Les résultats aux régionales et départementales ont apporté leur lot de surprises avec des écarts importants avec la plupart des sondages. Politiquement, comment expliquer la très forte abstention et le score très décevant pour le Rassemblement national ?
Les deux sont liés. De l’abstention historique, toutes élections confondues : 67%, tout le reste va découler. Comme toujours cette abstention touche d’abord les catégories populaires (75%) et les jeunes (87%). Les cadres se sont abstenus à 69% et les retraités à 47%.
Logiquement cela a pénalisé mécaniquement d’abord le Rassemblement national. Ainsi 73% de l’électorat présidentiel Le Pen de la présidentielle se sont abstenus, 67% Mélenchon et Dupont-Aignan,60% Macron, 55% Hamon et sans doute les écologistes au même niveau, et 44% Fillon.
On a beaucoup glosé sur les orientations de campagne des uns et des autres et notamment du RN pour expliquer ces scores … Je crois que ces scores sont pour l’essentiel un effet mécanique de l’abstention.
« On a beaucoup glosé sur les orientations de campagne des uns et des autres et notamment du RN pour expliquer ces scores … Je crois que ces scores sont pour l’essentiel un effet mécanique de l’abstention »
Pourquoi cette abstention record ?
D’abord pour des raisons conjoncturelles. Nous sortons d’un second confinement éprouvant et les citoyens pensent à se retrouver et décompresser. Ensuite les candidats du fait des règles sanitaires n’ont pu mener campagne. Enfin de façon plus marginales, l’État s’est déchargé de son travail en confiant à des entreprises privées le soin d’acheminer les documents de propagande électorales à domicile et il y a eu beaucoup de ratés.
Mais la cause essentielle de cette abstention est selon moi structurelle.
Le politique, la dispute commune qui doit se déployer est ce qui tient ensemble les Français depuis des siècles. Le politique est le fondement de notre Imaginaire, ce qui nous permet de nous assembler, de nous relier, pour faire face ensemble. Le moment électoral est un rite laïc qui lui permet de réactiver notre imaginaire et dont les candidats et formations politiques sont les acteurs.
« L’État s’est déchargé de son travail en confiant à des entreprises privées le soin d’acheminer les documents de propagande électorales à domicile et il y a eu beaucoup de ratés »
Mais encore faut-il que les institutions qui sont l’objet de ces élections soient perçues comme des instances souveraines de décisions politiques. Du fait des différentes réformes territoriales, dont les découpages régionaux ne correspondent plus à des identités régionales et un millefeuille territorial avec des modes de scrutins compliques et impersonnels ; les instances régionales et départementales ne sont pas vécues comme des instances politiques mais administratives qui répartissent des fonds dont les grands choix résulteraient d’autres instances opaques.
Ainsi les régions dont les découpages correspondent à des identités fortes ont vu les meilleurs scores de participation : la Corse : 66% d’un côté et de l’autre au contraire le « Grand Est » qui regroupe des territoires aux identités qui n’ont rien à voir : les alsaciens, les lorrains et les champenois-ardennais … avec 29% seulement de participation.
Les catégories populaires sont les plus sensibles aux dimensions d’incarnations politiques, car plus précarisés, ces dimensions les relient symboliquement de façon plus efficace que la question sociale.
L’abstention record des Français est la marque d’une exigence politique substantielle. Seuls la Présidence de la République qui incarne la nation et le maire font pleinement sens politique pour nos concitoyens.
Selon vous, Emmanuel Macron a-t-il commis une erreur politique en mobilisant 5 de ses ministres dans les Hauts-de-France ?
Oui. Comme lors des municipales, il a oublié qu’une élection locale comme nationale, hormis les législatives où on demande au corps électoral s’il veut donner les moyens au Président fraichement élu d’avoir les moyens de gouverner, est un processus immanent ou c’est le bas qui fait le haut.
L’adoubement présidentiel n’a aucun poids aux municipales, départementales ou régionales. Seul pèse l’ancrage et l’action locale des candidats et leurs projets pour les territoires.
Cette erreur a affaibli symboliquement le Président-candidat et renforcé son adversaire à la Présidentielle Xavier Bertrand qui réalise une belle performance sur une terre historique du Rassemblement national.
« L’adoubement présidentiel n’a aucun poids aux municipales, départementales ou régionales. Seul pèse l’ancrage et l’action locale des candidats et leurs projets pour les territoires »
Vous vous attendiez à une telle défaite électorale de la LREM ?
Oui. LREM n’est pas un véritable parti, ni idéologiquement ni organisationnellement. Il ne peut s’implanter localement hormis dans des jeux d’alliances gagées sur une futur victoire du candidat Macron à la future résidentielle et victoire donc aux législatives.
LREM est le regroupement des soutiens d’Emmanuel Macron qui s’est fait élire en 2017 dans une posture néo-bonapatiste, de bonaparte à l’ère néolibérale, contre l’ancien système politique et les partis. Tout procède d’Emmanuel Macron et tout revient à lui. Ne peut se construire une dialectique entre l’Etat et la nation avec ses territoires … autres que le seul lien direct entre Emmanuel Macron et les Français.
Et qu’est-ce que cela peut engendrer pour les mois à venir pour la majorité présidentielle ?
Elle va encore plus être sous la seule dépendance du Président-candidat Emmanuel Macron
Les Républicains ne cessent de s’auto-congratuler suite au premier tour. Comment expliquez-vous ce « regain » électoral ?
Leur électorat pour des raisons sociologiques s’est plus mobilisé et les sortants avaient en termes de visibilité et bilan une prime. Les Républicains, et pour partie les socialistes qui ont de bons sortants, existent localement mais ne pèsent pas nationalement directement. Xavier Bertrand a à juste titre voulu nouer pour la Présidentielle un lien direct avec les Français, sans être tenu par une primaire ou accord d’appareil.
La présidentielle se fera sur le retour de la souveraineté nationale et de l’autorité politique et non sur la question sociale qui structure l’axe Gauche/Droite et les partis politiques.
« La présidentielle se fera sur le retour de la souveraineté nationale et de l’autorité politique et non sur la question sociale qui structure l’axe Gauche/Droite et les partis politiques »
Et qu’est-ce que cette abstention cela nous dit de l’état de la démocratie française ? Les responsables en ont-il pris la mesure ?
La plupart des responsables et analystes imputent l’abstention aux français. Or ce sont les peuples qui font l’histoire et leurs institutions. Et quand ce n’est pas le cas, il y a abstention. Les Français vont se ruer aux urnes lors de la présidentielle, nonobstant la qualité des candidats, car ils souhaiteront au travers de cette élection retrouver une maîtrise de leurs destins. Ils voudront remettre l’État au service de la nation, au travers de visions politiques et non le laisser au quotidien relayer des normes et politiques économiques procédant de Bruxelles et Berlin au travers de la technostructure. Sinon nos dépressions morales, régressions politiques et déclassements sanitaires, économiques et sociaux se poursuivront.