« Sauvage » : un portrait tendre et violent de la prostitution masculine qui flirte avec le voyeurisme
Un mec qui fait le trottoir, ça change des scénarios habituels abordant la thématique de la prostitution ! Et le mec en question s’appelle Léo, il est jeune, gay, libre, défoncé, indomptable et semble étrangement à sa place. Entre deux (mauvaises) passes, Léo emmerde le monde avec une infinie tendresse.
Il s’appelle donc Léo (Félix Maritaud) mais, en vrai, il n’a pas de nom. Il le dit lui-même « appelle moi comme tu veux ». Il s’en fiche. Il se fiche même de tout : pas d’identité, pas de passé, pas de raisons connues de se prostituer, pas de proches, pas de lien avec la société ni même la civilisation, pas d’enjeux, pas de pression, pas de but, pas d’issue. Et il n’en cherche pas vraiment une. Comme si vivre dans la rue et vendre son corps lui allait, comme s’il ne se posait même plus la question et n’envisageait plus d’autre alternative. « Je suis une pute », il le clame, le répète, l’articule et l’assume. Pute devient son prénom. Il ne sait pas qui être d’autre de toute façon. Son métier est son seul repère, sa seule activité, sa seule récurrence. Ce n’est d’ailleurs pas un métier mais un quotidien, une façon de vivre ou de survivre, perdu dans une jungle bitumée où la loi du plus fort ou du plus bradé gouverne. Léo ne sait pas qui il est, où il va, pourquoi il vit et il sait encore moins ce que signifie le respect ou l’amour. Du moins, il le donne sans jamais le recevoir en retour.
Et c’est pourtant pas faute de le chercher, l’amour. Sauvagement, désespérément, maladroitement. Il le cherche dans les bras des clients. Des clients parfois vieux et veufs, handicapés et impuissants, sado-maso et tarés, moches et désespérés. Peu importe, il les embrasse tous. Il cherche l’amour, en haut, en bas, sur le ventre ou le dos, même dans la défonce et la misère. Et cet amour, même s’il ne veut pas totalement le reconnaitre, il se trouve entre les mains et les abdos bétonnés d’un collègue de boulot : Ahd (Eric Bernard). Un apollon musclé et viril qui couche avec des hommes pour s’en sortir mais qui aime les filles. Un apollon qui ne veut pas de Léo et qui le laissera tomber pour sauver sa peau et partir au soleil, en Espagne, avec un vieux prêt à l’entretenir. Avant de partir, Ahd lui balance : « Pourquoi tu n’essayes pas de t’en sortir toi ? Trouve-toi un vieux bienveillant qui prendra soin de toi, c’est ce qui peut t’arriver de mieux, nous arriver de mieux ». Il marque une pause et ajoute « T’es fait pour être aimé toi ».
Léo, 22 ans, prostitué mi-homme mi-animal
Léo n’est pas simple à cerner. Déjà, on ne sait rien sur lui. On ne sait que ce qu’on voit, petit à petit : son métier, ses clients, son joli corps abimé, ses nuits dans la rue, ses jours au bois à attendre qu’une voiture s’arrête ou que la chance tourne peut être, ses cannes de toux, sa respiration difficile, ses soirées déjantées dans des clubs gays, sa solitude, sa passivité, sa dépendance aux drogues, son attirance pour Ahd et surtout, son indépendance intrinsèque et son amour inconditionnel de la liberté. Car si Léo veut bien vendre son corps, jamais son âme. Car si Léo veut bien se louer une ou deux nuits, jamais se donner pour la vie. Tôt ou tard, il récupère tout et comme un chien enragé ou un animal blessé et apeuré, il s’enfuit en courant. A toute vitesse et torse nu, il sème les secondes chances et même le bonheur. Comme si c’était une question de vie ou de mort.
Et peu importe s’il laisse derrière lui un vieux bienveillant au cœur brisé et des billets de 50 euros sur la table Ikea d’un appart à l’espace bien décoré mais trop étriqué. Léo n’est pas Adh, Léo n’est pas à acheter. Léo est avant tout un animal qu’on ne peut apprivoiser, domestiquer, amadouer ou sauver. Pourtant, quand le jeune homme ne mord pas pour se défendre, il est d’une grande humanité, d’une infinie douceur. Dans ses gestes, ses yeux, ses mots, ses attentes et ses attentions. Et c’est d’ailleurs peut-être pour ça que, finalement, il se sauve. Pas parce que c’est un animal mais, au contraire, parce qu’il est trop humain pour cette vie de mec entretenu. Parce qu’il souhaite préserver sa touche d’humanité et ne pas se transformer en accessoire désarticulé ou en poisson rouge piégé. Léo est comme un petit garçon, naïf et innocent, qui n’a pas besoin de billets verts mais d’amour, réel, sincère et désintéressé. Mais aussi et surtout de sens.
Un film tendre et cruel sur la prostitution masculine qui tombe malheureusement dans le voyeurisme et la violence gratuite
La vie de Léo manque de sens. Et le scénario aussi ! Ou du moins, il manque d’une certaine dimension, d’une trajectoire définie. On ne sait pas où va Léo ni le réalisateur, Camille Vidal-Naquet, qui affirme avoir passé « 3 ans de recherche et d’enquête sur la prostitution masculine » et avoir « atténué la violence de la réalité ». En effet, la succession incessante et décousue de scènes de tendresse puis de violence, sans objectif clair, finit par détricoter la trame de l’histoire, obscurcir la vision du réalisateur et par perdre le spectateur. Sans conclusion apparente, celui-ci peut être déboussolé. Septique. Tiède. Mitigé. Mais passe encore… la réalité n’étant jamais ni simple ni linéaire, ni blanche ni noire.
Par contre, ce qui ne passe pas : les nombreuses scènes de sexe sans fin, souvent malsaines et violentes, qui s’ajoutent gratuitement et du coup finissent par s’annuler entre elles. Qui finissent par annuler leur sens premier ou leur vocation. On ressent comme un trop-plein, à deux doigts de l’overdose et même du rire gêné quand, certains passages se transforment en mauvais porno des années 70. Mais le pire du pire se trouve dans la scène d’un plan à trois où un couple gay, punk et taré utilise un godemichet XXL sur Léo, complètement soumis et passif. Là on atteint le summum de la gêne, du voyeurisme et de la violence gratuite, malgré le jeu d’acteur éblouissant de Félix Maritaud qui mérite amplement le prix de la révélation.
Et cette scène n’est malheureusement pas isolée. A peine 20 minutes plus tard, le jeune homme monte dans la voiture d’un pianiste qui prend du plaisir à donner de la souffrance aux autres, à torturer. De quoi avoir la nausée et le vertige. Un vertige qu’on doit aussi à la façon dont le film est tourné, caméra sur l’épaule. Résultat : parfois on sort du film, on déconnecte de l’instant présent et on se coupe de ces émotions extrêmes qui sonnent, surtout, un peu fausses. Dommage !
« Sauvage », un film de Camille Vidal-Naquet, sélectionné au Festival de Cannes avec Félix Maritaud, prix de la révélation, sortie en salles le 29 aout 2018.
Crédit photos : Pyramide Distribution.