nous livre son analyse également sur la crise économique liée au Coronavirus et ses conséquences à moyen terme.
Philippe Herlin, une enquête à charge sur le pouvoir d’achat parue en 2018. Votre constat est-il toujours le même en 2020 : le pouvoir d’achat est-il l’outil d’un grand mensonge ?
Oui car l’INSEE n’a pas changé ses méthodes de calcul. Je résume rapidement le problème : premièrement le logement pèse pour seulement 6% du « panier de la ménagère » (car l’achat immobilier n’est pas pris en compte, seulement les loyers), et un « effet qualité » tire les prix des biens vers le bas (votre nouveau smartphone coûte plus cher, mais l’INSEE considère que « vous en avez plus pour votre argent » parce qu’il est plus puissant, et donc inscrit un prix en baisse dans sa base).
L’inflation étant ainsi rognée, l’institut et le gouvernement peuvent annoncer un pouvoir d’achat en hausse, qui ne correspond pas à la réalité que vivent les Français. Et cette perte réelle de pouvoir d’achat a été particulièrement importante depuis 2000 et la hausse de l’immobilier partout en France, ce qui a mis les budgets des familles sous tension. C’est pour moi la première explication de la crise des gilets jaunes, leur révolte est inconcevable dans un pays où le pouvoir d’achat progresserait d’année en année car ce sont des gens insérés, qui ont un travail.
« L’inflation étant ainsi rognée, l’institut et le gouvernement peuvent annoncer un pouvoir d’achat en hausse, qui ne correspond pas à la réalité que vivent les Français »
On imagine que ce travail d’enquête a du tout de même rencontré quelques écueils pour recueillir des données en grand nombre. Comment avez-vous appréhendé la construction de ce livre ?
Je ne me contente pas de critiquer l’INSEE, je suis allé rechercher des séries de prix, en piochant dans des catalogues de La Redoute, des brochures d’hypermarchés, différentes bases de données, de façon à suivre le pouvoir d’achat sur un demi-siècle, entre 1965 et 2015. On constate une forte progression sur la fin des « Trente glorieuses », une cassure en 1975, des gains limités ensuite, et une perte prononcée après 2000 avec la hausse de l’immobilier et des matières premières.
Vous n’accordez que peu de confiance à l’Insee. Qu’est ce qui selon vous génère les approximations de l’Insee que vous dénoncez ? Y-a-t-il quelque chose d’intentionnel ?
L’inflation est une donnée essentielle, de nombreuses prestations sociales sont indexées sur le chiffre que produit l’INSEE, les salaires des fonctionnaires, et aussi ceux du privé, le prennent pour référence. Pour l’Etat, quelques dixièmes de plus ou de moins et des milliards d’euros sont en jeu. Au-delà, il y a la volonté générale, dans le monde occidental, de lutter contre la hausse des prix depuis le début des années 80. Ça a été fait, à l’époque, avec la hausse des taux d’intérêt (20% en 1981 pour la banque centrale américaine !), la modération salariale (fin de l’indexation des salaires), la mondialisation (les délocalisations en Chine permettent de tirer les prix vers le bas). Et si au passage on peut grapiller quelques points avec un mode de calcul avantageux, pourquoi se gêner.
Vous évoquez l’effet qualité tout autant que le coût des charges afférentes à l’immobilier au sein des ménages. Y-a-aurait-il finalement un calcul plus rationnel à faire pour mieux calculer ces charges dans le pouvoir d’achat?
Pour moi, il faut purement et simplement supprimer l’effet qualité, c’est du « doigt mouillé », pas de la statistique (aucune note détaillée de l’INSEE sur le sujet), et il faut tenir compte de l’immobilier globalement. Certes l’acquisition d’un logement est un investissement, qui formellement ne devrait pas figurer dans l’IPC (indice des prix à la consommation), mais c’est aussi un bien que l’on consomme, donc l’exclure n’a pas de sens. D’ailleurs ce problème prend de plus en plus d’ampleur, et je m’en félicite : l’économiste en chef de la BCE a récemment déclaré que l’on devait mieux prendre en compte l’immobilier dans le calcul de l’inflation. L’INSEE ne va plus pouvoir faire encore longtemps la sourde oreille. (https://www.europe1.fr/economie/pourquoi-lindice-des-prix-a-la-consommation-devrait-prendre-en-compte-limmobilier-3947429)
« Il faut purement et simplement supprimer l’effet qualité, c’est du « doigt mouillé », pas de la statistique et il faut tenir compte de l’immobilier globalement »
Depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir, estimez-vous que sa politique économique va-t-elle dans le bon sens selon vous pour redonner du pouvoir d’achat aux ménages ?
Il y a eu quelques bonnes intentions, mais finalement quasiment rien (la fin de l’ISF est une bonne chose, mais l’IFI une erreur). Pour moi la progression de pouvoir d’achat passe par la réindustrialisation, car l’industrie apporte de nets progrès de productivité, qui seuls peuvent générer de vraies augmentations de pouvoir d’achat. Et cette réindustrialisation passe d’abord selon moi par une baisse des taxes et des impôts pesant sur les entreprises, gagés sur une baisse massive des dépenses publiques. D’autre part, il faut libéraliser le marché du logement, trop encadré et bureaucratisé, afin de faire baisser les prix.
« La progression de pouvoir d’achat passe par la réindustrialisation, car l’industrie apporte de nets progrès de productivité, qui seuls peuvent générer de vraies augmentations de pouvoir d’achat »
Quel regard portez-vous sur la politique de la BCE ces dix dernières années concernant cette problématique de pouvoir d’achat tout autant que la politique économique de l’UE ?
Le contresens complet. La baisse des taux est sensée favoriser le crédit, mais c’est prendre le problème à l’envers, une entreprise n’emprunte pas parce que les taux sont bas, il lui faut un projet, un débouché ! Et les plans de rachat de dette souveraine (les « QE », quantitative easing) favorisent les Etats déficitaires, qui ainsi « soutiennent la demande », selon la vulgate keynésienne ; un échec également.
Quant à l’UE, elle veut lancer un plan de 1.000 milliards d’euros pour lutter contre le réchauffement climatique (le Green New Deal), une lubie qui va détruire nos industries à base d’énergie fossile et dégrader toute l’économie européenne. Je ne crois pas du tout au réchauffement climatique anthropique (lisez L’Urgence climatique est un leurre de François Gervais), mais c’est un formidable prétexte pour que les Etats interviennent et dépensent encore plus. Une vraie catastrophe.
« Quant à l’UE, elle veut lancer un plan de 1.000 milliards d’euros pour lutter contre le réchauffement climatique, une lubie qui va détruire nos industries à base d’énergie fossile et dégrader toute l’économie européenne »
Comment penser la mondialisation, la globalisation, les pertes d’emplois massives des Français et le pouvoir d’achat ?
Je ne crois pas du tout que la mondialisation joue contre la France, au contraire, elle pourrait y trouver une meilleure place, mais nos entreprises concourent avec un boulet au pied : notre taux de prélèvements obligatoires est le plus élevé des pays de l’OCDE, comment lutter dans ces conditions ? Le problème c’est le poids de notre Etat, de notre bureaucratie, la complexité du droit du travail, de la fiscalité, des normes… Nous avons une économie diversifiée (art de vivre, haute technologie, militaire, agroalimentaire, etc.), il y a une sorte de « génie français » tout de même, si la France était bien gérée, nous aurions 3% de chômage, et un pouvoir d’achat supérieur aux Allemands, peut-être pas loin de la Suisse, le rêve !
« Nous avons une économie diversifiée, il y a une sorte de « génie français » tout de même, si la France était bien gérée, nous aurions 3% de chômage, et un pouvoir d’achat supérieur aux Allemands, peut-être pas loin de la Suisse, le rêve ! »
Quelle doit être la place de l’Etat dans l’économie au 21 siècle ? Plus interventionniste ou plus libre-échangiste ?
La France, c’est une culture étatiste (impôts + normes) dans le grand bain de la mondialisation, autrement dit l’échec assuré, heureusement compensé, mais en partie seulement, par la créativité des entrepreneurs et des concepteurs.
Quel sera selon vous l’impact du coronavirus sur l’économie française et mondiale ?
Grave. Au minimum une récession et une vague de faillites. Au pire, des secteurs peuvent « craquer » comme les banques (françaises et européennes), qui ont trop peu de fonds propres (en comparaison des banques américaines par exemple).
Pour finir, certains groupes français parlent déjà de relocaliser leur production en France et quitter notamment la Chine. Est-ce pour vous un coup de semonce pour la mondialisation ?
Non, mais c’est la fin d’une vision trop simpliste de la mondialisation, trop « le nez sur le prix de revient » si vous voulez, et qui ignore les « Cygnes noirs », ces événements très perturbants et imprévisibles, mais qui se produisent bien plus souvent qu’on ne le pense, le coronavirus en apporte un exemple spectaculaire. Il ne faut pas voir que le prix, il faut aussi tenir compte du délai d’acheminement, du risque de vol de propriété intellectuelle, des Cygnes noirs. Mais la relocalisation se fera d’autant mieux que l’on baissera le niveau des impôts en France !
Pouvoir d’achat : le grand mensonge: Une enquête exclusive de Philippe Herlin Editions Eyrolles