La vérité selon Macron : les médias devront-ils bientôt demander un visa pour exister ?
La France est en train de franchir une ligne que peu de démocraties osent traverser. Depuis plusieurs jours, Emmanuel Macron et l’Élysée multiplient les signaux inquiétants d’un tournant autoritaire dans le contrôle de l’information. Entre attaques ouvertes contre certains médias, projets de labélisation gouvernementale de ce qui serait une information « légitime », et irritation publique envers un régulateur jugé trop indépendant, le climat s’alourdit dangereusement pour la liberté de la presse et les médias indépendants.
Selon les révélations du Journal du Dimanche, le président de la République ne cache plus son exaspération face à une Arcom qu’il estime trop « timorée ». Emmanuel Macron reproche directement à Martin Ajdari, son président, de manquer de fermeté, notamment à l’égard de CNews, qualifiée dans les couloirs de l’Élysée de « dissidence audiovisuelle » qu’il faudrait, selon lui, « mettre au pas ». Cette expression en dit long : pour le chef de l’État, certains médias dérangent, et le régulateur ne ferait pas « le job ».
Or l’Arcom vient précisément d’infliger un démenti cinglant à Reporters sans frontières, qui accusait la chaîne d’information de violer les règles du pluralisme. Une décision appuyée juridiquement, mais qui a profondément irrité Emmanuel Macron. La liberté du régulateur agace. L’indépendance insupporte. Et le pluralisme, dans ce dossier, semble devenu un obstacle politique.
Depuis 2017, le président revient régulièrement sur la même obsession : l’idée que la société serait devenue trop vulnérable aux rumeurs, aux « manipulations », au « complotisme ». Ce discours, déjà utilisé pour disqualifier certains désaccords politiques, sert aujourd’hui de justification à la construction d’un arsenal inédit de contrôle de l’information : procédures accélérées contre les « fausses nouvelles », projets de labélisation étatique, et désormais une communication virulente de l’Élysée visant directement des journalistes et des chaînes d’info.
Les réactions sont immédiates. Béatrice Rosen rappelle que cette dérive était annoncée depuis un an et demi : la volonté de contrôler le paysage audiovisuel n’aurait rien de surprenant. Philippe de Villiers dénonce publiquement un « ministère de la Vérité » qui ne dit pas son nom. Sur CNews, Pascal Praud alerte : l’Élysée ne supporterait plus la contradiction et voudrait réécrire l’Histoire. Jean-Dominique Merchet juge que l’Élysée « a perdu tout sens commun» après la diffusion d’une vidéo officielle attaquant directement plusieurs médias.
Plus grave encore, la journaliste Amélie Ismaïli démontre que ce futur label pourrait être confié à des structures prétendument indépendantes, mais contrôlées directement ou indirectement par le pouvoir : Arcom, think tanks subventionnés, ONG financées par des fonds publics ou européens, organisations internationales alignées sur des intérêts géopolitiques occidentaux. Dans tous les cas, l’État garderait la main.
Ce projet de label s’inspire explicitement du Journalism Initiative Trust, un programme financé par le ministère de la Culture, la Commission européenne et plusieurs acteurs engagés dans la lutte contre la « désinformation ». Au-delà des intentions affichées, cet outil permettrait au pouvoir de distinguer les médias jugés « responsables » de ceux considérés comme « problématiques ». En clair : un crédit social de l’information.
Et pourtant, la France n’est pas dépourvue d’outils de classification. La Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP) existe depuis plus de soixante-dix ans. Elle délivre chaque année les agréments de presse qui conditionnent les aides publiques et la reconnaissance officielle des médias. Cette instance dépend du ministère de la Culture et fonctionne déjà comme un organe de labélisation. Le président de la République ne l’ignore pas : son projet ne vise donc pas à améliorer l’existant, mais à étendre le contrôle.
Car le problème est ailleurs. Emmanuel Macron ne supporte plus d’être critiqué. La presse qui l’a porté au pouvoir en 2017, à coups de couvertures flatteuses, est aujourd’hui devenue un contre-pouvoir jugé gênant. CNews, Le Journal du Dimanche, certains éditorialistes, certaines voix dissidentes : toutes deviennent des cibles. L’Élysée semble désormais décidé à distinguer les bons médias — ceux jugés compatibles — des mauvais, qui seront placés sous surveillance, marginalisés ou menacés de sanctions.
Cette logique soulève une inquiétude majeure : dans une démocratie fatiguée, traversée par une crise de confiance profonde, c’est précisément le pouvoir exécutif qui veut trier les opinions légitimes. À un moment où les citoyens réclament transparence, pluralisme et débats réels, la réponse présidentielle consiste à resserrer les boulons, déplacer la ligne rouge et imposer un contrôle idéologique sur l’espace médiatique.
À force de vouloir combattre la « désinformation », le pouvoir risque d’inventer la vérité officielle. Et à force de vouloir encadrer les voix discordantes, il pourrait finir par transformer la société française en un paysage où l’information n’existe qu’à travers un filtre politique.
Les médias indépendants, déjà fragilisés économiquement et exclus des grands circuits de financement, voient leur situation devenir critique. Une État qui se mêle de certifier la vérité n’est pas un État qui protège la presse : c’est un État qui la surveille. Et parfois, qui la redresse.
La France entre dans une zone dangereuse. La tentation du ministère de la Vérité n’est plus une dénonciation orwellienne : c’est une hypothèse politique tangible. Et ce qui se joue aujourd’hui n’est pas un détail technique sur les labels, mais la possibilité même de continuer à informer librement.