Histoire de femmes

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Il est un paradoxe évident de la langue française qui échappe à toute logique. La nouvelle règle d’écriture concernant la féminisation des fonctions est méconnue en France, ou tout bonnement laissée à la seule discrétion de celui ou celle qui écrit. La règle n’est pas …

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Il est un paradoxe évident de la langue française qui échappe à toute logique. La nouvelle règle d’écriture concernant la féminisation des fonctions est méconnue en France, ou tout bonnement laissée à la seule discrétion de celui ou celle qui écrit. La règle n’est pas appliquée systématiquement.
Un tel paradoxe nous amène à une schizophrénie qui nous demande une adaptation constante.
Lorsqu’on écrit à des canadiens francophones, il est indéniable que le féminin s’applique. Ainsi, il existe une écrivaine, une auteure, une avocate, une professeure, une Docteure etc. Cette règle, si elle n’est pas appliquée, est considérée comme une faute d’orthographe. En France, pays de la langue française, il arrive très fréquemment, le plus souvent d’ailleurs, que cette orthographe soit considérée comme une bizarrerie, voire comme du féminisme mal placé.
Comment une règle orthographique peut-elle devenir revendication politique ?
Nos amis francophones, lecteurs de ce magazine doivent se demander comment cette question est possible. Éléments de réponse(s).

Fonction
L’argument principal avancé par les partisans de la fonction sans féminisation est justifié par le fait qu’il s’agit de LA fonction dites « neutre ». La fonction est celle d’écrivain (au sens neutre) sans distinction de genre. De même, un avocat est par sa fonction du genre « neutre ». Les autres fonctions souffrent de cette même règle. UNE fonction, doit être du genre masculin… Le paradoxe est bien là, sous nos yeux. Si la langue française devait être en accord avec elle-même, elle aurait sans doute soulevé cette coquille à l’apparence d’un pavé (dans la mare bien entendu).
Pour expliquer cette coquille vide servant d’argument aux conservateurs de tous bords, il faut remonter le cours de l’histoire.
A l’époque où le masculin l’emportait toujours sur le féminin (jusqu’à la fin du XIXème siècle environ), la fonction était toujours masculine puisque la femme n’avait droit qu’à des études succinctes et n’occupait aucun métier. Les seuls métiers réservés au genre féminin étaient soit sage-femme, soit infirmière (des bonnes soeurs en majorité). L’orthographe de la fonction dans les autres domaines ne se posait pas. Lorsque des hommes ont exercé le métier « d’infirmière », il fut normal de masculiniser LA fonction. LA fonction revenait dans le giron du masculin.
Pour la « sage-femme » ce fut plus difficile, comme pour « entraîneur de sport ». Il est difficile de dire « entraîneuse » car il s’agit là d’un autre « sport ». Médecin accoucheur, infirmier spécialisé, entraîneure ? Peut-être.
Il n’empêche que mon ordinateur n’aime pas cette féminisation et pourtant la version du correcteur est de cette année. Il rougit comme un adolescent pré pubère à chaque féminin qui se découvre, à chaque fonction qui n’est pas UNE, mais UN selon lui.
Les George Sand et Fred Vargas n’ont-elles pas trompé leur monde littéraire en faisant croire, volontairement ou involontairement, qu’elles étaient des écrivains et non des écrivaines ?

La politique

Une députée, une ministre, madame Le député, madame Le ministre ? Que choisir ? Mon ordinateur ne voit plus rouge…Ces fonctions l’impressionnent sans doute. Il n’ose pas. Il réfléchit. Non, rien. Même pas un petit rose d’indignation. Essayons avec Monsieur Robert Avocate. Rien. Tentons Monsieur Gilbert Professeure. Ah, là il rougit à nouveau. Serait-ce l’écriture et les domaines intellectuels qui froissent notre outil ? Peut-être.
Les pays francophones revendiquent une égalité certaine dans l’appellation des fonctions. Le respect du genre et de la fonction de celui ou celle qui l’occupe montrent qu’une attention particulière est donnée à celui ou celle à qui on s’adresse. Le genre est appliqué. La règle s’impose.
Le paradoxe de la langue française utilisée en France sur cette féminisation montre, de manière plus sérieuse, que la culture (ou les mentalités) évolue moins vite que la réforme. Dans notre société patriarcale, dans notre langue (qui n’a aucune neutralité de genre comme cela est le cas en anglais par exemple), dans notre fonctionnement hiérarchique, dans un groupe de mots, le masculin l’emporte sur le féminin.
Cette féminisation des fonctions n’est pas une revendication politique, elle n’est pas un féminisme outragé, elle est une manière de savoir de qui il s’agit, de qui on parle. Un numéro spécial consacré aux écrivaines n’est pas de même nature qu’un numéro spécial écrivains.
Faire une différence entre les genres n’est pas faire une hiérarchie entre eux. C’est marquer une déférence plus qu’une différence. Cette règle de féminisation tente de se frayer un chemin, petit à petit. Les francophones qui me lisent auront sans doute du mal à imaginer que cette règle n’est pas appliquée par tous et qu’elle prend ici, dans l’hexagone, une tournure politique et revendicative. Pourtant c’est le cas, même si les écrivaines, auteures, professeures, docteures ne le veulent pas. On leur impose le fait de corriger elles-mêmes leurs interlocuteurs comme si cela restait encore un combat (un de plus) à mener.

S’il fallait conclure

La féminisation des termes est souvent comprise comme une « prise » de fonction(s), de position(s), comme s’il s’agissait d’une prise d’otage. Cette féminisation paraît injustifiée alors qu’il est question d’injustice. Cela paraît anodin alors qu’il s’agit d’un thème majeur celui de la reconnaissance, celle de deux genres différents dans l’égalité de ce qu’ils sont, dans leur existence propre.
Espérons seulement que ce texte fasse partie de l’histoire dans quelques années…

Sophie Sendra

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