L’Assemblée : Nuit Debout ou les failles de la démocratie participative
Par Nicolas Vidal – « Continuer sur cette forme de parole libre, c’est le meilleur moyen de faire mourir les choses… » se désole une participante du mouvement Nuit Debout sous l’oeil de la caméra de Mariana Otero. Cette phrase lâchée dans un moment de dépit est symptomatique de ce mouvement que la réalisatrice a tâché de montrer au plus près pendant pluieurs semaines de tournage.
L’Assemblée est le fruit de l’immersion de Mariana Otero dès les premières heures du mouvement Nuit Debout, symbole de protestation contre la loi El Khomri en février 2016.
L’idée même de filmer jour après jour une flopée d’intervenants, d’anonymes et de silhouettes correspond parfaitement à l’ADN du mouvement. De plus, la réalisatrice ne cache pas son engagement à cette cause populaire dans ce documentaire épuré de tout commentaire qui laisse les voix s’exprimer, «C’était ma façon de participer et de m’engager dans ce que je pressentais comme quelque chose d’historiquement important. » Néanmoins, ce film montre les failles profondes de cette initiative populaire et la mise en place hypothétique de la démocratie participative au sein de notre société.
La réalisatrice pose en incipit de ce documentaire une question centrale « Comment parler ensemble sans parler d’une seule voix ? » Vaste question et multiplicités de réponses qui viennent de tous les coins de la place des jours durant, de façon désordonnée, décousue et de temps en temps (et trop rarement) pertinente. Car il n’est ni plus ni moins question dans l’Assemblée de ce vaste projet de réécriture complète d’une constitution et d’une nouvelle démocratie inventée de toutes pièces par les participants à Nuit Debout.
L’Assemblée : un documentaire militant sur Nuit Debout
Malgré la bonne volonté manifeste de Mariana Otera à laisser la parole de montrer, démontrer et de magnifier la bonne volonté de ce mouvement social protestataire à faire changer les choses, elle met en exergue, malgré elle, la vacuité de centaines d’heures de discussions, d’hésitations et de débats dans une foule disparate qui s’embourbe, palabre et se perd en conjectures au gré des dizaines de commissions, de modérateurs dépassés, de meneurs qui se démènent à expliquer et à ré-expliquer des codes gestuels étranges pour contenir l’enthousiaste ou le dépit des assistances ou faire face aux contestations. On est souvent subjugué par l’indigence de certaines discussions qui débouchent sur des débats très peu structurés et qui s’éteignent sans bruit à la nuit tombée ou à la merci d’une averse.
L’Assemblée montre cette convergence de luttes très diverses, des revendications disparates ( de l’agriculture bio à la défense des migrants) portée par une foule d’individus, excédés par l’injustice sous toutes ses formes. L’exaspération est noble, le rassemblement et la fraternité aussi, ainsi que cette soif de démocratie qui transparait dans ce mouvement spontané. Mais force est de constater que la complexité de la démocratie dans sa plus pure expression dépasse très largement le mouvement et la plupart de ses activistes.
Nuit Debout : la mort annoncée de la démocratie participative ?
« La question qui me guidait pendant le tournage était celle-ci : comment le collectif accueille l’individu, quelle place il lui fait, comment se conjugue le singulier et le pluriel ? À Nuit debout cette conjugaison était très différente de tout ce que j’avais pu voir et filmer jusqu’ici. Des centaines de personnes, pas de chef, pas de représentant, pas un qui vaille plus que l’autre. L’égalité était totale et en même temps la différence et la singularité de chacun étaient reconnues, affirmées » explique Mariana Otero. Mais c’est en réalité toute la question de la démocratie participative qui est posée dans ce film. Les acteurs de Nuit Debout ne cessent de se débattre avec les notions d’égalitarisme, d’écoute, de respect de l’autre, de prise de parole et de parité. Malheureusement ces valeurs, poussées à l’extrême, ont enfermé ce mouvement populaire dans un système incapable de dégager des lignes fortes, porté par des convictions et soutenu par des représentants de cette force collective.
Sous ce prisme, l’Assemblée est un documentaire passionnant qui reste toute fois un peu long à l’image de plusieurs discussions sur lesquelles Mariana Otero s’attarde. On vous recommande donc de vous présenter à l’Assemblée dès sa sortie le 18 octobre 2017.
L’Assemblée de Mariana Otero ( 2017 )
Documentaire – 99 minutes – Sortie le 18 octobre 2017
( crédit photo @DR )
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