Jean d’Ormesson : l’enfant de cœurs et le ravi de la crèche

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La grâce n’est pas donnée à tout le monde. Certains l’aiment chaude, d’autres l’effleurent à la sauvette, comme les frotteurs du métropolitain.

Un chroniqueur réputé pour ses succès en cascade auprès du beau sexe proclamait que les préfaces, elles aussi, sont faites pour être sautées. Gardez-vous de lui emboîter le pas, au moment d’apprécier le second volume en Pléiade des œuvres de Jean d’Ormesson. L’ouverture (comme on le dit pour un grand opéra) de Philippe Berthier vaut son pesant de pertinence et de conviction lucide. Il répond pied à pied à cet hommage doux-amer de Giesbert à son illustre aîné « Tu incarnes ce que nous avons toujours rêvé d’être, nous autres Français : des gentilshommes bien dans leur peau, au teint hâlé, les pieds nus dans leurs mocassins beurre-frais, les cheveux encore mouillés après leur bain de mer. Afficher son bonheur est la meilleure façon de se faire des ennemis, mais à la longue tu les as tous lassés ou semés. C’est ainsi que tu es devenu un grand monument national, quelque part entre la tour Eiffel et le château de Versailles ». Berthier rappelle qu’Ormesson est entré très progressivement en littérature et non pour obéir à une irrépressible vocation, le peu d’écho rencontré par ses premiers livres l’ayant même conduit à faire mine de prendre ses distances avec ce flirt ingrat, par un « Au revoir et merci », signé à quarante et un ans. L’immersion dans « les  flots limoneux du journalisme » (Berthier encore) sera son Jourdain. Il en reviendra, durablement déterminé à courtiser cette écriture qui n’allait pas lui céder facilement et vite. Jean d’Ormesson sera toujours un grand travailleur organisant ses journées à la manière d’un bénédictin (Philippe Dufay a vu en lui un « ermite de salon »). Son hygiène de vie l’’inclinera à cousiner avec celle de Gaston Gallimard, dont les affinités électives fondamentales furent, dans l’ordre decrescendo : les bains de mer, les femmes, les livres. De l’importance de savoir nager entre plus de deux eaux. Choisis par d’Ormesson, les titres rassemblés dans ce second volume incarnent la voie royale de celui qui passait pour l’ambassadeur médiatique de l’Académie Française. Ils permettent d’évaluer l’évolution – la constance – de ses préoccupation et de sa manière sur près de quarante ans. Elles donnent la mesure d’une œuvre dont on ne sait encore quel sort la postérité lui réservera, beaucoup de tympans contemporains demeurant irrités par les larsens des trompettes de la renommée.
Bien que béni des dieux, Jean d’O a fait peu de cas de leur maître à tous. Peut-être ne voulait-il pas introduire le loup parmi les bergères légères. Son panthéon doit compter plus de luronnes que de sages baronnes. Dans un récent ouvrage posthume, cet enfant de coeurs l’avait remercié simplement, par anticipation, pour service rendu « Grâce à Dieu, je vais mourir », ultime pirouette d’un immortel qui confessait à François Sureau (*) : « Je ne déteste pas, une fois tous les deux ans, revêtir mon uniforme pour assister à l’enterrement d’un de mes pairs ». L’attachement à Dieu de Franz-Olivier Giesbert pénètre une autre dimension, celle de la foi du charbonnier, qui vous donne en permanence l’air du ravi de la crèche. Foin de théologie, donc, dans cet exercice d’érudition où FOG prend le risque de passer pour un pharisien. Il convoque le ban et l’arrière-ban des beaux esprits et des systèmes philosophiques dominants, de François d’Assise à Thérèse d’Avila, d’Epicure à Spinoza, du bouddhisme au soufisme, via l’hindouisme. Puisque l’habitude est une seconde nature et parce qu’il ne veut pas passer pour un avaleur de couleuvres de bénitier, le frère Giesbert professe son immense admiration pour Giordano Bruno, hérétique flamboyant. S’il occupait une cellule monacale, on ne s’étonnerait point d’y trouver punaisé un poster de Brigitte Bardot, preuve immanente que Dieu créa la femme. Son jardin des oliviers se trouve à Mérindol la bien nommée. En prime, le guide propose quelques adresses où trouver Dieu. Méditez en outre cette sentence qui vaut son pesant d’indulgences plénières : De nos jours, on est tellement sûr d’être éternel qu’on meurt sans le savoir.

« Œuvres II », Jean d’Ormesson, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade. Edition établie par Philippe Berthier ; chronologie par Bernard Degout. Ce volume contient : Le Vagabond qui passe sous une ombrelle trouée ; La Douane de mer ; Voyez comme on danse ; C’est une chose étrange à la fin que ce monde ; Comme un chant d’espérance ; Je dirai malgré tout que cette vie fut belle. Avec des notices et documents, dont l’accueil critique des œuvres. 59,50 euros, prix de lancement
(*) « Garçon de quoi écrire », Jean d’Ormesson, François Sureau. Gallimard, 1989. Réédité en Folio
« La dernière fois que j’ai rencontré Dieu », Franz-Olivier Giesbert, Gallimard, 18 euros

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