Roland Jaccard : l’angoisse du séducteur au moment de l’hallali

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« L’individu n’est intéressant que pour lui-même. Et encore… ». Le ton est donné d’emblée. Du désenchantement à l’ivresse contenue, la nuance est aussi subtile que le souffle de Casanova sur l’aréole d’une moniale dévêtue.

S’emparant de la figure d’Amiel, Roland Jaccard lui tend une main singulière. Il saisit quelques instants des monumentaux mémoires – pas loin de 17000 pages – de l’écrivain genevois. Ceci est un jeu de miroirs, un carnaval digne du Bal du Rat Mort. N’en doutons pas, c’est Jaccard qui s’avance sous le masque d’Amiel. Il laisse à son inspirateur la paternité de confidences teintées d’amertume, d’épisodes galants mouillés d’acide misogyne.
La figure d’Amiel évoque « Catherine » unique roman signé par Jacques Boutelleau, qui allait faire carrière sous pseudonyme. Le protagoniste est un séducteur compulsif, encombré par ses proies dès qu’elles lui cèdent, tout le plaisir de la chasse se situant dans l’affût et non la prise. Ainsi Amiel, à qui il suffit d’une nuit voluptueuse pour ébranler son euphorie et enclencher le mécanisme sournois du désamour. Si les femmes sont la grande affaire de leur vie, Amiel et Jaccard sont des désabusés offensifs, des conquérants sur l’empire desquels le soleil noir ne se couche jamais. Une figure tutélaire ? Ce serait Charles Denner : « Je me souviens encore de cette lycéenne au teint pâle et à l’élégance sévère que je suivais dans les rues de Genève ». Dans ses habits neufs, Amiel apparaît comme un Léautaud policé, alors que la petite musique de Jaccard le pose en Matzneff qui aurait oublié de jouir. On se prend à paraphraser Claudel: ne vous vengez pas des femmes, Jaccard s’en charge pour vous. Plaisamment !

« Les derniers jours d’Henri-Frédéric Amiel », Roland Jaccard, Serge Safran éditeur. 16,90 euros

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