Nocturama : portrait latent d’une jeunesse nihiliste
Par Florence Yérémian – Le film s’ouvre sur les couloirs labyrinthiques du métro parisien. Une demi-douzaine de jeunes issus de toutes catégories sociales s’y dispersent et s’y croisent dans un manège minutieusement chronométré. Menés par une même quête, ils ont décidé de placer des bombes aux quatre coins de la capitale afin de faire exploser des lieux de pouvoir. Le jour même et de façon simultanée s’enflamment donc le ministère des finances, une tour de la Défense et la si symbolique statue de Jeanne d’Arc… Une fois leur action terminée, ces adolescents se retranchent dans un grand magasin et attendent les conséquences de leurs actes : la tension se relâche alors, l’angoisse s’instaure…
Ce nouvel opus de Bertrand Bonello (réalisateur de Saint Laurent et L’Apollonide) a germé dans la tête du cinéaste courant 2010. Au vu des attentats et du contexte politique actuel, son scénario se pare aujourd’hui d’une connotation provocative qui n’existait peut-être pas dans le récit initial. En effet, les personnages de Nocturama ne sont nullement des terroristes et Bonello a bien fait attention de les dégager de toute thématique religieuse. Ces jeunes mènent cependant des actes d’une extrême sauvagerie dont la mise en avant cinématographique pourrait passer pour un éloge de la violence…
Bien que la plupart des protagonistes viennent de banlieue, l’on distingue également parmi eux un futur énarque et des étudiants BCBG. Tous sont en colère contre les pontifes du pouvoir et la société capitalistique qui les entoure mais lorsqu’on les observe attentivement, l’on ressent que ces gamins sont surtout en rébellion contre eux-même car ils ne parviennent à s’accrocher à aucun idéal.
En les mettant en scène dans leur projet pseudo-révolutionnaire, Bertrand Bonello dénonce bien-sûr le monde de la finance, le mensonge des politiciens ou le consumérisme qui asservit progressivement notre société ; ce qui ressort cependant de son film, c’est le désespoir qui enlise et détruit progressivement la jeunesse d’aujourd’hui : en examinant ces adolescents durant 2h10, l’on devine par-dessus tout leur détresse et leur rage impossible à canaliser. Comme la plupart des enfants du XXIe siècle, ils n’ont pas de valeurs, pas de morale et ne réussissent à donner aucun sens à leur existence. Ce nihilisme total les entraîne donc vers une violence gratuite qui peut hélas très facilement bifurquer…
Nocturama : Bertrand Bonello se rapproche de la désillusion propre à l’ère du temps
Est-ce cela qu’à voulu montrer Bonello ? Est-ce autre chose ? En privant volontairement ses protagonistes de revendications, a-t-il voulu inciter ses spectateurs à chercher les véritables causes et motivations du nihilisme contemporain ?
Si telle est son intention, elle pourrait justifier la lenteur du film qui s’englue dans l’inaction et les silences lyriques. En effet, malgré le sujet explosif de cette fiction, Nocturama manque totalement d’intensité et ne devient dynamique que dans les cinq dernières minutes. C’est dommage car Bertrand Bonello a une maîtrise évidente de sa caméra : non seulement il orchestre parfaitement l’ensemble de ses plans-séquences mais il joue aussi fort bien sur les temporalités de son scénario. Qu’il s’agisse des flashbacks, du minutage qui s’écoule a l’écran ou des actions mises en parallèles, il parvient à insuffler à son public un rapport constant au temps qui passe.
Cette tragédie en trois actes est donc intéressante dans son esthétique et sa composition ultra structurée. Elle possède également un casting de très jeunes acteurs qui projettent naturellement à l’écran leur propre ressenti. Parmi eux, l’on notera la présence de Finnegan Oldfield (que nous avions déjà remarqué dans Les Cowboys) ainsi que l’apparition d’Adèle Haenel qui apporte un petit clin d’oeil fantaisiste à ce drame interminable. Car il faut le dire : Nocturama est un film long et ennuyant qui ne décolle à aucun moment. Les héros y sont mutiques et sans réflexion, l’angoisse y est impalpable, la thématique totalement floue, quant au manque de revendications, il nous fait plonger dans un univers digne du théâtre de l’absurde.
Avec ce drame fictif, Bertrand Bonello se rapproche effectivement de la désillusion propre à l’ère du temps, mais vu les événements terroristes qui ne cessent de se répéter, quel intérêt y a-t-il à vouloir montrer de surcroît une violence gratuite ? N’est-ce pas inciter à la haine des jeunes qui ne savent plus à quel Saint se vouer ? N’est-ce pas les encourager à l’anarchie pour tenter d’y trouver une solution à leur désespoir quotidien ? Et si le cinéma se décidait enfin à donner un espoir aux générations nouvelles au lieu de les enterrer vivantes ?
Nocturama
Un film de Bertrand Bonello
Avec Finnegan Oldfield, Vincent Rottiers, Hamza Meziani, Manal Issa, Martin Guyot, Jamil McCraven, Rabah Nait Oufella, Laure Valentinelli, Ilias Le Doré, Robin Goldbronn, Luis Rego, Hermine Karagheuz et la participation d’Adèle Haenel
France – 2h10
Sortie nationale: le 31 août 2016
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