Jean Moulin : la personnalité du résistant dévoilée dans un livre

par
Partagez l'article !

François Berriot publie « Jean Moulin, écrits et documents de Béziers à Caluire », (L’Harmattan) et éclaire celui qui fut le visage de la France, Jean Moulin.

Professeur émérite des Universités et vice-président de l’Association nationale des amis de Jean Moulin, depuis douze ans, François Berriot étudie la personnalité de Jean Moulin et celle de quelques-uns de ses agents. Après les témoignages recueillis dans « Autour de Jean Moulin » (L’Harmattan, Paris 2013), il publie aujourd’hui ce nouveau livre pour l’édition duquel il a reçu le très efficace concours de Cécile et Gilbert Benoit Escoffier – représentants de la famille de Jean Moulin – et l’aide du Centre Régional d’Histoire de la Résistance et de la Déportation de l’Hérault, présidé par André Hautot.

« J’avais été frappé, en écoutant les proches de Jean Moulin et ceux qui avaient travaillé sous ses ordres dans la haute fonction publique ou la Résistance, par la personnalité de l’homme, en réalité mal connue. »

A l’occasion de la sortie de « Jean Moulin, écrits et documents de Béziers à Caluire », une conférence de presse s’est tenue le jeudi 5 avril 2018 de 9h à 11h au café Le Parisien 54 rue du Four, 75006 Paris. Au 48 rue du Four, le jeudi 27 mai 1943, dans un appartement situé au premier étage, s’était déroulée, dans la plus grande clandestinité, la réunion constitutive du CNR (Comité National de la Résistance), présidée par Jean Moulin, agissant selon les instructions du Général de Gaulle. Quand on pense que le KG des SS se trouvait au Lutétia, à deux pas, on mesure les risques que prenaient ces résistants. Lors de cette rencontre du 5 avril dernier, François Berriot a présenté l’ouvrage et a longuement évoqué le parcours de Jean Moulin qu’éclairent ses lettres, de son enfance à la résistance. Souffrant, Daniel Cordier, secrétaire puis biographe de Jean Moulin n’a pu se joindre à la conférence de presse.

Parmi les présents : des membres de la famille de Jean Moulin (notamment Suzanne Escoffier, la dernière de ses cousines et Cécile et Gilbert Benoit-Escoffier, ses ayants droit), Bernard de Gaulle, ancien résistant et ancien officier de la France combattante, François-Yves Guillin, secrétaire puis biographe lui aussi du général Delestraint, chef de l’Armée Secrète pour lequel Jean Moulin nourrissait totale confiance et amitié. Mais aussi, Patricia Gillet, des Archives Nationales, Christine Levisse-Touzé, directrice honoraire du Musée Jean Moulin de la Ville de Paris), et une historienne éminente spécialiste de la Résistance et Dominique Veillon, directrice de recherche au C.N.R.S., collaboratrice de Christine Levisse-Touzé pour le beau Jean Moulin publié chez Tallandier en 2013, Michel Anfrol, Président de l’Association des Amis de la Fondation Charles de Gaulle, Jean-Paul Grasset, Président de l’Association nationale des Amis de Jean Moulin, et André Hautot, Président du C.R.H.R.D. de Montpellier Castelnau, lui-même ancien officier mitrailleur dans la R.A.F. en 1944 et 1945.

« Jean Moulin, écrits et documents de Béziers à Caluire »
Le tome I rassemble les écrits de l’homme privé et du haut fonctionnaire : « compositions françaises » à la tonalité patriotique et Mémento de philosophie du lycéen de Béziers durant la Première Guerre mondiale ; Notes de législation sociale de l’étudiant de Montpellier en 1921-1922 ; Lettres adressées à la famille et à quelques intimes, de 1917 à 1943 ; viennent ensuite les Discours et rapports du sous-préfet puis du préfet, de 1926 à la révocation de l’automne 1940. Ces documents, en majorité inédits, proviennent du Musée Jean Moulin de la Ville de Paris, de la collection personnelle de Suzanne Escoffier – la dernière des cousines de Jean Moulin à l’avoir bien connu et qui a fourni de multiples et importantes informations –, d’autres collections privées et des fonds d’archives des départements où a exercé Jean Moulin. Ils révèlent la personnalité d’un homme qui se construit au fil des années : fermeté de caractère, intelligence très sereine et logique, vive sensibilité aux paysages, à la poésie et à l’art, attention aux autres, amour passionné de la liberté et de la vie. Ils mettent également en lumière l’action d’un haut fonctionnaire qui donne magnifiquement sa mesure durant la débâcle et les quatre premiers mois de l’Occupation : dans son département meurtri par les bombardements de juin 1940, le préfet Jean Moulin incarne alors seul l’État républicain, face aux exactions de l’occupant et face au gouvernement de Vichy qui met en place sa politique de répression antidémocratique et antisémite. En novembre 1940, Jean Moulin, refusant de s’associer à la dissolution des Conseils généraux, dernière institution élue, est révoqué ; quelques semaines plus tard, il entrera dans la clandestinité afin de préparer son départ pour Londres.
Second Tome.
On trouvera, dans ce second tome, l’essentiel des textes rédigés par Jean Moulin – ou adressés, à lui, par le Général de Gaulle et ses conseillers – concernant la Résistance, textes aujourd’hui déposés aux Archives nationales ou rassemblés par Daniel Cordier, son secrétaire et biographe qui a bien voulu ouvrir, pour la première fois, sa prodigieuse collection privée. Les câbles, les lettres, les rapports présentés ici dévoilent les singulières capacités de Jean Moulin, Délégué du Général de Gaulle en France métropolitaine : lucidité d’une analyse politique et géostratégique qui prend en compte à la fois les problèmes de la Résistance intérieure et les réalités planétaires du conflit, intelligence éminemment pratique, acuité du sens psychologique, ténacité et courage hors pair. Tandis que rôdent autour de lui la police de Vichy et la Gestapo, tandis que certains responsables des mouvements de Résistance mettent en cause l’autorité du Général de Gaulle, Jean Moulin, en 18 mois, accomplit son œuvre. Il unifie la Résistance intérieure et la dote de ses principaux services : Bureau d’information et de presse, Comité général d’études, Communications radio, Centre d’opérations de parachutage et d’atterrissage, Noyautage des administrations publiques… Aux côtés du Général Delestraint, il jette les bases de l’Armée secrète unifiée appelée à devenir F.F.I. Enfin, il fonde le Conseil de la Résistance, moins d’un mois avant d’être arrêté.

La dernière partie de ce livre offre des documents inédits, relatifs à l’affaire de Caluire, et pour la plupart communiqués par François-Yves Guillin – secrétaire et biographe de Charles Delestraint, le chef de l’Armée secrète, documents qui témoignent très concrètement de ce que furent la vie quotidienne et la lutte des résistants durant l’Occupation. Le lecteur découvrira comment la trahison d’un agent, à Marseille, en avril 1943, puis, en juin suivant, à Lyon, « l’imprudence fatale » d’un chef de réseau et aussi les calculs de quelques responsables d’un mouvement de Résistance ont certainement rendu possible la catastrophe de Caluire.

François Berriot nous parle de celui qui fut le visage de la France, Jean Moulin :
« Mes plus vieux souvenirs remontent à l’automne 1942 (j’avais alors 3 ans et demi), à l’arrivée des Allemands en zone Sud et à l’engagement de nos parents dans la Résistance, engagement qui est devenu très vite, pour nous, évident. Soixante ans plus tard, après avoir passé ma vie à enseigner la langue et la littérature françaises du Moyen Age et de la Renaissance de Nice à Nantes et de Tunis à Hué, j’ai eu la chance et l’honneur, grâce aux Amis de la Fondation Charles de Gaulle, de rencontrer et d’interroger longuement des femmes et des hommes qui, à partir de 1935, avaient côtoyé le Général de Gaulle et Jean Moulin, et j’ai publié leurs témoignages, chez L’Harmattan, en 2013, sous le titre Autour de Jean Moulin.

J’avais été frappé, en écoutant les proches de Jean Moulin et ceux qui avaient travaillé sous ses ordres dans la haute fonction publique ou la Résistance, par la personnalité de l’homme, en réalité mal connue. J’ai pensé que rien ne pouvait mieux l’éclairer que la publication des « Ecrits » de Jean Moulin lui-même, depuis son adolescence jusqu’à l’arrestation de Caluire, « Ecrits » concernant l’homme privé et le haut fonctionnaire autant que le Délégué de Général de Gaulle et le fondateur du C.N.R »

Les « Ecrits » nous apprennent vraiment beaucoup quant à l’homme privé : son extrême discrétion et son esprit d’indépendance, ses liens avec sa famille, son amour de la vie, sa très vive sensibilité esthétique, son goût pour la lecture et la poésie, son penchant pour la réflexion philosophique et aussi une certaine tendance à la mélancolie. Les « Ecrits » restituent l’action exemplaire et héroïque du préfet de Chartres de début juin à novembre 1940, de la débâcle à l’installation effective du pouvoir de Vichy ; ils révèlent également que, de 1922 à 1940, Jean Moulin pense et agit en haut fonctionnaire républicain, nullement marxiste mais résolument partisan de l’intervention régulatrice de l’Etat dans la vie sociale et économique. Ils disent comment s’est forgée, de 1941 à 1943, chez Jean Moulin, qui se définit lui-même comme « passion­nément dévoué au Général de Gaulle », une conception géostratégique et politique de la Résistance française : un mouvement militaire et politique dont l’activité doit s’intégrer à celle des Forces alliées afin de participer à la libération du territoire et qui devra ensuite restaurer la République et instituer une société « où la justice sociale ne sera pas exclue »…Enfin les « Documents » inédits qui accompagnent les « Ecrits » lèvent le voile sur l’affaire de Caluire, tragique concours des investigations de la Gestapo, de la malchance, de l’imprudence et aussi des calculs politiques destinés à éliminer, dans un premier temps, le Général Delestraint, chef de l’Armée Secrète, puis Jean Moulin, tous deux accusés de placer la Résistance intérieure sous la tutelle de Londres.

L’édition des « Ecrits et documents » a bénéficié de concours exceptionnels : d’abord le fonds de la Deuxième Guerre mondiale aux Archives Nationales et celui du Musée Jean-Moulin de la Ville de Paris ; puis l’apport de la famille de Jean Moulin – Suzanne Escoffier et ses nièces et neveux ; enfin le double apport de Daniel Cordier qui a ouvert, pour la première fois, non seulement le monumental fonds 674/AP confié aux Archives Nationales, mais également les dossiers qu’il conserve par devers lui et qui rassemblent, entre autres, des copies de pièces provenant des Services secrets français, britanniques, américains… De surcroît, l’édition des « Ecrits et documents », a bénéficié des archives privées du Docteur François-Yves Guillin – ancien secrétaire puis biographe du Général Delestraint – qui a communiqué des documents absolument inédits concernant l’affaire de Caluire ; sur ce point, ont été reproduits principalement ici des dépositions qui relatent les prémisses et les circonstances des arrestations de Caluire et les conditions dans lesquelles œuvraient les Résistants en 1942 et 1943.

L’apport de cette édition est donc considérable pour la connaissance de la personnalité et de l’action de Jean Moulin d’une part, mais aussi pour la connaissance de l’époque où il conduit son action. Pour ne citer qu’un seul exemple, on trouve, dans le « Ecrits et documents », la preuve qu’en fin octobre et début novembre 1941, quelques jours seulement après son arrivée à Londres, Jean Moulin, après avoir été reçu par le Général de Gaulle et ses collaborateurs directs, a également rencontré, à diverses reprises, le très proche conseiller de Winston Churchill, Desmond Morton, et a vraisemblablement été reçu par le Premier ministre britannique ; de même, en début mars 1943, il rencontre, à Londres, en compagnie du Général Delestraint, le chef de l’état-major impérial britannique et l’Amiral Starck, ambassadeur des Etats-Unis en Europe auprès des gouvernements en exil.

Les « Ecrits et documents » s’adressent à un large public, c’est-à-dire à tous ceux qui se passionnent pour l’histoire de la première moitié du XXe siècle et plus particulièrement pour l’histoire de la Résistance et de la Deuxième Guerre mondiale. Cependant le choix de reproduire les documents originaux eux-mêmes, les notes, les références données pour chaque catégorie de pièces, l’index – réalisé par Cécile et Gilbert Benoit-Escoffier qui ont répertorié les noms de près de 2000 personnages dont beaucoup demeuraient ignorés jusqu’ici – permettront aussi aux chercheurs de travailler dans des conditions de totale rigueur scientifique.

 

JEAN MOULIN, Ecrits et documents de Beziers à Caluire

Textes rassemblés par François Berriot, professeur des universités Préface de Daniel CORDIER
Postface de Bernard DE GAULLE – 59 euros / 2 volumes

Laissez votre commentaire

Il vous reste

0 article à lire

M'abonner à