Marie Molliens revient également sur les fondements du cirque et comment se positionne son art dans cette discipline.
La compagnie Rasposo lancera son spectacle Oraison cet été du 10 au 14 juin au Printemps des Comédiens de Montpellier.
Quel regard portez-vous sur cette période sinistre que nous vivons et son impact sur la culture et le spectacle vivant ?
Nous traversons une période qui ressemble à une trouble avancée vers les ténèbres, mais je crois que derrière cette obscurité on y trouvera la lumière.
Ce que cette période nous a appris, c’est surtout la gestion de la peur, ce que Deleuze annonçait en 1977 : « Une entente mondiale pour la sécurité, pour la gestion d’une « paix » non moins terrible, avec organisation concertée de toutes les petites peurs, de toutes les petites angoisses qui font de nous autant de microfascistes, chargés d’étouffer chaque chose, chaque visage, chaque parole un peu forte, dans sa rue, son quartier, sa salle de cinéma. »
Mon rôle d’artiste est de mettre en lumière, de rendre visible l’invisible ; cet invisible là aussi. Je pense qu’un spectacle doit participer à une certaine guérison de notre société.
Le retour de la « permission » d’aller au spectacle, au musée, au cinéma, celle de pouvoir se rendre, en chair et en os, face à quelque chose qui touchera notre âme et notre sensible-collectif, de manière non virtuelle, de façon directe et immédiate, sans filtre, ni mise à distance, est effectivement vécu comme la reprise d’air après une trop longue apnée. Certains en sortent encore un peu étourdis ! Il me semble important de prendre conscience que, aujourd’hui, le partage d’émotion s’apparente à un acte de résistance.
Pourquoi avoir appelé votre pièce Oraison ? Doit-on y voir un pessimisme funèbre en ce qui concerne l’avenir du cirque et de la culture ?
Quel est ce chaos contemporain que vous abordez dans votre nouvelle pièce ?
Il y a plusieurs lectures dans ce spectacle qui prennent toutes un sens d’Oraison, et dont beaucoup résonnent aujourd’hui comme annonciatrices.
En effet, au moment de la création, je tenais à ce qu’il y ait une pensée autour d’un monde perturbé, voir pré-apocalyptique. Oraison, a été crée en novembre 2019, au moment où une grande partie du monde était en feu (la Sibérie, l’Amazonie puis l’Australie), à l’aube de la crise sanitaire mondiale.
C’est une Oraison au monde, une prière pour l’avenir. Je pressentais un chaos planétaire à venir. Ce feu était pour moi, comme une alerte, comme la pluie de cendres dans le Dies Irae du Stabat Mater. Finalement, c’est un minuscule virus qui a asphyxié l’humanité. Comme Orphée le poète, une descente aux enfers s’imposait, pour tenter de nous sauver de la décadence du monde.
Oraison est donc une prière. C’est un spectacle plus doux que les précédents, même s’il est davantage politique. C’est à la fois un avertissement, un électrochoc pour prendre conscience de l’état du monde mais surtout un message d’espoir, porté par la poésie et la possible histoire que l’humanité peut encore accomplir. Ce spectacle cherche, intimement, à éveiller une prise de conscience pour rallumer nos lumières intellectuelles et poétiques ainsi que nos sensibilités profondes.
Le public qui sait déchiffrer les lectures en filigrane dans les spectacles connaît le point de vue, relativement rugueux, que je porte sur le cirque d’aujourd’hui. La pensée critique par le monde du « cirque contemporain» est souvent délaissée. Selon moi, il ne porte pas assez de rage, de colère, de vivant, il se conforme et s’enlise parfois dans un divertissement bien-pensant et manque de risque artistique et d’audace esthétique. Oraison questionne également quelque chose de mystique ou de surnaturel, ce que finalement le cirque et la mort mettent en présence ensemble.
Quelle est la symbolique du clown blanc?
J’utilise la puissance de cette image ancestrale du cirque, ancrée dans l’imaginaire collectif, pour en développer sa symbolique profonde mais aussi pour la transfigurer.
Ici, les clowns blancs symbolisent des présences fantomatiques ou l’échantillon d’une humanité blafarde ; on peut, aussi, y voir une équipe médicale au prise avec un dérèglement généralisé. Pour moi, le clown est un révélateur, qui porte la condition humaine à l’amère conscience d’elle-même…
Il éveille le spectateur à la connaissance du rôle pitoyable que chacun joue à son insu dans la comédie du monde.
Le clown blanc, comme un sauveur dérisoire, qui malgré sa maladresse et ses sarcasmes, contribue au retour de l’harmonie dans un monde que le maléfice avait perturbé.
Cette fonction de sauveteur est liée à l’élément de désordre qu’il introduit dans le monde. Celui – ci est la médication correctrice dont le monde malade a besoin pour retrouver son ordre vrai.
Tout vrai clown surgit d’un autre espace, d’un autre univers : son entrée doit figurer un franchissement des limites du réel, et, même dans la plus grande jovialité, il doit nous apparaitre comme un revenant… Il est telle une apparition sortie d’un abîme béant qui se projette vers nous.
D’autre part, le non-sens, dont le clown est porteur, prend alors valeur de mise en question, c’est un défi porté au sérieux de nos certitudes.
Ne pensez vous pas que cette période pourrait déclencher un nouvel appétit pour la culture et des spectacles, comme le votre, avec ce coté poétique?
Le public retourne aux spectacles parce qu’il a besoin de vivre et de partager des émotions vraies. Il faut aller chercher le public, chez eux, les sortir de leurs écrans, créer l’événement.
Grâce au chapiteau, le cirque est un art populaire et doit le rester. Mais il doit, pour garder son titre d’art, être en perpétuelle évolution vers une exigence artistique et bousculer les consciences.
On imagine que la patte Rasposo sera encore plus prégnante dans Oraison : acrobatie, poésie, blancheur, brillance?
Après la fulgurance inattendue des anneaux de hula hoop qui invite le rire satirique sur le « divertissement » à outrance, Oraison, dans sa piste intime, suggère, avec une ferveur quasi-religieuse, des images délicates ou grinçantes :
– Aériennes et diaphanes à travers le fil de fer qui, par ses déséquilibres et la fragilité de ceux ci, sont tantôt impalpables et tantôt l’expression tenace et désespérée d’une résistance à un chaos.
– Le dérèglement maladif du corps inversé de l’équilibriste dérange l’icône mélancolique de l’acrobate.
– La grâce sauvage du lancer de couteaux flirte amoureusement avec la mort et le danger.
– Le souvenir brisé de l’animal de cirque alimente la controverse actuelle et questionne sur leur devenir mythologique.
– Quelques lointaines notes d’orgue de barbarie tristes et joyeuses, résonnent comme une prière de cirque.
Oraison
Compagnie Rasposo
Écriture, mise en scène, création lumière
Marie Molliens
Regard chorégraphique
Denis Plassard
Interprètes
Marie Molliens, Robin Auneau, Zaza Kuik “Missy Messy“, Françoise Pierret
Assistante à la mise en scène
Fanny Molliens
REPRISE PRINTEMPS / ETE 2021
MONTPELLIER (34) – Festival Printemps des Comédiens
Du 10 au 14 juin ( réservez vos places sur ce lien)
LE MANS (72) – Festival Le Mans fait son Cirque dans le cadre du focus Cie
Du 18 au 20 juin
VILLENEUVE-LES-AVIGNON (30) – Festival Villeneuve en Scène
Du 9 au 21 juillet
AX-LES-TERMES (09) – Festival Spectacles de Grands Chemins
Du 29 au 31 juillet
ESTAGEL (66) – Festival Jours de Théâtre
Du 4 au 6 août
NEXON (87) – Festival Multi-Pistes
Du 11 au 15 août
UCKANGE (57) – Le U4 (report)
Du 20 au 22 août