Gilles Paris: « J’ai fait une bonne dizaine de tentatives de suicide. Je les appelais mes tentatives de survie »

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Auteur de 8 romans dont « Autobiographie d’une Courgette » adapté au cinéma, Gilles Paris est aussi attaché de presse indépendant dans l’édition. Ce communiquant fonceur, très présent sur les réseaux, cache une âme sensible. Longtemps, il a refusé de parler de ses huit dépressions, de ces jours « face aux ténèbres », comme l’écrit Styron où la vie ne tient qu’à un fil. Dans ce récit, il se livre enfin et tente de comprendre ce qui ne s’explique pas toujours, ce qui s’apparente à une maladie.

propos recueillis par

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Des parents qui divorcent, un père violent, autant de germes à ces années de souffrance, de séjours hospitaliers, de thérapies, jusqu’à retrouver l’équilibre grâce à l’amour et l’écriture. Alors que la Covid a engendré tant de dépressions, ce texte éclaire cette tristesse, cette perte de l’estime de soi et de plaisir qui s’abat sur des êtres fragiles, telle une lame de fond. Il nous donne aussi des clefs pour surmonter ces moments la vie bascule et pour soutenir nos proches dépressifs. Un récit poignant qui va de l’ombre à la lumière où l’auteur sait trouver les mots pour être au plus juste, les mots pour le dire.

Quel était votre projet ?
Ecrire un livre sur la dépression. Sans fard. Sans se donner le beau rôle. Sans sombrer dans la noirceur. Oui, tenter d’écrire un livre quasi lumineux sur la dépression.

Avez-vous mis du temps à vous décider à écrire ce livre ?
Oh oui. En 2012, je publiais mon troisième roman Au pays des kangourous (J’ai Lu), qui traitait, à distance et sous forme romanesque, de la dépression. J’aurais bien été incapable, alors d’user du je et de parler de mon histoire. Il m’aura fallu attendre la dernière dépression (2017), la seule sans hospitalisation, vaincue à la force du mental et du sport, une rencontre avec Véronique de Bure, mon éditrice chez Flammarion, et une lettre au père écrite en 2017 sur les conseils d’un ami qui a levé le voile de l’ultime dépression. Cette lettre a suffi à convaincre Flammarion de me signer un contrat. Deux ans de travail et de multiples corrections. En quelque sorte, un hasard de circonstances comme les pièces d’un puzzle qui se sont mises en place.

L’origine de vos dépressions ? Un père absent et violent ?
J’aimerai bien vous donner les origines de mes dépressions. Mes proches aussi. Les médecins également. Mais nous sommes tous acculés au mur des incertitudes. Seuls des avis peuvent être émis, des suggestions comme ce père absent et parfois violent. Mon hyper sensibilité, sans doute, qui parfois m’a mis en danger. Un peu comme les éponges qui absorbent tout, la douleur des autres, la sienne, le chaos du monde. Mais certainement aussi mon caractère excessif qui m’a poussé vers les extrêmes. Longtemps je n’ai pas su communiquer, moi le communiquant ! Je gardais tout pour moi. En moi. Je suppose qu’à un moment donné, ça déborde comme les crues. Aucun secret ne peut durer une éternité. Quelle folie d’avoir autant attendu, pétri de douleur sous un sourire de façade pour tromper les autres.

« Je suppose qu’à un moment donné, ça déborde comme les crues. Aucun secret ne peut durer une éternité. Quelle folie d’avoir autant attendu, pétri de douleur sous un sourire de façade pour tromper les autres »

 

Quand a commencé la première dépression ? Quels en ont été les signes avant-coureurs ?
J’avais 33 ans, l’âge de la résurrection. Et quelle résurrection ! Je n’avais plus de concentration, je peinais à lire des livres, moi l’attaché de presse dans l’édition, je suivais les lignes avec un doigt pour tenter de comprendre ce que Je lisais. Tout choix devenait impossible, tout problème insurmontable. Je pleurais beaucoup, moi qui ne pleure jamais (sauf quand je regarde un film romanesque, ou quand un père étreint son fils : là une vraie fontaine, épaules dansantes, hoquets inclus). Je n’arrivais pas à m’endormir, je me retournais des centaines de fois dans mon lit, avant d’aller fumer dans le salon, la tête si pleine que je ne pensais à rien, ou à tout, ce qui revient au même. J’en arrivais aux extrêmes : m’écraser une cigarette dans la main sans ressentir de douleur.

 

« Je n’arrivais pas à m’endormir, je me retournais des centaines de fois dans mon lit, avant d’aller fumer dans le salon, la tête si pleine que je ne pensais à rien, ou à tout, ce qui revient au même »

 

En trente ans, huit dépressions : comment expliquez-vous que vous ayez rechuté ? Que vous ayez été « Face aux ténèbres », comme le raconte Styron ?
Là encore ça ne s’explique pas. Sachant en plus qu’à la troisième dépression j’ai commencé à prendre du Lithium, un égalisateur d’humeurs, censé stopper les dépressions. Mais comme on le sait aucun médicament n’est miraculeux et sans doute, comme me l’ont souligné les médecins, j’en aurais sûrement fait davantage. La dépression, il faut le savoir, ne rend pas « fou » que ceux qui la traverse. On a tous besoin de tenter de comprendre les origines, les raisons, parce que ça rassure tout simplement. Les proches, la famille, les patients, même les médecins. Mais la mélancolie (terme médical pour désigner la dépression) se fiche bien de rassurer qui que ce soit. Nous n’avons que des hypothèses face à nous, il faut l’admettre. Parce que j’ai fait une analyse de plus de vingt ans, je me suis autorisé dans ce livre à tenter de comprendre. Je ne sais pas si j’ai réussi : c’est une part seulement de la vérité, la mienne. Celle des autres est forcément toute autre.

Qu’est-ce qui a été le plus pénible ?
Sans hésitez : faire du mal sans le vouloir à ceux qui m’aiment, Laurent en tête, mon compagnon depuis vingt et un ans avec lequel je me suis marié en 2014. On parle des dépressifs, mais jamais assez de ceux qui les supportent. Mari, femme, frère, sœur, meilleur ami, chacun d’entre eux morfle et se retrouve impuissant, sans savoir quoi faire sinon ce qu’il y a de plus sage : patienter, être là. Je ne compte plus les phrases maladroites dites dans ces moments-là : « mais secoue-toi », « tu as tout pour toi », « enfin, mais tu n’as pas le cancer, ni une jambe en moins ». On est là, nous patients, amorphes et indifférents au monde, aux autres qu’on ignore, on veut le silence, la paix intérieure, ne plus avoir peur de tout. On fait du mal à ceux qui nous veulent que du bien. On les rabroue, on leur parle mal. On est si négatif qu’il faut être bien solide pour supporter cela. J’ai pris l’habitude avec les années de me confier exclusivement aux psychanalystes, psychiatres et psychologues, peut-être une forme d’élégance pour ne pas encombrer ceux qui comptent.

 

« On parle des dépressifs, mais jamais assez de ceux qui les supportent. Mari, femme, frère, sœur, meilleur ami, chacun d’entre eux morfle et se retrouve impuissant, sans savoir quoi faire sinon ce qu’il y a de plus sage : patienter, être là »

 

Avez-vous fait une tentative de suicide?

Oui. J’en ai fait même une bonne dizaine. Je les appelais mes tentatives de survie. Je n’ai jamais cherché à en finir. Je laissais la porte ouverte de mon appartement après avoir prévenu Laurent ou un ami. Je les considérais comme un appel à l’aide et une comédie. Une bonne blague, un « je vous ai bien eu ». L’idée saugrenue que j’allais tout recommencer du bon pied. Jusqu’à ma dernière tentative où un médecin m’a dit « avec ce que vous avez pris, un autre y serait resté, certains cœurs lâchent pour trois fois rien ». Cette phrase a eu un effet catharsis sur moi, et m’a fait comprendre le danger de mes actes. Je n’en ai plus refait ensuite. J’ai gardé cette phrase en moi, et j’en ai fait plus tard, en partie, le titre de mon livre.

 

« Jusqu’à ma dernière tentative où un médecin m’a dit « avec ce que vous avez pris, un autre y serait resté, certains cœurs lâchent pour trois fois rien »

 

Comment avez-vous vécu les séjours en clinique, dont le seul bon souvenir, à vous lire, reste celle de Montpellier ?
Plusieurs endroits ont été déterminants pour moi : Sainte-Anne, La Lironde à Montpellier (pour fuir toutes les tentations de Paris) et l’hôpital d’urgence, rue Garancière. Je ne parlerais pas de bons souvenirs. Mais d’une reconstruction loin des miens. Lors de mes premières autorisations de sortie à Paris, je revenais chez moi comme un touriste égaré. Je n’étais bien, finalement, que protégé par les hauts murs de mon autre « chez moi ». Fréquenter d’autres dépressifs m’a fait comprendre que j’étais loin d’être le seul à m’emmurer dans mes pensées. Ils ont compté, le temps des hospitalisations, beaucoup plus que mes proches, que Laurent. Certains d’entre eux m’ont aidé à mieux me comprendre, à m’accepter, loin de toutes barrières sociales. Dans les hôpitaux et cliniques psychiatriques, on se fiche bien de ce que l’autre fait comme métier dans sa vie. Et puis ces lieux sont remplis de personnes douces, extrêmement gentilles, hyper sensibles, généreuses. On ne voit jamais les plus dangereux, enfermés dans des ailes auxquelles on n’a pas accès. C’est un peu, parfois, la cour des miracles. Mais on s’habitue à tout, avec le temps. Comme cette fille à la frange qui ne regardait personne et s’exprimait en criant. Elle nous faisait bondir, nous les amorphes. Mais quand elle est partie, ses cris nous ont manqué. La vie en somme.

Qu’est-ce qui vous a soigné, sauvé ?
Sans hésiter mon goût immodéré de la vie. Je suis plutôt positif de nature. Lucide, mais positif. Il y a toujours une solution à tout. Et puis ce ne sont pas les épreuves qui comptent, mais ce qu’on en fait. Et je crois avoir tordu le cou de « la bête » au final. Et bien sûr, le sport à raison de trois séances par semaine qui m’a appris le gainage physique, devenu mental avec le temps, le « bon docteur M. » comme je l’appelle dans le livre, au même rythme, un psychologue aussi avec lequel je pouvais librement parler de ma sexualité en berne, les antidépresseurs et anxiolytiques, quelques séances au cinéma, la musique, la peinture sur verre, la bienveillance de Laurent.

 

« C’est un peu, parfois, la cour des miracles. Mais on s’habitue à tout, avec le temps. Comme cette fille à la frange qui ne regardait personne et s’exprimait en criant »

Avec le recul, ces dépressions vous ont-elles fait mûrir ? Qu’en gardez-vous ?

Oui bien sûr, elles m’ont construites même. Je crois que je suis devenu une personne plus empathique, plus humaine. Plus raisonnable aussi, et cela n’a pas seulement à voir avec l’âge. J’ai appris à me protéger davantage, à m’éloigner des gens toxiques, à m’aimer enfin.

La place de l’autre, celui qui vit avec un dépressif, n’est pas facile : comment l’a vécu votre mari ?
Laurent a été très déboussolé à la première dépression. Il pleurait parfois quand il venait me rendre visite. Il voulait savoir quand j’allais rentrer. Ça m’a crevé le cœur de le voir ainsi, et de ne pas pouvoir lui répondre. Le dépressif culpabilise en permanence. Avec un peu de temps, Laurent s’est entouré de ses meilleures amies, a réussi à prendre un peu de recul. Il y a eu des hauts et des bas dans notre couple. Des engueulades, des portes qui claquent. Mais nous l’avons traversée ensemble, cette dépression, puis toutes les autres. Ça passe ou ça casse. C’est passé. Un miracle, vraiment. L’amour entre nous sûrement, et cette facilité déconcertante que nous avons, lui et moi, de tourner la page.

Que diriez-vous à quelqu’un qui tombe en dépression ?
D’aller voir un médecin. C’est le premier pas (d’une longue série) vers la guérison. Deux dépressions ne se ressemblent pas. Ni les miennes, ni celle d’un autre. C’est très difficile de donner des conseils. Tout entre en ligne de compte : la vie du dépressif, son entourage, son éducation, ses freins, ses peurs, sa famille, ses expériences. Seul un médecin peut réellement évaluer en peu de temps ce qu’il faudra au dépressif.

 

« C’est le premier pas (d’une longue série) vers la guérison. Deux dépressions ne se ressemblent pas. Ni les miennes, ni celle d’un autre. C’est très difficile de donner des conseils »

 

Comment avez-vous supporté le confinement ?
Plutôt bien. J’ai écrit un post d’humeur chaque jour sur les réseaux sociaux, et je continue d’ailleurs. Etant attaché de presse indépendant, je travaille de chez moi. Tout comme l’écrivain. Je suis « confiné » de nature. J’adore mon petit appartement, j’y suis extrêmement bien. Bien sûr la privation d’une relative liberté m’a manquée, les terrasses, les commerces non essentiels. J’oubliais souvent de signer les attestations en descendant mon chien, en faisant quelques courses.  J’ai regardé les infos un jour sur deux, sans m’encombrer. Ma mère est partie en cinq jours du Covid à 95 ans, en avril 2020. Je n’ai pas pu me rendre à l’incinération, à Rungis. Mais nous sommes allés ma sœur et moi, à deux reprises, au Colombarium du Père Lachaise. C’est gai ce mur coloré de plaques, de photos, de fleurs. Qu’elle y repose en paix.

Votre avis sur les services psychiatriques en France ?
J’ai eu la chance d’être bien soigné en trente ans de vie. Je n’en dirais que du bien. C’est définitivement un métier qui me fascine. J’admire ce qui fait la force de ces médecins de l’âme, et la distance qu’ils mettent souvent entre eux et leurs patients. J’ai croisé plus d’un regard encourageant. On est loin des années où la dépression était soignée de façon barbare.

Diriez-vous que votre livre parle de la maltraitance des enfants, ce fléau si difficile à repérer puisqu’il agit dans la cellule familiale ? Que faire contre ces violences physiques et verbales à l’encontre des plus faibles ?
Non, mon livre parle surtout de la dépression. La maltraitance est un biais, peut-être, pour mieux comprendre ce qui m’est arrivé. Depuis un moment, la parole se libère dans tous les domaines et c’est très bien ainsi, à condition que certains excès n’empêchent la présomption de l’innocence, et le lynchage un peu excessif qui nous ramène des années en arrière, où la liberté et la morale étaient toute autre. On jugeait moins. On ne peut pas revoir notre histoire ainsi, c’est absurde. Le contexte du passé ne doit jamais être négligé.

 

« Depuis un moment, la parole se libère dans tous les domaines et c’est très bien ainsi, à condition que certains excès n’empêchent la présomption de l’innocence, et le lynchage un peu excessif qui nous ramène des années en arrière »

 

Comment a été reçu votre livre ?
Je n’en reviens toujours pas. J’ai reçu près de deux cent lettres, messages, mails, de personnes souffrants de dépression à qui mon livre à fait beaucoup de bien. Des réactions aussi à des passages télévisés, ou plus de cinq cent inconnus me demandaient, en rafale, comme ami sur les réseaux sociaux. Un truc de dingue. Je n’ai pas pu répondre à tous. Récemment une dame de 84 ans m’a demandé si je voulais bien écrire une lettre à sa fille, la cinquantaine et dépressive. Je n’ai pas hésité, malgré la difficulté de parler à une inconnue. Elle m’a répondu. Cela fait vraiment partie des moments essentiels, un instant d’émotion pure.

Vos goûts littéraires ?
Les romans bien sûr, littéraires ou grand public. J’ai des goûts plutôt éclectiques, de Monica Sabolo à Truman Capote, de Tennessee Williams à Donna Tartt, de Nathalie Rheims (dont je suis l’attaché de presse) à Christopher Isherwood ou JD Salinger.

Vos projets ?
J’ai terminé l’écriture d’un roman Young Adult, qui parait le 9 septembre, chez Gallimard. Un baiser qui palpite là, comme une petite bête (vers emprunté à Rimbaud), qui raconte l’histoire chorale d’une bande d’adolescents liés par un secret, le désir des premiers émois amoureux et sexuels, et celui, radical, de la vengeance. Et d’un gros roman adulte qui paraitra au printemps 2022 chez Plon, Le bal des cendres, plutôt romanesque, qui se déroule entièrement à Stromboli pendant l’irruption du volcan. Retour salutaire à la fiction !

 

« Certains cœurs lâchent pour trois fois rien », Gilles Paris ( Flammarion).

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