La suppression de la surtaxe sur le gazole agricole a été annoncée. Pourquoi cette mesure est-elle insuffisante ?
La surtaxe sur le gazole agricole a été pour les agriculteurs la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Mais le vase est plein et les agriculteurs disent que l’accumulation de problèmes les menace de mort purement et simplement. Chaque année, des agriculteurs français mettent la clé sous la porte car leurs revenus sont insuffisants pour se verser un salaire. Si certains en arrivent à fermer, plus de 20% des agriculteurs vivent avec un salaire inférieur au RSA.
Leur problème numéro un est que les agriculteurs n’arrivent pas à vendre à des prix rémunérateurs à cause de la pression sur les prix exercée par les produits importés : cela vient des accords de libre-échange signés par l’Union Européenne avec nombre de pays d’Amérique du Sud, d’Afrique, d’Asie et de l’élargissement progressif de cette institution supranationale à des pays de l’Est à bas salaires. Pire, ces accords commerciaux permettent à ces pays de vendre avec des normes inférieures aux normes auxquelles sont soumis les paysans français et européens, c’est ce qu’on appelle la concurrence déloyale. L’exemple le plus accusateur pour l’Union Européenne est la vague de poulets ukrainiens qui déferle sur la France et met en faillite des fermes familiales françaises. Ce poulet est fabriqué dans des fermes produisant 75 millions de poulets par an avec moult antibiotiques et hormones de croissance, avec des salariés ukrainiens payés un euro de l’heure. La firme MHP qui possède quatre fermes géantes en Ukraine est possédée par un milliardaire ukrainien, est basée dans un paradis fiscal, Chypre, cotée à la bourse de Londres et financée par des fonds d’investissements américains !
« L’exemple le plus accusateur pour l’Union Européenne est la vague de poulets ukrainiens qui déferle sur la France et met en faillite des fermes familiales françaises. Ce poulet est fabriqué dans des fermes produisant 75 millions de poulets par an avec moult antibiotiques et hormones de croissance, avec des salariés ukrainiens payés un euro de l’heure ! «
C’est contraire à la politique prétendument écologique de l’Union Européenne, à une forme de concurrence loyale dans le marché européen et surtout au respect du travail de nos agriculteurs pour assurer la qualité de l’alimentation et le « bien-être animal ». Cette politique est complètement immorale et détruit leur outil de travail. Si l’Union Européenne voulait détruire les fermes familiales qui respectent l’environnement par le biais de la grande finance, elle ne s’y prendrait pas autrement.
Vous qualifiez certaines des mesures proposées de « catalogue d’enfumage ». Pourriez-vous expliquer pourquoi vous considérez ces mesures comme insuffisantes ou irréalisables?
A l’exception du recul sur la surtaxation du diesel agricole, Gabriel Attal a annoncé une aide pour les éleveurs bovins comme Jérôme Bayle dont les vaches sont touchées par la fièvre épizootique. Le reste des annonces sont des mesurettes allant jusqu’à répondre au problème de délais du «curage des fossés ». Si le premier ministre passe vingt minutes à parler de problèmes devant être réglés par les préfets et sous-préfets, c’est à l’évidence parce que sur le problème des prix de vente et des revenus, il n’a rien à annoncer. A part, la quatrième réforme de la loi Egalim sensée régler ce problème de revenus il y a déjà 6 ans et qui ne l’a toujours pas réglé (ce qui en creux montre l’enfumage du gouvernement autour de ce type de réforme). A part le refus affirmé de signer l’accord de libre-échange avec le Mercosur (Brésil, Argentine, Venezuela…) que le ministre des affaires étrangères a déjà relativisé dans une communication en disant que ce traité ne serait pas signé « en l’état ». La France n’a même pas le pouvoir de bloquer définitivement cet accord de libre-échange voulu par la Commission Européenne puisque cet accord sera voté à la majorité qualifiée des pays membres. Sur ce sujet, l’Union Européenne devra juste patienter pour le faire signer un peu plus tard, quand le sujet de l’agriculture sera moins inflammable et médiatisé.
« La France n’a même pas le pouvoir de bloquer définitivement l’accord de libre-échange du Mercosur voule par la Commission Européenne puisque cet accord sera voté à la majorité qualifiée des pays membres »
Comment voyez-vous l’impact potentiel de l’accord de libre-échange récemment voté au Parlement européen sur l’agriculture française, et pourquoi le qualifiez-vous de trahison?
L’Union Européenne a signé récemment un accord de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande qui mettra une pression supplémentaire sur l’agriculture européenne, ce pays étant hyper compétitif notamment sur le lait et la viande d’agneau. L’accord avec le Chili a été voté en commission commerce international jeudi dernier et sera bientôt proposé en séance plénière. L’accord avec le Mercosur (Brésil, Argentine, Venezuela…) est presque prêt selon la Commission Européenne qui veut le signer avant le mois de juin. Ajouter de la pression sur les prix par les importations alors que nombre de fermes sont au bord de la liquidation est une véritable trahison de nos paysans. Comme le disait Philippe de Villiers, il n’y a pas de pays sans paysans et il faut en tirer toutes les conclusions qui s’imposent.
« Ajouter de la pression sur les prix par les importations alors que nombre de fermes sont au bord de la liquidation est une véritable trahison de nos paysans »
Face à la situation actuelle des agriculteurs en France, quelles solutions concrètes proposeriez-vous pour améliorer leur situation et renforcer le secteur agricole?
A court terme, pour éviter que le désastre agricole ne devienne incontrôlable, il fallait revenir sur la décision de surtaxer prochainement le gazole agricole, sortir du marché européen de l’électricité pour en diviser les prix par deux au bénéfice des agriculteurs, imposer un bras de fer avec la Commission Européenne en arrêtant les transpositions de directives sur les normes bureaucratiques bruxelloises, imposer un double affichage des prix sur les fruits et les légumes (prix d’achat en vrac aux agriculteurs et prix de vente aux consommateurs) afin d’alléger la pression sur les agriculteurs français, annoncer que la France ne signera plus aucun accord de libre-échange pour mettre l’Union Européenne sous pression. Ces mesures ne sont pas suffisantes mais c’est toute la marge de manœuvre du gouvernement français. Attal n’a annoncé qu’une seule de ces mesures…
Mais améliorer réellement la situation des agriculteurs et faire en sorte que l’agriculture française survive et se redéveloppe nécessite de faire feu de tout bois. Il faut réellement arrêter de signer tous les accords de libre-échange qui les mettent en danger. Il faut revenir sur les accords de libre-échange déjà signés par l’Union Européenne qui exercent une pression sur les prix insupportables. Il faut aussi mettre fin à la concurrence déloyale qui est comme on l’a vu organisé par Bruxelles. Il faut enfin afficher très lisiblement, en gros et en gras, sur tous les produits alimentaires vendus en France quelle est la provenance des produits, chose interdite (à l’exception des fruits et légumes) par l’Union Européenne au nom de « la concurrence libre et non faussée » ! Bref, il faut sortir de l’Union Européenne pour mettre en œuvre une politique de sauvetage nationale de l’agriculture française.
Vous dénoncez notamment la position contradictoire du Rassemblement national. Pourquoi ?
Le Rassemblement National passe son temps à expliquer que les accords de libre-échange et les normes bureaucratiques de l’Union Européenne tuent les agriculteurs français. Et sa conclusion est : nous resterons dans l’Union Européenne qui détruit les agriculteurs. Est-ce que cette position politique est responsable ? A l’évidence non. Les Français ne demandent pas aux partis politiques d’opposition de commenter leurs difficultés à la télévision mais d’y apporter des solutions.
Le Rassemblement National réplique à cela qu’avec un nombre suffisant de députés français RN et leurs alliés du groupe Identité et Démocratie comprenant notamment les députés de la Ligue du Nord italienne (Salvini), ils changeront la politique européenne. Mais lorsqu’on voit que le groupe Identité et Démocratie a voté jeudi dernier en majorité pour l’accord de libre-échange avec le Chili en commission commerce international, on se dit que le RN enfume les Français. D’autant plus que les alliés actuels du RN et les alliés potentiels de Zemmour ne représentent que 130 députés sur 700 au Parlement Européen et que le Parlement Européen ne peut pas proposer de lois, il ne peut que voter celles que lui présente la Commission Européenne.
Nous avons eu un petit accrochage avec le député européen RN Thierry Mariani à ce sujet sur twitter : j’attends toujours sa réponse sur la manière dont le RN va changer l’Union Européenne de l’intérieur avec des alliés du RN qui n’ont visiblement pas la même position politique que le RN sur l’agriculture et le libre-échange !
Enfin cette révolte des agriculteurs semble dévoiler au grand jour les ravages économiques des politiques européennes. Pourrait-elle faire basculer une majorité de Français dans une volonté de sortie de l’UE ?
Effectivement, les politiques européennes font des ravages tout azimut : tant sur l’industrie et l’économie en général avec l’énergie chère et le libre-échange que sur l’agriculture et même les flux d’immigration. Les Français en sont de plus en plus conscients et voteraient oui à un référendum de sortie de l’Union Européenne, comme l’avait souligné Macron dans une interview à la BBC. Ce qui sauve le système politique en échec visible sur tous ces sujets est le système médiatique qui agit comme une seconde peau du système et protège un système politique défectueux. Il le protège en ne dévoilant pas les véritables problèmes (il parle concernant la crise agricole plutôt des normes que du problème du libre-échange ou de l’élargissement à l’Europe de l’Est). Il le protège en mettant en avant et en caressant dans le sens du poil tous les partis politiques qui veulent rester dans l’Union Européenne y compris les partis de « l’opposition radicale » au système. Il le protège en invisibilisant les véritables opposants à un système qui liquide la France : les souverainistes qui veulent que la France retrouve sa capacité de décider et d’agir en sortant de l’Union Européenne et qui sont donc les seuls à se pouvoir redresser notre pays. Le problème est que les souverainistes sont divisés depuis au moins cinq ans et que l’absence d’union contribue, permet leur invisibilisation par le système médiatique. Nous ne sommes effectivement pas loin d’une véritable bascule vers une volonté affirmée et générale des Français de sortie de l’Union Européenne. Encore faudrait-il leur offrir l’espoir d’une solution politique, d’une organisation politique qui permette à leur volonté de devenir une réalité politique.