Emmanuel Macron s’est comporté comme un monarque en décidant, seul, d’annuler le projet.
L’actuelle gestion de la crise du Covid est également emblématique du caractère quasi monarchique de la présidence Macron et de son rapport à l’exercice du pouvoir. Les décisions sont prises au sein d’un Conseil de sécurité opaque réunissant Emmanuel Macron lui-même et une poignée de conseillers que personne n’a élu. Le parlement est écarté de la décision publique ; la représentation du peuple totalement ignorée. Il n’existe aucun contre-pouvoir populaire pour contrôler l’action des élus.
Si Marine Le Pen avait été élue en 2017 et s’était comportée ainsi, c’est la presse qui défilerait dans la rue tous les week-end, la main sur le coeur, pour crier à la défense de la démocratie…
Son livre est à paraître en octobre 2021 – « Prendre le risque de la démocratie » de Stéphane Guyot.