Elsa Marpeau : des polars à la perception colorée du monde
Par Marc Emile Baronheid – Elsa Marpeau a grandi à Nantes, s’est installée à Paris et a vécu à Singapour. De quoi élargir la perception colorée du monde. Or celle qui donne son cinquième roman à la Série Noire creuse de plus en plus âprement un sillon dont Pierre Soulages ne renierait pas la couleur charbon.
C’est la faute à Sarah, pilote championne de rallye, paralysée des membres inférieurs après une sortie de route fatale à son coéquipier. Elle intègre un centre de réparation des corps et des âmes en pièces détachées, perché sur les nuages, où règne un certain docteur « Lune ». Sarah partage la chambre de Clémence, blonde, les yeux verts, un teint très pâle, qui marche sur ses deux jambes. Clémence a des accès de larmes désagréables à Sarah qui a appris à affronter les guerriers, les chasseurs, les vainqueurs. Clémence peint à longueur de temps ; elle affronte des tourbillons de gouache, comme happée par le sillage de Van Gogh. Un jour Clémence disparaît et Sarah, convaincue qu’il ne s’agit pas d’une fugue, veut remuer ciel et terre pour vérifier son hypothèse. La mutilation des sentiments, une écriture à la scie sauteuse qui ne craint pas de piller en douce Valéry, ni d’oser des étincelles merveilleuses dans l’arpentage d’un palais de la folie extraordinaire; c’est du Marpeau dans le texte. Pour peu que l’on ait manqué le roman précédent, le revoici en Folio, avec la même hantise du saccage des corps, pour une évocation de l’épuration sauvage dans l’Yonne d’après-guerre, lorsque la cruauté collective imagine masquer l’expression putride de la lâcheté, sous le couvert du châtiment de la collaboration horizontale. Ici nul toit tranquille où marchent des colombes, mais la chanson Mujer contra Mujer, ou l’ombre de Tubalcaïn. Défense à Dieu d’entrer, parce que le Diable occupe résolument le terrain. Des handicapés de l’espoir aux amputés du cœur, une seule et même noirceur, éblouissante, lustrée intensément par les crachats du monde.
« Les corps brisés », Elsa Marpeau, Série Noire Gallimard, 19 euros
« Et ils oublieront la colère », Elsa Marpeau, Folio policier n° 831- 7,20 euros
( crédit photo ; Francesca Mantovani )
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