Presse : « Le Ravi », un journal satirique en grande difficulté en PACA
Michel Gairaud est rédacteur en chef du mensuel le Ravi. Ce mensuel satirique tire à 4.000 exemplaires et il est diffusé sur les 6 départements de PACA et par abonnement partout en France. C’est La Tchatche, une association indépendante qui publie le Ravi ; elle est administrée par un collège de bénévoles, garant de la liberté éditoriale du mensuel qui compte cinq journalistes salariés. Mais tout n’est pas rose au royaume de l’humour et de la dérision…
Michel Gairaud, quand et comment est né le Ravi?
Investi dans les questions de représentation et de concertation démocratiques, un petit groupe d’universitaires – accompagné d’un journaliste – fait naître en 2003 le Ravi en opposition à deux types de presse : celle « parisienne », trop lointaine, et celle « du fait divers », micro-locale et limitant tout recul sur les faits. Le Ravi se veut, dès sa création, un lieu d’analyse et d’information, où l’action publique pourrait être examinée et discutée. Très vite, le journal se professionnalise : il emploie désormais cinq journalistes titulaires de la carte de presse et mobilise tous les mois, sans compter des pigistes et une douzaine de dessinateurs. Tous sont impliqués dans des actions d’éducation aux médias dans les collèges ainsi que dans des projets de journalisme participatif ouverts à tous les publics dans les quartiers populaires.
Pourquoi ce média ?
Dans un objectif de « développer la vie démocratique » en PACA, le journal ouvre volontiers ses pages à l’expertise associative et citoyenne. Parmi les thèmes de prédilection relativement constants depuis les débuts, la justice sociale rencontre l’exercice de la démocratie locale, les enjeux écologiques, la montée de l’extrême droite et de xénophobie. Le Ravi, sans être partisan, assume des partis pris et place les urgences sociales et écologiques au cœur de sa ligne éditoriale. Son objectif, 15 ans après son lancement, reste de documenter le fonctionnement et le dysfonctionnement de la démocratie locale. Dans les pages du Ravi cohabitent un journalisme d’enquête et du dessin de presse. Bien qu’évoqués sur un ton sarcastique et railleur, les articles s’attachent avant tout à décrire et décrypter des faits, avec rigueur et en croisant les points de vue contradictoires. Le fil de conducteur de la ligne éditoriale est un goût revendiqué pour « l’irrévérence » à l’égard de toute forme de pouvoirs, politique, économique, religieux… Et l’envie de renouer avec une pratique exigeante du métier de journaliste, privilégiant l’information à la communication.
« Bien qu’évoqués sur un ton sarcastique et railleur, les articles s’attachent avant tout à décrire et décrypter des faits, avec rigueur et en croisant les points de vue contradictoires »
Le dessin, la caricature font partie intégrale du journal. Est-ce indissociable à vos yeux de toute information ?
Le mensuel est exclusivement illustré par des dessinateurs de presse. La majorité des caricatures est conçue pour venir en illustration d’articles et de dossiers à la tonalité souvent sérieuse, parfois grave. Le Ravi a innové en publiant tous les mois des reportages dessinés et ce avant que la pratique du journalisme en BD se diffuse plus largement dans d’autres titres. Si l’équipe a compté depuis le quasi premier jour un journaliste salarié, les dessinateurs sont, eux, restés des collaborateurs ponctuels du journal, au début bénévolement, désormais presque tous rémunérés. Certains sont de l’aventure depuis le premier numéro.
En France, l’histoire de la presse est étroitement liée à celle du dessin de presse et pas seulement parce que la photographie était rare lorsque les premiers journaux sont apparus. La présence, ou l’absence, de dessin de presse est un bon indicateur de la liberté de ton, ou de la volonté de formater les discours, dans les publications. Un dessin « clive », comme le disent les gens de marketing, les publicitaires, qui ont pris le pouvoir dans les rédactions. Accepter la caricature, pour des journalistes ou pour des lecteurs, c’est admettre d’être bousculé. Au Ravi, le dessin est l’illustration de notre goût pour l’irrévérence vis-à-vis de toute forme de pouvoir, politique, économique mais aussi de toutes baronnies (culturelles, syndicales, associatives).
Pendant combien de temps avez-vous pu vivre « tranquillement » sans vous attirer les premières amabilités des politiques, des institutions et autres groupes de pression ?
Très peu de temps ! Le 1er numéro du Ravi est paru en juin 2003 et un article paru en janvier 2004 sur les conditions de réalisation de l’opération immobilière dite de l’Ilot Saint-Roch à Menton (06) nous a valu une plainte en diffamation de Jean-Claude Guibal, alors député-maire UMP (il est toujours maire après presque 30 ans de mandat !). Mais le tribunal a débouté sa plainte attestant du sérieux de notre enquête. Au point qu’il n’a même pas fait appel…
« La présence, ou l’absence, de dessin de presse est un bon indicateur de la liberté de ton, ou de la volonté de formater les discours, dans les publications »
Et depuis, avez-vous connu d’autres « mises en garde » ?
Les procédures judiciaires ne sont pas si fréquentes, probablement car la solidité de notre travail journalistique laisse peu de failles et peut-être aussi puisque nous faire un procès est à double tranchant : cela nous coûte en énergie et en frais de procédures mais ça met en valeur notre travail. Je peux citer la plainte en diffamation de François Bernardini, le maire « très divers (gauche) » d’Istres (13). Lui nous a attaqué suite à la publication d’un article intitulé « la grande bouffe », publié en avril 2013, sur les conditions d’attribution des marchés de la restauration collective. Là encore le tribunal a acté que « les propos apparaissent comme le résultat d’une enquête sérieuse ». Par contre, nous avons été condamnés concernant le même article à 1 euro symbolique suite à une erreur concernant un entrepreneur mentionné dans l’enquête.
« Les procédures judiciaires ne sont pas si fréquentes, probablement car la solidité de notre travail journalistique laisse peu de failles »
La dernière attaque en date vient du Var, haut lieu de la démocratie pluri directionnelle ?
En effet ! Marc Lauriol, conseiller départemental LR du Var et l’Odel (Office départemental d’éducation et de loisirs) qu’il dirige, traînent Le Ravi devant le Tribunal correctionnel de Draguignan pour « diffamation » en nous réclamant 32 500 euros suite à la publication de l’enquête « Odel Var, les élus d’abord, les enfants après » en mai 2017. Après trois audiences et à la veille d’une quatrième et d’un jugement sur le fond, le mardi 15 mai, nous avons appris que le procès était à nouveau repoussé à la demande des parties civiles qui jouent la montre pour mieux nous entraver. Nous sommes maintenant convoqués le 3 juillet. Et l’Odel, avec sa DRH, nous attaquent maintenant dans une deuxième procédure, là encore pour « diffamation », concernant une nouvelle enquête (« De l’Odel sous les ponts », le Ravi n°159, février 2018) ! Pour cette affaire Bis repetita : convocation au TGI de Draguignan le 23 juin avec en perspective un nouveau renvoi. Clairement, il s’agit d’une procédure-bâillon : tout est fait pour entraver notre travail journalistique. Les dirigeants de l’Odel refusent de répondre à nos questions, répétées, anticipées et multiples, ne demandent pas ensuite à s’exprimer dans le cadre d’un droit de réponse que nous leur accorderions bien entendu volontiers mais préfèrent nous attaquer. Et ensuite, cerise sur le gâteau judiciaire, ils multiplient les artifices procéduriers pour éviter un jugement sur le fond. Nous l’attendons avec impatience pour, une fois de plus, attester du sérieux de notre travail journalistique.
L’existence du Ravi est-elle une illustration des accommodements de la presse régionale traditionnelle ?
Notre journal est né du sentiment d’un manque : celui de l’existence d’une presse régionale pratiquant l’investigation, de journaux locaux « irrévérencieux » vis-à-vis des pouvoirs établis. Mais même si nous adorons, lorsqu’il est question de dessin de presse, la caricature, nous aimons aussi raconter les faits dans leur complexité ! Il y a d’excellents journalistes dans la presse régionale. Le problème c’est qu’ils sont le plus souvent entravés par le poids des liens qui existent entre leurs directions et les politiques mais aussi par celui des contraintes économiques qui les rend de plus en plus dépendants de la publicité et de logiques relevant plus de la communication que de l’information libre et authentique. Ce problème existe partout en France mais se ressent encore plus à l’échelle locale.
« Il y a d’excellents journalistes dans la presse régionale. Le problème c’est qu’ils sont le plus souvent entravés par le poids des liens qui existent entre leurs directions et les politiques »
Je suppose que la presse « libre » vous soutient dans votre combat ?
Oui et heureusement ! Au Ravi nous n’avons pas la prétention de proposer à nous seuls une alternative médiatique. Nous nous méfions même de l’idée que deux ou trois médias, aussi excellent fussent-ils, pourraient suffire à assurer un véritable pluralisme de la presse. Avec d’autres radios (associatives), TV (indépendantes), journaux « pas pareils » (coopératifs, associatifs comme Le Ravi, n’appartenant pas à la poignée de milliardaires qui contrôlent désormais quasiment la totalité des dits « grands » journaux nous animons des réseaux pour fédérer aux énergies et amplifier notre diffusion. Nous avons ainsi co-fondé « médias citoyens PACA » et participons, sur le plan national, à l’animation de la Coordination permanente des médias libres. Nous avons aussi des partenariats éditoriaux privilégiés avec certaines rédactions comme Mediapart, Politis, Reporterre… Pour que le tableau soit complet, les antennes régionales du service public de l’information – France 3, France Bleu – relayent régulièrement nos appels à soutien.
« Nous nous méfions même de l’idée que deux ou trois médias, aussi excellent fussent-ils, pourraient suffire à assurer un véritable pluralisme de la presse »
Pourtant c’est bien de liberté d’expression dont il est question ? Diriez-vous que la liberté d’expression s’est rouillée à force de n’être plus employée ?
La liberté d’expression ne s’use que si on ne s’en sert pas ! Il y a un paradoxe : de plus en plus de gens prennent conscience que l’offre médiatique n’est pas satisfaisante, se méfient à juste titre des journalistes, souvent les plus en vue, qui n’exercent plus leur fonction de contre-pouvoir. Le problème c’est que l’illusion que l’information est partout et gratuite domine encore ! Nous martelons qu’on n’achète pas un journal libre : on le finance en s’y abonnant. Une équipe comme le Ravi, ces 5 journalistes permanents, ces douze dessinateurs (mal) payés à la tâche, ces contributeurs occasionnels, pourraient être confortée si 5000 personnes dans notre région de 5 millions d’habitants souscrivaient un abonnement. Pour atteindre cet objectif, alors que la diffusion de la presse chez les marchands de journaux devient chaque année de plus en plus problématique, il nous manque des moyens financiers. Et l’univers du tout numérique est encore plus soumis à des logiques marchandes sous une apparence de gratuité. Malgré cela, et sans renoncer à imprimer un journal, nous allons essayer de mieux l’investir pour toucher plus de monde. Notre « modèle économique » est précaire mais nous a permis de déjà tenir 15 années : il est celui d’une association indépendante, gérée par des bénévoles, conduite selon des principes qui renvoient à des valeurs et non à la recherche du pur profit. Nous avons diversifié nos ressources en particulier en intervenant dans les collèges et les lycées mais aussi en montant des projets de journalisme participatif dans les quartiers populaires avec le soutien, notamment, de la fondation Abbé Pierre. Dans tous les cas, l’objectif est le même : pratiquer le journalisme différemment, faire entendre la voix des sans voix, sortir des autoroutes de l’information pour emprunter des chemins de traverse. On y va moins vite mais souvent plus loin. Et ailleurs…
D’autres médias de la région PACA sont-ils menacés ?
La Marseillaise est dans une situation extrêmement critique et multiplie les plans sociaux pour éviter la faillite. Nos partenaires de Marsactu, un excellent pure-player (journal uniquement en ligne), ont relancé leur titre après une liquidation. Le Ravi lui-même malgré une campagne de financement participatif réussie cet hiver (30 000 euros levés en quatre mois avec près de 400 nouveaux abonnés, des dons…) doit convaincre plus de monde de devenir des lecteurs « pas pareils » afin de poursuivre son aventure éditoriale… Le mot d’ordre est simple : abonnez-vous ! Vous nous donnerez le meilleur élan… en vous faisant plaisir tous les mois tout en vous informant sur notre belle région. Face aux urgences sociales et écologiques, une multitude d’acteurs, associatifs ou culturels, mais aussi de nombreux collectifs militants syndicaux et politiques, s’engagent, résistent, inventent. Le Ravi n’est pas partisan mais assume à leurs côtés des partis pris. Notre pratique exigeante du journalisme est là pour outiller celles et ceux qui n’ont pas renoncé à faire citoyenneté. Mais, alors que l’actualité est souvent sombre et complexe, sans se prendre la tête. Et sans s’interdire des éclats de rire.
( crédit photo – Le Ravi)