Aline Peugeot : « La prostitution est moins fourbe et hypocrite que les « promotions canapés », les propositions indécentes et déplacées du quotidien »

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Aline Peugeot, ancienne prostituée, aujourd’hui, auteur, conférencière et engagée dans le développement personnel, réagit sur Putsch à la proposition de la députée Valérie Gomez-Bassac sur la réouverture des maisons closes. Pourtant, ce sujet suscite bien des polémiques et revient fréquemment sur le devant de la scène politique. Avec la parution de son livre sur son passé de prostituée, Aline Peugeot relance le débat sur cette question de la prostitution. Elle est la fille adoptive du petit-fils de l’industriel Henri Peugeot.

propos recueillis par

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Comment avez-vous réagi à la prise de position de la députée Valérie Gomez-Bassac (LREM) concernant la réouverture des maisons closes?

C’est une bonne chose à partir du moment où certaines notions essentielles seront prises en considération et si le projet ne vise tout simplement pas « à cacher la misère  » afin de se donner bonne conscience, de redorer l’image d’une ville ou encore un moyen de récupérer l’argent issu de cette activité.

En quoi cette mesure ne pourrait-elle pas assurer la sécurité des prostituées?
Les violences physiques et morales peuvent très bien avoir lieu à l’intérieur même des maisons closes Que se soit entre prostituées ou provenant des clients eux-mêmes, c’est une constante dans ce domaine. De plus, s’il y a un proxénète derrière une fille, ce n’est pas parce qu’elle n’œuvrera plus dans la rue qu’elle ne se fera pas contrôlée, dépouillée et frappée à l’extérieur.
Concernant l’hygiène, il faudrait également trouver le moyen de la rendre obligatoire, et ce, des deux cotés, client et prostituée afin d’être entièrement cohérent dans ce projet.

 

« S’il y a un proxénète derrière une fille, ce n’est pas parce qu’elle ne travaillera plus dans la rue qu’elle ne se fera pas contrôlée, dépouillée et frappée à l’extérieur »

 

Quel regard portez-vous sur la loi de 2016 qui pénalise les clients de prostitué(e)s?

C’est une loi complètement ridicule. Le prostitution est le plus vieux métier du monde et perdure car la clientèle sera toujours bel et bien présente. On peut penser ce qu’on veut de cette activité mais elle a au moins le mérite d’être claire et directe, on sait pourquoi on est là, et il n’y a pas de surprise …C’est beaucoup moins fourbe et hypocrite que les « promotions canapés » , « les propositions indécentes et déplacées du quotidien. Je pense sincèrement que pour certains clients c’est une thérapie bénéfique, un échappatoire positif car les fantasmes refoulés peuvent être la cause d’actes effroyables. Culpabiliser le client en le pénalisant et accentuer cette notion de « se cacher » afin de ne pas être sanctionner, c’est appuyer sur le caractère « infâme » que porte le regard de la société sur cette activité et aggraver la marginalisation des prostituées.

 

« La prostitution a le mérite d’être claire et directe (…) C’est beaucoup moins fourbe et hypocrite que les « promotions canapés », « les propositions indécentes et déplacées du quotidien »

 

Êtes-vous pour une légalisation de la prostitution et pourquoi ? En quoi une légalisation pourrait-elle faire face durablement aux problèmes de ces situations ?

Oui je suis pour la légalisation car elle évincerait bien des proxénètes du marché et ferait cesser cette hypocrisie généralisée face à cette activité qui fascine et rebute à la fois, cloisonnant celles qui y travaillent à un milieu marginal et à part. Elle permettrait également la mise en place de règles bien définies et acceptables à l’opposé de celles qui règnent dans ce milieu et qui s’apparentent à des pratiques mafieuses avec ses notions de chantage, de territoire et de menace. En réintégrant ce « métier » dans la société, on permettrait également à ces travailleur(se)s du sexe de s’y réinsérer, de retrouver une légitimité d’être. C’est important pour celui ou celle qui envisage d’en sortir ultérieurement.

 

« Je suis pour la légalisation de la prostitution car elle évincerait bien des proxénètes du marché et ferait cesser cette hypocrisie généralisée face à cette activité »

Vous accordez beaucoup d’importance à la dimension humaine dans la prostitution. Comment s’assurer que les prostituées sont totalement libres dans l’exercice de la prostitution ?

On ne peut s’en assurer puisque beaucoup parmi celles qui se disent consentantes se leurrent elles- mêmes. C’est pourquoi un suivi psychologique, une écoute permanente sont nécessaires afin de mettre en lumière les véritables raisons de leurs présence dans ce domaine.
Ce n’est pas un choix anodin ni sans conséquence. Seulement on ne peut pas s’en apercevoir tant qu’on travaille activement dans ce domaine d’autant plus que l’addiction à l’argent « facile  » est inexorable dans une société où le pouvoir d’achat est une obsession surtout lorsqu’il ne nous reste plus que cela pour nous démarquer.
Quand j’étais dans le milieu de la prostitution, j’étais persuadée comme beaucoup de mes collègues que c’était écrit sur mon front sans aucune possibilité de retour à une vie « normale ». Je tentais de racheter ma honte par des achats de produits de luxe qui me donnaient l’impression de devenir enfin quelqu’un d’honorable .Un accompagnement social permettrait d’avoir une porte de sortie ou bien souvent on se retrouve prisonnière par ignorance et un manque de considération envers soi-même.
Un dispositif de mise sous tutelle ou de protection permettrait aussi de vérifier que les prostituées ne sont pas sous une quelconque emprise extérieure car se fier à leurs déclarations ne vaut rien dans un milieu où règne la loi du silence. Un suivi médical régulier est à conseiller afin d’éviter les addictions à l’alcool et aux drogues ainsi que pour identifier la présence de coups et apporter un traitement en cas d’infection de MST. Les préservatifs ne sont malheureusement pas tous fiables et certaines maladies se transmettent par la salive et le sang.

 

«  Quand j’étais prostituée, je tentais de racheter ma honte par des achats de produits de luxe qui me donnaient l’impression de devenir enfin quelqu’un d’honorable »

 

En tant qu’ancienne prostituée, est-ce que, selon vous, la prostitution a changé de visage et s’est transformée durant ces dernières années ? Si oui, dans quelle mesure ?
Elle s’est transformée bien entendu et pas de la meilleure des façons. À l’époque des maisons closes le siècle dernier, les prostituées étaient des femmes respectables et respectées mais très jalousées par les autres femmes. Elles avaient même des rôles de conseillère politiques et souvent muse de grands couturiers ou d’artistes. Leur intelligence était même un critère de sélection.
Aujourd’hui, c’est la femme qu’on juge, sur laquelle on crache mais surtout dont on profite honteusement avec l’arrivée de cette population étrangère démunie. La prostituée est bannie, salie, étiquetée, reléguée à la rue tout en lui rendant la tâche plus ardue encore avec des lois contre le racolage et la pénalisation de sa clientèle.

 


Aline PeugeotDu Chaos à l’éveil spirituelÉditions Exergue

 

( Crédit Photo Aline Peugeot – DR )

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