Grisélidis Réal, infiniment vivante

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Grisélidis Réal
Ecrivain – Peintre – Prostituée
1929-2005

C’est l’épitaphe choisie par celle que Jean-Luc Hennig appelait une courtisane et révolutionnaire. La mention est légitime mais incomplète, car cette fille de famille bourgeoise intellectuelle est entrée en majesté dans une quatrième dimension : la poésie.

Nancy Huston engage avec la « reine du réel » un dialogue long et enflammé, que l’éditrice imagine maladroitement légitimer en l’affublant de l’étiquette « texte résolument féministe ». Réduire la flamboyante Grisélidis à la mèche d’une lampe à huile pour midinettes dévergondées.

N.H. rend hommage à une femme dont elle se sent à ce point proche que son récit prend parfois les allures de miroir. « Toute jeune, il s’en est fallu de peu que je ne retrouve comme toi en putanaland ». Sa probité la préserve de la captation d’héritage.

Tout est tragique et splendide dans cette vie accablée de coups et de blessures, transfigurée par des tours de passe-passe et des amours inconséquentes. Grisélidis est tout ensemble le réceptacle et le creuset des cantiques illusoires. Essentiel au respect de sa mémoire, l’héritage de ses rêveries et de ses mirages est contenu dans les lettres à Jean-Luc Hennig, autre plume endolorie, auquel elle adressera, de 1980 à 1991 une correspondance viscérale, très précieuse, ventre et noyau de la trilogie indissociable qui vient de paraître. Ce qu’elle veut, préface Chloé Delaume, c’est libérer les putes de ce regard jugeant, pétri de catholicisme et de préjugés. Un combat mené jusqu’à son dernier souffle. « C’est ainsi que je construis ma vie future, et la maison de mes rêves, pierre par pierre, Turc par Turc, billet par billet, froissé et sale, durement gagné/…/ Il est minuit et demi, je viens de finir mon quatorzième client… Oh, je n’en peux plus, avec un peu de chance il ne viendra peut-être plus personne/…/ Aujourd’hui, j’en ai eu deux particulièrement sauvages, je suis toute marquée par leurs violences, tatouée par leurs dents, leurs griffes – écorchée, martelée, empoignée ». Elle sera le punching- ball inlassable des plus sadiques. Onze grossesses pour sept enfants charcutés, mais trois fils et une fille tous « artistes, poètes et musiciens ». Rien en commun avec ce récent quarteron d’écrivaines, horizontales de pacotille, filles de rabat-joie, besogneuses du rut, dont la seule ambition est d’émoustiller le bourgeois.
« Un jour je partirai sur un de tes cargos/ Un jour je quitterai à l’aube sans un sou/ Ma ville mes enfants mes amants mes douleurs/Je boirai la poussière au long des routes mauves ».
Grisélidis, un chant seigneurial.

« Reine du réel – Lettre à Grisélidis Réal », Nancy Huston, NiL – 165 pages,16 €
« La passe imaginaire », préfaces de Chloé Delaume et Joy Sorman ; avant-propos de Jean-Luc Hennig, Gallimard – 404 pages. 12,50 €
« Chair vive, poésies complètes », Grisélidis Réal, éditions Seghers – 205 pages. 17 €

 

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