Le pitch ? Vincent Duhamel, sorte de Valmont, séduit le petit monde d’artistes et de politiciens des soirées du producteur Jean-François Brassier et d’Hélène, sa femme, avant d’en être exclu. Est-ce à cause de la belle Alix, star en devenir, des jalousies et rivalités qu’elle suscite ? De la comédienne Isabelle Auclair, qui plait tant à Hélène ? Celle-ci sera-t-elle victime du cynisme de son mari ? On est pris, excité, impatient de connaître la fin.
Ancien conseiller en communication du groupe Républicains au Sénat, Olivier Miquel a été la « plume » de plusieurs hommes politiques. Il est l’auteur de « Napoléon, l’amant pressé » (Cherche Midi, 2009), fresque sur un Napoléon intime qui éclaire la personnalité de l’Empereur.
Quelle est l’origine de ce roman acide d’une certaine bourgeoisie dont le charme cache difficilement les petitesses et les vices ?
Je le portais en moi depuis très longtemps. Je me demandais avec amusement ce que Choderlos de Laclos écrirait aujourd’hui pour dénoncer la capacité de la bonne société à fermer les yeux sur les agissements des puissants. Ça n’a pas changé. Et c’est la raison d’être de ce roman. En revanche, les mœurs ont tellement évolué qu’il fallait inventer une autre intrigue. Je suis parti avec cette idée, un peu floue. Pour être honnête, je n’allais pas très bien. Je ressassais. J’avais envie de dénoncer ce que j’avais vécu. L’intérêt du roman, c’est d’aller visiter les arrière-boutiques. Mais je voulais le faire avec élégance. Et légèreté.
Vous avez été plume de politiciens et vous avez travaillé dans le show-biz, êtes-vous un espion, un homme de l’ombre influent ?
(Rires) Un Rastignac malgré moi, né de circonstances improbables. Mes grands-pères, un chirurgien et un général, s’étaient rencontrés à la libération de Berlin, en 1945, puis retrouvés à Toulouse en 1956, à l’indépendance du Maroc dont le premier avait le commandement. Leurs enfants venaient de se marier quand le général a organisé « l’opération Résurrection », le « putsch » de 58, réinstallant de Gaulle au pouvoir. L’année suivante, ma mère, se trouvant à un dîner à côté de Georges Duhamel, le grand écrivain, lui a confié qu’elle venait d’apprendre qu’elle était enceinte. « J’espère que cet enfant aura le goût des belles choses et de la littérature », a-t-il répliqué. J’ai dû l’entendre in utero. J’ai longtemps pensé que j’allais devenir un écrivain célèbre. Mais j’ai dû travailler. Un peu dans le cinéma, beaucoup dans la politique. Trente ans à naviguer entre le Sud-Ouest et Paris, dont plus de vingt dans les milieux du pouvoir. Récemment, je me suis rendu compte que j’avais vécu toute ma vie dans un monde où la séduction est au cœur des comportements. Même inconsciemment. Plaire est une préoccupation constante dans cette bourgeoisie éclairée où j’ai toujours vécu. Et l’humour, un viatique. Ce qui explique sans doute que mon univers rappelle celui de Sagan.
Qu’avez-vous voulu dénoncer ?
Le cynisme, certainement. Le cynisme m’effraie. Il est hélas la clé de presque toutes les réussites aujourd’hui. Et, c’est le cas de mes principaux personnages. Le cynisme a quelque chose de fascinant. Je ne sais pas pourquoi j’ai pu rêver d’être Valmont, Dom Juan ou Dorian Gray alors qu’ils ne méritent que le mépris. Je déteste la duplicité. Je l’ai d’ailleurs payé cher. J’ai eu un mal fou à guérir d’une honnêteté maladive. Je suis encore convalescent. Comme Laclos en son temps, j’ai voulu dénoncer le cynisme et l’effrayante capacité de notre société à s’en accommoder.
Qui vous a inspiré les personnages ? Comment les avez-vous construits ?
Mes personnages sont inventés. Mais pas de toutes pièces. Ce sont des hybrides, inspirés par des personnes rencontrées, ou plutôt côtoyées. Des archétypes contemporains. Animés par l’avidité, l’argent, le goût de la célébrité. L’aristocratie d’aujourd’hui, si j’ose dire. Une aristocratie sans noblesse. Et puis, il y a mon double romanesque, et aussi un personnage féminin idéalisé. En fait, un seul a été tiré de la réalité. Mais je ne dirai pas lequel.
Comment avez-vous construit l’intrigue ?
Je ne sais pas très bien comment ça se passe, dans mon cerveau, pour tout dire. Je sais qu’il y a des thèmes que j’ai envie d’évoquer : le fléau de la drogue, les sites de rencontre, le consentement, l’ordre moral actuel qui m’effraie, mais aussi la beauté. Le personnage de Vincent (mon double) cite cette phrase apparemment énigmatique de François Cheng « Le mal et la beauté constituent les deux extrémités de l’univers vivant, c’est à dire du réel ». C’est l’essence du roman. Je suis parti d’une scène, en flash-back, dans laquelle je pose les principaux personnages, où l’enjeu se dessine. Et puis, assez rapidement, à peine esquissés, ils prennent vie et c’est eux, par leurs comportements, qui me dictent la suite. L’intrigue repose sur une équation d’ordre mathématique, implacable, qui finit par s’organiser d’elle-même. Le lecteur est d’autant plus surpris, je crois, que je l’ai été moi aussi. Je n’avais pas tout vu venir.
« Le mâle blanc dominant, les prétendus stéréotypes qui l’accablent, ne me paraissent pas correspondre à la réalité du jour. Tous les hommes de mon âge sont féministes, et nous avons tous été éduqués dans l’idée de la galanterie, au sens courtois du terme »
Ce que vous pensez de MeeToo et des dérives féministes.
Nul ne peut contester le bien-fondé de ce mouvement. Il était temps. Mais je crois qu’il repose sur une erreur de diagnostic. Le mâle blanc dominant, les prétendus stéréotypes qui l’accablent, ne me paraissent pas correspondre à la réalité du jour. Tous les hommes de mon âge sont féministes, et nous avons tous été éduqués dans l’idée de la galanterie, au sens courtois du terme. Les abus dont on parle, et qui sont incontestables et nombreux, tiennent au fait que la société, la justice en particulier, a longtemps répugné à entrer dans la sphère privée. Le sexe a ceci de particulier qu’il procède de la pulsion de vie, à laquelle sont associés le bonheur, le plaisir, l’amour. Or le même acte, s’il n’est pas « librement consenti » prend la forme d’un crime. Une source infinie d’ambiguïté. Je suis personnellement très choqué que la déclinaison française de MeToo, que j’appelle denonceunpredateur dans le roman, qui incite les plaignants à nommer leur « prétendu » agresseur, tout en garantissant leur anonymat, faisant ainsi émerger un droit à la calomnie. Je ne vois pas ce qu’il y a de légitime à remplacer une injustice par une autre.
Votre regard sur le monde du cinéma.
C’est un milieu étrange, curieusement le plus représentatif des contradictions de notre époque. N’oublions pas que MeToo part de l’affaire Weinstein, un personnage abject, dont ce petit milieu s’accommodait parfaitement. Rappelons-nous Coluche ironisant en disant qu’il n’avait pas couché pour réussir. A titre personnel, j’ai côtoyé, l’été de mes 18 ans, de jeunes modèles des pays nordiques qui posaient pour David Hamilton. J’entends encore l’une d’elle, Anja, me dire : « Day Day nous oblige à faire des trucs dégoûtants pendant la sieste. » J’étais horrifié. Il va de soi que les parents étaient parfaitement au courant.
Que pensez-vous du matérialisme galopant, de l’inculture ?
Comment ne pas s’inquiéter de la tournure que prend notre société infusée par le wokisme et autres délires de cet ordre. Et l’impuissance du politique à inverser cette tendance. Le tout-économique a laissé le champ libre à des idéologues formatés par la grille simplificatrice du marxisme, le rapport dominant-dominé, dont les ultimes avatars nous installent tranquillement dans « 1984 ». Une jeune productrice de série tv a récemment appelé un metteur en scène pour lui demander si, dans son scénario, le personnage de Jean de la Fontaine ne pouvait pas être une femme ? Le refus gêné du réalisateur a suscité un nouveau coup de fil quelques jours plus tard, lui demandant : « Il ne pourrait pas être noir ? »
Votre expérience auprès des politiciens dont vous êtes souvent la plume ?
Je suis entré dans le monde politique par accident mais porté par des convictions, des études de droit, un esprit original, et une certaine facilité pour écrire. C’est ainsi que je me suis retrouvé plume de ministre. Trois cabinets plus tard, j’ai quitté sans regret un monde, certes intéressant, mais décevant. Aujourd’hui, ce sont les médias qui exercent la censure sur les politiques et non plus l’inverse. Résultat, la droite dite républicaine, à force de s’excuser d’être de droite, a perdu tout crédit. Emmanuel Macron s’est installé au centre, là où l’on gouverne depuis quarante ans. Ce hold-up démocratique nous a laissé le choix entre Macron et Macron lors de la dernière présidentielle. J’ai donc décidé de voter inutile en restant chez moi.
« Dans l’ombre enseveli », d’Olivier Miquel, (Ramsay)
( crédit photo D.R )