Xavier, une première question simple mais fondamentale dans votre carrière : pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre rencontre avec la musique ?
Il y a eu 2 évènements à la pré-adolescence qui sont le socle (inconscient à l’époque) de mon parcours. L’achat d’une chaine HiFi par mes parents et le début d’achat de disques vinyles et de K7, guidé par un ami de collège déjà bien érudit sur les artistes, les courants musicaux et les choix à faire. Le second fait marquant fut la possession d’un poste radio dans ma chambre qui me donnait l’occasion d’écouter les radios libres de ma région (Sambre Avesnois) et toutes sortes de chansons que je ne connaissais pas avant.
Vous êtes vous essayé à devenir musicien ?
Non. J’ai fait un an de solfège et j’ai abandonné. Je joue uniquement du téléphone.
Comment avez-vous débuté dans le filière musicale ? Quels furent vos premiers pas ?
Par l’organisation de concerts. En débutant mes études à Lille, j’ai monté une association avec une soixantaine de bénévoles, pour favoriser l’émergence d’artistes et provoquer la rencontre avec leur public. J’ai pu rencontrer The Barking Dogs, un groupe anglais basé à Paris qui m’a sollicité pour devenir leur manager suite à l’organisation de dates de concert et la réalisation de leur premier clip. Je me suis associé à eux en 1993 : Woof Trade Publishing Limited (WTPL) puis j’ai créé Tourbillon pour organiser et produire leurs tournées, ainsi que d’autres artistes pendant 10 ans.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur WTPL Music ? Quel est son rôle ?
WTPL était la structure de The Barking Dogs jusqu’à la fin du groupe. On l’a ensuite ouverte à d’autres artistes essentiellement à travers l’édition pour les accompagner le mieux possible. Le rôle d’éditeur est le premier. Au fur et à mesure de sa structuration, c’est devenu une boite à outils permettant de soutenir les projets, d’être parfois autonomes, avec une distribution physique et une distribution digitale. C’est comme cela que je conçois mon métier également. Une personne ressource avec un carnet d’adresse et la possibilité de trouver des solutions en fonction des gens qui me font confiance.WTPL Music
On lit souvent que vous êtes poussé par la curiosité dans votre activité professionnelle. Est-ce le cas dans le management et l’édition de groupes ?
Complètement. En plus de 25 ans (j’ai commencé en 89), je n’ai cessé d’apprendre et d’avancer dans les métiers que j’ai pris à bras le corps. C’est à la fois excitant et passionnant. On doit parfois ré-écrire notre façon de penser, bouleverser son business modèle, changer ses méthodes, ses outils, ses manières de faire. Le socle de tous ses métiers et la rencontre professionnelle, l’échange avec un créateur que l’on peut accompagner et motiver, rassurer et structurer, pousser et mettre en valeur. L’édition, comme les autres métiers autour d’un artiste, on doit être curieux pour plusieurs, car les idées et les solutions sont partout.
Quel est votre curseur lorsqu’il s’agit de chapeauter un groupe ? Le coup de coeur ou la marge de développement de l’artiste ? Ou les deux ?
Je dirais que c’est encore plus complexe. Il y a la personnalité des acteurs d’un projet, leur potentiel humain et artistique, le bon moment et surtout si je peux leur apporter quelque chose.
Pourquoi vous surnomme t-on Bill ?
Cela a commencé dans mon association Créativ’Idées. Quand vous êtes président au milieu de plus de 60 bénévoles qui vous font confiance, le surnom vous colle à la peau. Mon vrai surnom au départ est « Gros Bill » et quand j’ai monté ma société, il y avait un boss et un mec qui bosse. Je faisais les 2. J’ai enlevé « gros » rapidement car à l’époque nous n’avions pas Facebook, donc les gens s’imaginaient des choses quand tu ne leur parlais qu’au téléphone. Et mes artistes remettaient une couche en tournée, quand les programmateurs demandaient : « Gros Bill il est… ? » – « Oh que Oui ! »
En 2003, j’ai essayé d’utiliser mon vrai nom… Je répond au deux, les gens peuvent choisir… Ils prennent souvent le plus court, le plus simple.
Quel regard portez-vous sur l’industrie musicale aujourd’hui ? Et qu’est ce qui a fondamentalement changé depuis vos débuts ?
L’opportunité aujourd’hui pour un artiste d’être en relation plus directe avec son public est le point fondamental. Cela change complètement tout au niveau de la structuration d’un projet.
On a toujours les mêmes entonnoirs et les mêmes suiveurs qui vont toujours parler des mêmes artistes, c’est agaçant et pénible.
On a moins de gens douteux dans l’industrie musicale, car aujourd’hui il faut travailler plus qu’hier. Il faut sans cesse se remettre en question et trouver de nouvelles opportunités et de nouvelles idées.
On a perdu un temps, la valorisation de la musique et des gens de la filière aux yeux du public, des médias, des politiques et des techniciens, car tous croyaient que les revenus ne venaient que de la vente d’un bout de plastique ou de vinyl. Rien n’est encore gagné, mais quand je vois aujourd’hui que le contenu musical est le seul à posséder des accès illimités à travers un seul abonnement, à tous les catalogues, c’est une force. Vous n’avez cela dans aucun autre contenu encore.
Il faut être vigilant tous les jours pour défendre les droits d’auteur et les droits de nos artistes, car ils sont sans cesse remis en question. L’industrie musicale n’est pas une industrie. La proposition artistique est vaste et large, comme dans le cinéma, le livre, les arts plastiques, la photographie..
Lorsque Philippe Manoeuvre déclare dans Putsch que « Nous sommes entrés dans l’ère du Karaoké ». Quel est votre point de vue à ce sujet, Xavier Collin ?
La musique populaire est celle que l’on chante et que l’on retient, peu importe l’esthétique et le style. Le Karaoké est un outil pour chanter en ayant le bon texte. On peut faire un karaoké sur n’importe quelle chanson, même du métal.
Il faut vivre avec son époque et accepter les goûts des jeunes et des autres. Et aujourd’hui plus qu’hier, on peut choisir d’écouter ce que l’on veut. Il y a 50 ans on n’avait pas beaucoup de chaines de TV et de radio.
Philippe Manoeuvre poursuit en disant dans son interview sur Putsch : « Il n’y a plus de musique qui dit des choses. Il y a la pop mais pour moi la Pop, c’est julien & Juliette ( Julien Doré et Juliette Armanet). On peut écouter cela à la rigueur en mangeant un sushi. C’est un bruit de fond pour bobos » Quel est votre avis à ce sujet ? La vraie musique a-t-elle disparu ?
Ce qui passait était forcément la seule chose que l’on suivait à moins de connaitre un disquaire ou un ami capable de vous faire sortir des sentiers battus. La « vraie » musique, je ne sais pas ce que c’est. Le choix d’aujourd’hui est énorme, dense, divers et riche. Il y a de la bonne musique pour tous les goûts. Artistes et professionnels, on reste dépendant du public.
Aujourd’hui, est-il plus difficile de faire sortir un bon groupe et un beau projet musical qu’avant dans le tourbillon des sorties et des grands plans de promotion ?
Une chose reste vraie, si vous n’avez pas de ressources, il y a de fortes chances qu’il ne se passe rien. Je dis souvent aux artistes qui veulent bien m’écouter, que l’on doit savoir à quel public on souhaite s’adresser, comment on fait pour le toucher, le garder et l’agrandir en lui donnant les moyens d’être prescripteurs. Il n’y a jamais eu de recette et tant mieux. Par contre, on doit avoir une stratégie et des objectifs à moyen/long terme quantifiables et ajustables.
Pour finir, quel est le groupe phare de votre jeunesse ?
J’ai acheté par hasard un disque (puis plusieurs) de Art Of Noise. Cette musique électronique m’a beaucoup intriguée pendant mon adolescence, puis au gré des rencontres, j’ai suivi Téléphone, Thiéphaine ou Morice Bénin. Mais je crois que je vais resté dans les classiques U2 et The Stranglers pour les internationaux, et en fin d’adolescence, la Mano Negra et Noir Désir pour les groupes français.