Le vélo est-il en fin de cycle ?
Comme New York, le sport cycliste ne dort jamais. Surtout depuis qu’il se vend sur les cinq continents. La piste et les labourés ont pris le relais d’une saison sur route fraîchement terminée, dont trois livres reviennent sur les monts et merveilles, sans souffler mot – les masques sont enfin tombés – de la menace que constitue l’avalanche annoncée des pétrodollars.
Réjouissons-nous donc de ce qui s’est passé en 2023.
Dernier grand spectacle gratuit et populaire, les Tours de France ont galvanisé les foules massivement présentes, du musée Guggenheim aux Champs Elysées.
L’édition 2023 a été marquée par le superbe mano a mano entre Jonas Vingegaard et Tadej Pogacar, retracé au jour le jour et pratiquement seconde après seconde, jusqu’au KO final, dont les protagonistes se sont partagé la gloire. Livre officiel cautionné par le directeur du Tour, l’album, précis et rigoureux, rend compte des faits et gestes, des classements de chaque étape, avec une abondance de photos. On appréciera à quel point l’objectif a su rendre, sur deux pleines pages, la folle ambiance qui a salué le dernier baroud d’honneur de Thibault Pinot dans le Petit Ballon. Pour 2024, la course aux effets d’annonce a déjà commencé, puisque Marc Cavendish reviendra par la fenêtre pour tenter d’évincer Eddy Merckx d’un noble record, sans commune mesure avec la litanie de victoires du sprinteur, remportées
parfois sans élégance. Par ailleurs, le fanfaron belge devrait faire une apparition qui empêche déjà tout le peloton de dormir…
Le Tour féminin est le porte-drapeau d’une discipline qui se muscle et progresse en intelligence tactique. Son déroulement 2023 en témoigne. On est encore loin de la popularité des cyclo-cross women, mais les moyens déployés attestent que le meilleur est encore à venir. Chapeau aux 123 filles qui ont rallié l’arrivée, au terme de huit étapes courues avec générosité et détermination. Certains chiffres avancent une audience quotidienne de deux millions de téléspectateurs. De quoi donner des idées à la concurrence, puisqu’ une édition féminine du Giro 2024 est annoncée.
On n’en a jamais fini avec la Grande boucle. En témoigne la trilogie dessinée en hommage vibrant à Bernard Hinault, que Mareuill vient de mener à son terme, Après deux premiers volumes parus en 2019 (Objectif maillot jaune) et 2021 (Sur le toit du monde) voici « Hinault dans la légende », qui balaie les années 1982 à 1986. Outre les succès sportifs, le volume cerne quelques personnalités de l’époque, de Guimard le bavard combinard, à l’arrivée tonitruante et irrésistible de Tapie. Un temps où les vendeurs de pétrole ne songeaient pas encore à gangrener le peloton. On devine la patte du blaireau, dans les règlements de compte pimentant la relation d’une épopée que la France n’en finit pas de se remémorer à coups de « c’était mieux avant ».
Lorsqu’un champion confie via son Instagram « je ne suis qu’une ombre vagabonde, cauchemardesque », vous savez d’emblée qu’il n’est pas cornaqué par Patrick Lefevre. Thibaut Pinot n’est pas du bois dont on fait les bonimenteurs. Aucunement question pour lui de plastronner. On l’a rapproché de Poulidor, pour sa dimension terrienne et son rêve inassouvi de la tunique bouton d’or. On en oublierait presque un palmarès enviable, une odyssée cabossée et la ferveur de tout un peuple, persuadé qu’il allait occuper un jour la plus haute marche du podium sur les Champs-Elysées. Un éditeur belge rend hommage au sportif, mais aussi à l’homme fidèle à ses racines, attachant « visage ingénu d’une ruralité perdue ». Beaucoup le découvriront, au fil de témoignages fervents ou amicaux.
« Tour de France 2023, le livre officiel », Jean-Luc Galtier, Solar. 16,90 €
« Bernard Hinault dans la légende », Jeff Legrand, Fabien Ronteix, Bernard Hinault, Mareuil éditions, 16 €. Dernier de 3 volumes disponibles en coffret pour 45 €
« Thibaut Pinot, le dernier des romantiques », éditions Kennes, 25 € (www.kenneseditions.com)