Joël Le Pavous : « Historiquement, la Hongrie aime s’appuyer sur des leaders forts »

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Joël Le Pavous, journaliste savoyard est tombé amoureux de la Hongrie et d’une hongroise qu’il a rejoint à Budapest. Depuis il est correspondant sur place pour plusieurs médias français. De cette histoire d’amour polymorphe, il a décidé d’en faire un dictionnaire insolite paru récemment aux Editions Cosmopole. La culture, la politique, l’art de vivre, la politique, l’histoire ou encore le football sont autant d’entrées dans ce dictionnaire passionnant qui permet un autre point de vue sur un pays très souvent décrié sur la scène politique européenne. Rencontre avec Joël le Pavous.

propos recueillis par

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Une première question : comme passe-t-on de la Savoie à la Hongrie, Joël Le Pavous ?

J’ai effectué ma scolarité en Savoie (Albertville) avant d’intégrer la faculté d’Histoire de Grenoble puis de tenter trois concours d’écoles de journalisme dont celle de Bordeaux (IJBA) dont je suis sorti diplomé en juin 2013. Quelques semaines après mon arrivée en Gironde, j’ai rencontré Szilvia, originaire de Budapest par l’intermédiaire d’un chat internet. Elle est devenue ma petite-amie puis nous avons entretenu notre relation lorsque son Erasmus de six mois s’est achevé. J’ai mûri ma décision de vouloir rejoindre ma compagne en Hongrie. Ce fut chose faite en novembre 2013. J’ai débuté par quelques portraits d’expatriés pour la presse régionale puis j’ai construit ma légitimité au fil de mon expérience. Je suis aujourd’hui la vigie hongroise de Courrier International, le correspondant de Slate, Le Télégramme et le Temps ainsi que le fixeur/traducteur de télévisions françaises et francophones.

D’où vous vient cet amour pour la Hongrie ? Se situe-t-elle dans sa dimension culturelle, touristique ou politique ?
Outre mes sentiments pour mon épouse, mon amour de la Hongrie réunit ces trois dimensions bien que mes différents travaux témoignent de certains doutes sur la politique actuellement menée sans pour autant vouloir m’ériger en détracteur invétéré du gouvernement Orbán. Lorsque je n’analyse pas les décisions de l’exécutif dans le cadre de ma vie professionnelle, j’apprécie les rives du lac de Velence ou du Balaton l’été malgré la foule compacte, la courbe du Danube au niveau de Visegrád et cette manière qu’ont les Hongrois(es) de revendiquer fièrement leur inventivité (on leur doit entre autres le Rubik’s Cube et la Vitamine C comme évoqués dans mon ouvrage) et l’importance de leur Histoire millénaire depuis le couronnement du roi Saint-Étienne.

Vous avez publié récemment une dictionnaire insolite de la Hongrie. Quand vous est venue cette idée ?
L’idée m’est venue après quatre ans de présence sur place en accumulant les sensations sur le terrain comme dans ma vie quotidienne. J’ai alors cherché un moyen de retranscrire certains de ces « chocs » et « shots » culturels (déclamer un poème en aspergeant ma future épouse et ma future belle-mère de parfum, payer mes factures postales avec des coupons…). J’ai donc contacté les Éditions Cosmopole avec l’ambition d’ajouter la Hongrie dans leur riche collection de dictionnaires insolites qui correspondaient exactement à cette ligne. Nous avons ensuite discuté des notices les plus pertinentes, écarté certains termes pouvant paraître trop obscurs pour un lecteur français ou francophone et bouclé l’écriture sur un an.

Il y a de nombreux dictionnaires qui appréhendent certains sujets sur le thème de l’amour, publié notamment chez Plon. Pourquoi avoir choisir « Insolite » ?
Car la forme et l’esprit de l’ouvrage s’inscrivaient dans ce que je ressentais et ce que je souhaitais coucher sur le papier. Certaines notices sont certes plus informatives ou touristiques mais nombre de termes présents dans le livre recèlent une anecdote personnelle, ou soulignent ironiquement l’étrangeté d’une coutume (l’arrosage une fois encore) ou d’un plat (le trappista n’a rien d’un fromage pour le Savoyard que je suis mais reste la base fromagère pour un magyar) et reflètent les expériences accumulées lors de mes reportages ou fixings (Kübekháza et la triple-frontière le long de la clotûre notamment).

Avez-vous voulu faire contrepoids à l’image souvent controversée de la Hongrie en France et notamment dans la presse ?
J’ai plutôt voulu faire un pas de côté malgré la présence de quelques notices d’actualité se rattachant de près ou de loin au gouvernement actuel comme les lecteurs et lectrices l’ont constaté. En tant que correspondant quotidien la vie politique hongroise, évoquer ne serait-ce que sommairement la figure de Viktor Orbán, l’impact de la crise des migrants ou les visées du groupe de Visegrád me paraissaient tout aussi primordial dans cet ouvrage que de raconter la marche des Busó de Mohács célébrant la fin de l’hiver, l’effervescence du quartier de la fête de Budapest ou la richesse architecturale magyare.

Comment avez-vous choisi les entrées qui devaient être nombreuses ? Avez-vous procédé à un dosage entre culture, politique, sport, gastronomie ?
J’ai effectivement rassemblé mes différentes idées de sorte de respecter l’équilibre entre les différentes thématiques alimentant le manuscrit. Nous avons échangé sur un premier jet de possibilités avec la maison d’édition avant d’écrémer en fonction de la pertinence des termes et du fait que ceux-ci ne seraient pas datés au moment de la publication. Cela explique la prédominance de la culture, de la gastronomie, du sport et de l’Histoire sur l’actualité pure et dure car il ne s’agit pas ici d’un ouvrage sur la situation de la Hongrie en 2019 mais d’un concentré informatif des spécificités magyares, ponctué d’éléments nouveaux. Cette répartition fonctionne selon un modèle similaire pour l’ensemble des titres de la collection comme ceux sur Madrid et l’Inde du Sud sortis récemment.

En quoi, selon vous, la Hongrie incarne-t-elle une terre d’histoire et dans quelle mesure celle-ci doit être prise en compte pour mieux comprendre la Hongrie d’aujourd’hui ?
Il est difficile de saisir la popularité et la personnalité d’un Viktor Orbán sans savoir que la Hongrie aime s’appuyer sur des leaders forts. Saint-Étienne unifia, christianisa et pacifia une terre déchirée par les conflits tribaux lorsqu’il prit la tête du royaume naissant avec son arrivée sur le trône. Matthias implanta les ferments de la Renaissance et porta la résistance aux nombreuses invasions avant de diriger la Hongrie la plus territorialement étendue de l’Histoire. Lajos Kossuth se fit le porte-parole des aspirations autonomistes en exaltant la magyarité face aux Hasbourg et en créant une armée de « défense de la patrie ». La célébration de la fondation du royaume en l’an mil, de la révolution manquée contre Vienne (1848-1849) ou de la résistance antisoviétique matée par les chars de Moscou début-novembre 1956, toutes trois fêtes nationales (respectivement 20 aout, 15 mars et 23 octobre), montrent combien la Hongrie et son Histoire ne font qu’une, outre la commémoration du Traité de Trianon instaurée dans les écoles depuis le retour aux responsabilités de Viktor Orbán en 2010.

 

« Il est difficile de saisir la popularité et la personnalité d’un Viktor Orbán sans savoir que la Hongrie aime s’appuyer sur des leaders forts »

 

Quel regard portez-vous sur Budapest aujourd’hui ? Est-ce une capitale attractive culturellement et historiquement ?
Budapest surfe allègrement sur son aspect destination « tendance » pour des week-ends AirBNB ou des enterrements de vie de garçon ou de jeune fille la rapprochant de Prague ou de Barcelone. Les bains thermaux hérités de l’occupation ottomane et les « ruin pubs » tels le Szimpla Kert, l’Instant-Fogás Ház ou le Füge Udvar attirent nombre de touristes en quête d’amusement et d’ivresse low-cost. Ceux et celles plus portés sur les découvertes culturelles que la vie nocturne trouvent aussi leur bonheur en contemplant le somptueux musée des arts décoratifs, l’ancien bâtiment des postes et les autres édifices sécession imaginés par Ödön Lechner, le quartier du Château avec le Bastion des Pêcheurs, les authentiques marchés couverts, les cinémas d’art et d’essai comme le Toldi, le Művész ou le Puskin proposant des films sous-titrés sortant des sentiers battus et le chateau de Vajdahunyad résumant l’architecture magyare.

« Budapest surfe allègrement sur son aspect destination « tendance » pour des week-ends AirBNB ou des enterrements de vie de garçon ou de jeune fille la rapprochant de Prague ou de Barcelone »

 

Une question plus politique, en tant que résident hongrois, pensez-vous que les européennes intéressent-elles le peuple hongrois ? La mobilisation sera-t-elle forte ?
En dépit des critiques anti-Bruxelles formulées par l’exécutif, près de quatre-vingt pour cent des Hongrois(es) se disent plutôt proeuropéens et une majorité significative estime que l’Union apporte du positif au pays l’ayant rejointe en mai 2004 dans le cadre de l’élargissement vers l’Europe Centrale et Orientale. Les questions européennes restent marginales dans le débat public et les esprits en dehors de Budapest et des grandes agglomérations (Győr, Debrecen, Pécs, Szeged, Miskolc…) mais l’importance qu’accorde le gouvernement actuel et ses opposants au scrutin vu comme une manière de valider la politique anti-immigration illégale et de répondre au « diktat » de Bruxelles par les uns ou un référendum anti-Orbán pour les socialistes, les écologistes et le Jobbik pourraient bien gonfler la participation. L’élection permettra également aux différents camps de compter leurs troupes en vue des municipales de l’automne.

La droite européenne a renoncé à exclure le Fidesz. Quel regard porte le peuple hongrois sur la position de son pays au sein du Parlement européen et des sanctions prises récemment ?
L’exclusion n’est pas totalement écartée car les trois sages chargés d’examiner la situation de l’état de droit en Hongrie qui rendront leur rapport après le scrutin seront en mesure de formuler des recommandations susceptibles d’amener vers l’expulsion du Fidesz du PPE dont il est suspendu pour une durée illimitée depuis l’assemblée politique du 20 mars. Les Hongrois(es) sont aussi polarisé(es) sur ces questions que leurs représentants politiques siégeant aux Parlements de Budapest et de Bruxelles. Les soutiens de l’exécutif et sympathisants Fidesz considèrent le verdict du PPE comme une victoire confirmant que la droite européenne ne peut pas se passer des voix « orbánistes » pour l’élection de mai et valident l’influence grandissante des idées d’Orbán dans la famille au sein de laquelle Helmut Kohl l’avait invité au tournant du millénaire. Les contempteurs du gouvernement condamnent la frilosité du PPE refusant de sévir contre les « dérives » de Budapest et l’opportunisme de Manfred Weber privilégiant selon eux les sièges aux valeurs afin de pouvoir présider la Commission.

 

« Les Hongrois(es) sont aussi polarisé(es) sur ces questions que leurs représentants politiques siégeant aux Parlements de Budapest et de Bruxelles »

 

Quelques endroits à conseiller à nos lecteurs pour un séjour à Budapest et plus largement en Hongrie ?
Les novices découvrant la « perle du Danube » seront pleinement satisfaits par une marche le long du fleuve coté Pest en allant du Vigadó au Parlement, un moment de détente aux bains Széchényi, Gellért ou Rudas, une soirée romantique avec panorama sur la ville depuis le Bastion des Pêcheurs ou la Citadelle, un diner hongrois chez Stex, Gundel ou au Paprika Vendéglő non loin du Bois de Ville, un détour par l’ile Marguerite et sa fontaine musicale, une pâtisserie chez Gerbeaud ou au Párisi Café sur l’avenue Andrássy se descendant facilement de la Place des Héros au Danube et une bière ou plus dans un ruin pub du septième arrondissement ou au Gólya, le tout tenant sur un long week-end de mai ou de septembre lorsque les températures sont idéales. Ceux et celles sortant de Budapest se réjouiront d’une baignade sur la rive nord du Balaton, d’une observation de la courbe du Danube depuis le chateau de Visegrád, d’une visite de Pécs et son quartier Zsolnay ou de la multiculturelle et francophile Szeged aux confins de la triple frontiere Hongrie-Serbie-Roumanie.

 

Dictionnaire insolite de la Hongrie
Joël Le Pavous
Edition Cosmopole
11 euros

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