Stanislas de la Tousche : « Céline, je peux dire que je l’ai dans les nerfs ! »

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Stanislas de la Tousche ne joue pas Céline. Il l’incarne, se fond au personnage jusqu’à nous mettre en présence du sulfureux auteur qui fait toujours polémique près de 60 ans après sa disparition. Acteur hors-pair, Célinien avéré, de la Tousche nous entraîne dans les méandres de l’œuvre, de l’homme, des deux (dé)mêlées… Et il parvient à étonner les plus réticents comme ce fut le cas au festival d’Avignon où il a fait le plein à chaque représentation. D’où vient donc cet interprète qui pousse le talent jusqu’à ressembler à Louis-Ferdinand…

propos recueillis par

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Rien ne prédisposait, hormis son patronyme, cet acteur à devenir comédien. Après une tentative avortée d’études économiques à la Fac, il n’abordera le métier qu’à 25 ans tout en rêvant de pouvoir un jour jouer seul et de travailler sur Céline. C’est fait et ce montage en « dentelle célinienne » est le fruit d’une collaboration de trois ans avec Géraud Bénech, dans une complicité et une proximité rares.
Nous avons voulu approcher cet homme qui redonne sens et vie à la langue de son maître, jusqu’à en épouser le phrasé, au point qu’on serait tenter de paraphraser Flaubert en écrivant : Louis-Ferdinand c’est moi…

 

Stanislas de la Tousche vous avez été formé par Stéphane Lory puis par Blanche Salant, et Eduardo Galhos. Du solide ! Que vous ont-ils apporté ?
Du solide, vous pouvez le dire ! Et je n’y étais pas préparé ! Stéphane Lory – installé depuis au Québec – était imprégné de l’enseignement d’Antoine Vitez qui, dans les années 70/80, s’employait avec méthode à dynamiter l’académisme régnant au conservatoire de Paris. L’ensemble était corrigé par une forme de religiosité (que je vénérais) cultivée dans les arts martiaux pour révéler l’organicité de l’acteur ; je peux dire que j’ai reçu à grande ampleur la verticalité du théâtre ! Je ne savais pas conduire un texte pour autant !… Du coup je me suis entiché de la méthode de l’Actor’studio, où là, c’était sûr, tous les outils s’offraient quasi scientifiquement pour construire ce fameux acteur/personnage parfaitement autonome et naturel, avec le jeu des acteurs américains à l’instar de Brando, de Niro, Frederick Forrest… Bon ! Je dois avouer que les cogitations existentialistes dans les cafés de Paname ne m’ont pas vraiment aidé à y voir clair dans ce marasme. Eduardo Galhos est arrivé en formidable pédagogue, porteur de la méthode de Jacques Lecoq : ce fut le sauvetage. Par le corporel. Tout y était formidablement balisé, le psychologisme banni, ouvrant au contraire la voie à tous les possibles, via la tragédie, le travail avec masque, la pantomime, le clown, la Commedia dell’Arte… En fait, ils n’ont fait que révéler ce qui était en vous… Et ce devrait être le propre de tout enseignement ! la méthode Montesori en somme… juste ! Simplement on n’est pas toujours prêt à recevoir ce signe à tel ou tel moment, et avec cette personne là en particulier : je ne savais pas que j’étais inhibé à ce point mais que c’était si facile de s’ouvrir pourvu que…

 

« Je peux dire que j’ai reçu à grande ampleur la verticalité du théâtre ! Je ne savais pas conduire un texte pour autant ! »

 

Vous souvenez-vous d’une lecture, d’une rencontre, d’un spectacle vous ayant révélé au théâtre ?

Il y a eu une belle rencontre muette, lors de travaux de fin de trimestre, dans un cours d’art dramatique assez scolaire censé nous apprendre à proférer joliment un vers de Musset …. Jean-Louis Trintignant était là pour soutenir sa fille. Tout le cours était en émoi, à en perdre ses moyens… Et moi, je m’entends encore envoyer avec une vibrante vaillance le fameux « Femme, femme, femme, créature faible et décevante !.. » qui ouvre le monologue de Figaro dans la pièce de Beaumarchais ! Miraculeusement et sans erreur d’intention pour un premier essai, porté par cette sainte trouille je me suis glissé dans tous les méandres du morceau, en haute mer… et quand j’ai su par Marie Trintignant que j’étais le seul que son père sauvait de la soirée – « lui, il a quelque chose.. »… Ma tripe avait répondu, tant sa stature m’impressionnait. S’il y a un spectacle qui a agi, sans hésiter c’est Le fil à la patte de Feydau, à la Comédie Française, une de mes premières sorties, aux côtés de ma mère… La pièce était interprétée par Robert Hirsch dans une performance d’acteur à texte comico-acrobatique immensément drôle ; d’autant que figurait au programme la crème des acteurs de vaudeville de l’époque ; j’ai du me dire que moi aussi j’aimerais faire rire autant une assemblée entière… mais le ferment invisible ça a du être la lecture, j’enfournais tout le romanesque possible, surtout celui qui vous sert la bravoure dans l’héroïsme.

 

« Le ferment invisible ça a du être la lecture, j’enfournais tout le romanesque possible, surtout celui qui vous sert la bravoure dans l’héroïsme »

 

Vous avez fait vos débuts, en 1985, avec Le livre de Stefan Viorel.. Une pièce plus difficile qu’il n’y paraît, surtout pour une première prestation. Était-ce formateur ? Déformateur ?
Les deux, comment avez-vous deviné ! Viorel Stefan, dramaturge roumain, a écrit ce monologue incroyable d’audace et d’effet comique : on y voit Sade, en compagnie de son serviteur muet, réfugié dans une cave sous la forteresse de la Bastille au moment de sa prise. Figurait là tout un attirail : l’Athanor cher aux alchimistes, Golem , la chouette, le miroir, la boule de cristal, l’alambic et foi d’enfançon… Sade, en quête de création de l’être suprême est un condensé de Robespierre, Frankenstein et Dracula. Le texte lui-même est une satire caustique très instruite de la « raison raisonnante » chère aux Français… J’ai réalisé que j’avais une disposition prononcée pour le tragi-comique, accouchée littéralement par une direction d’acteur d’une précision absolue, au cillement d’œil près… je n’ai jamais retrouvé pareil état d’accord entre mon tempérament et un texte, celui-ci stoppant malheureusement son élan trop tôt.

Ensuite vous avez joué dans des pièces de Dario Fo, de Wole Soyinka et de Pablo Abad, avant d’aborder les Dialogues d’Exilés de Bertold Brecht et de frayer un temps avec Shakespeare, Diderot et Racine. Avec le recul, pensez-vous que ces différentes prestations vous ont permis d’aller au plus profond de votre vérité, de votre intimité scénique et théâtrale ?
Je ne l’ai pas vécu comme ça à l’époque, ayant une fâcheuse tendance à l’époque à demander beaucoup sur le plan artistique – mais ça m’impressionne à présent de voir les noms de tous ces auteurs alignés, alors qu’ils étaient à l’époque, je dirais modestement au service de projets de troupe… Alors enrichissement par ce travail collectif et le compagnonnage qui s’ensuit, oui ! La découverte de l’horizontalité allez-vous dire… hormis l’expérience avec Wole Soyinka, ce grand dramaturge et poète nigérian, prix Nobel dans les années 80, pour La Mort et l’écuyer du roi, somptueuse tragédie contemporaine, une aventure culottée, en 95, où la troupe endossait des personnages noirs de la tradition ancestrale. Le thème : les méfaits pour une civilisation qui a gardé ses valeurs, de l’irruption du progrès par l’homme blanc et la contamination générée au sein même d’une tribu… l’époque n’a pas été sensible à la beauté du geste, la meilleure réception du spectacle eut lieu lors d’une tournée en Afrique..

Depuis 2011, Géraud Bénech vous met en scène dans plusieurs pièces inspirées de la vie et de l’œuvre de Louis-Ferdinand Céline. Vous avez connu de gros succès avec Y en a que ça emmerde ? , Le Discours aux asticots et plus récemment les Derniers entretiens qui ont connu un très vif succès notamment au dernier Festival d’Avignon… Cette « découverte » de Céline en est-elle une ou est-ce un vieux projet qui a mûri longtemps ?
Ça a été l’aboutissement d’un songe, né dans la vision d’une interview de Céline, à 20 ans, qui a laissé en moi une trace inaltérable, exercé une séduction absolue, bienfaisante… mais qui a mis 30 ans à se matérialiser. Je ne voulais même pas le lire, sans doute pour ne pas rompre le charme.. mais sachant bien au fond qu’un rendez-vous m’attendait…

 

« Ça a été l’aboutissement d’un songe, ne dans la vision d’une interview de Céline, à 20 ans, qui a laissé en moi une trace inaltérable, exercé une séduction absolue, bienfaisante… »

 

Vous ne jouez pas Céline. Vous êtes Céline. Tant par la ressemblance physique que par la voix, le comportement. Vous donnez l’impression de mettre vos mots dans sa bouche.
Céline, je peux dire que je l’ai dans les nerfs ! Le travail a été d’accepter de m’immerger dans l’entièreté du personnage du reclus de Meudon, son attifement impossible, son phrasé, ses mines… et d’y glisser ma propre sensibilité, comme une greffe. Géraud a été essentiel pour me mettre en confiance et m’amener à prendre de la distance sur le sujet. j’ai découvert là le plaisir rare du naturel dans la composition, ma pierre philosophale recherchée depuis des lustres ! Beaucoup de spectateurs me parlent d’une expérience où ils ne sont pas au théâtre mais dans le salon de Céline… Belle surprise pour moi cet aboutissement par Céline, pas prévu, après toutes ces expériences un brin volontaristes.

 

« Le travail a été d’accepter de m’immerger dans l’entièreté du personnage du reclus de Meudon, son attifement impossible, son phrasé, ses mines… et d’y glisser ma propre sensibilité, comme une greffe »

 

Céline… personnage éminemment sulfureux… Votre propos est-il de montrer que le théâtre doit sortir du conventionnel et de la bien-pensance ?
À l’issue de chaque représentation, il se trouve toujours une personne pour me dire que le spectacle lui a donné envie de découvrir l’écriture de Céline, je me satisfais pleinement de susciter cela, car l’écrivain rebute souvent et l’homme, lui ne trouvera personne pour le sauver. Le personnage, lui, est totalement théâtral, c’est ma porte d’entrée ; il ne s’agit pas de le trouver plus sympa à la sortie, ce n’est pas le sujet, à moi par contre d’assumer totalement la brillance, l’ironie, la mauvaise foi, la ringardise vieillotte, la connerie, les délires, la ruse, les éclairs d’enfance, l’irréductible en lui, qui se distribuent dans un inattendu inouï, et qui n’appartient qu’à lui.

« Le personnage, lui, est totalement théâtral, c’est ma porte d’entrée ; il ne s’agit pas de le trouver plus sympa à la sortie, ce n’est pas le sujet, à moi par contre d’assumer totalement la brillance, l’ironie, la mauvaise foi, la ringardise vieillotte, la connerie, les délires, la ruse »

 

N’avez-vous pas peur de vous enfermer dans ce personnage ou que l’on vous identifie à lui ?
J’ai eu la chance qu’un producteur vietnamien ami me demande en 2012 d’interpréter La Chute de Camus, au moment où on tournait déjà le premier Céline. Un beau cadeau, une mission aussi, impressionnante à assumer.. Pour l’anecdote, je me rappelle d’un spectateur trouvant à Jean-Baptiste Clamence un côté anarchisant le rapprochant de Céline ! J’ai adoré… L’antidote a été en tout cas parfait d’être amené à jouer les deux spectacles en alternance ces années là. Bon, pour l’identification on n’y reviendra pas, soit ! Mais, restons optimiste, les gens qui vont me découvrir dans d’autres rôles vont peut-être me créditer encore plus…

Avez-vous d’autres projets en cours ?
J’ai l’idée d’un personnage de clown à créer, portant sans doute des réminiscences du bonhomme Céline, résolument comique, touchant -il le faut ! -, cultivé et ignare en même temps..

Au fait… C’est quoi pour vous être acteur ?
On ne m’a pas posé cette question depuis longtemps, et moi le premier ! Peut-être tout simplement une envie, que les spectateurs, au contact avec la sensibilité de l’acteur dans son rôle soient ramenés à la leur et aient la découverte de goûter ce plaisir cela en cœur, comme une expérience nouvelle et communautaire.

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