Les Tuche : entre condescendance bienveillante et mépris profond du peuple
Olivier Barroux continue de sévir avec ce troisième opus des Tuche. Il met en scène l’arrivée de cette famille à l’Elysée dans le sillage du père, Jeff, qui vient d’être élu Président de la République. L’idée est simple : comment se comporterait une famille française, des beaufs, dans un milieu, en l’occurrence les allées du pouvoir, loin de son environnement familier?
Le beauf français, cet anti-héros
La saga des Tuche aurait pu se contenter d’être une très mauvaise comédie française lourdingue et inepte. Mais la saga va plus loin dans la caricature sociale et le mépris d’une France populaire par une élite auto-proclamée du show-business.
Plutôt que de brocarder le poujadisme des Tuche perceptible au travers de la critique qu’ils font des élites et le dédain qu’ils ont des intellectuels , on ferait mieux de souligner la condescendance viscérale pour « le bon peuple » qui transpire de ce film.
En somme, Les Tuche incarnent le Beauf, celui dont on se moque gentiment, toujours avec une espèce de bienveillance mais à qui on ne souhaite pas ressembler et au-delà de tout qu’on ne fréquentera sous aucun prétexte.
En réalité, lorsqu’on creuse le sujet, en écoutant notamment les nombreuses interviews données par l’équipe du film, on se rend compte que ces personnages ressemblent étrangement au Français moyen, celui-là même qui suit frénétiquement l’histoire des Tuche et se déplace à chaque nouvelle sortie en salle. Et il ne manque pas d’exemples et de déclarations hallucinantes à ce sujet tant la promotion de celui-ci est incroyablement disproportionnée au regard de l’indigence artistique de ce film et de sa philosophie du dédain railleur qui confine au mépris de classe.
La condescendance et le mépris du peuple, la pierre angulaire des Tuche
Alors oui, le scénario est, certes, exagéré et les personnages poussés à l’extrême de la bêtise comme un faire-valoir. On est donc en droit se demander si ce n’est pas au final pour se prémunir des critiques et pour ne pas froisser les spectateurs issus de la vaste frange populaire qui sont les petites bourses du succès des Tuche. Sans eux, pas de salut et pas de succès.
Néanmoins, la condescendance s’insinue, en filigrane, dans (presque) chaque réplique du film et dans les réponses aux questions des journalistes, accompagnée de cette bienveillance feinte.
On se frotte les yeux à cette déclaration de Jean-Paul Rouve interview par Laurie Cholewa sur Canal + « On en fait presque une responsabilité et pour moi c’est comme si les Tuche existaient. Nous les interprétons et nous n’avons pas le droit de trahir ces gens » qui prolongeait elle-même l’intervention tout aussi désarmante d’Isabelle Nanty : « Les Tuche ont du bon sens, mais ils ne sont pas très conscients d’une réalité de l’économie mondiale ( …) Ces personnages sont tellement vrais qu’il ne faut pas contrefaire ce vrai-là ».
On pourrait continuer de vous asséner une quantité ahurissante de déclarations de ce genre dans les interviews visionnés. (Et nous vous recommandons de le faire). En voici tout de même quelques unes choisies à la volée : « C’est rigolo de voir, que, comme pour les enfants, ce qui va préoccuper les Tuche, ce sont le ménage, la vaisselle… » Isabelle Nanty – « Il y a un effet miroir avec les Français qui aimeraient eux aussi avoir une famille dingue et unie » Olivier Barroux (Source : Source Canal + )
« C’est drôle de voir cette famille tellement pure et enthousiaste transportée dans un univers diamétralement opposé à tous ses principes… » Isabelle Nanty sur RTL
Enfin, le scénario prend soin de placer dans le film tous les référents culturels et sociaux du Beauf ( comprendre le Français Moyen) : Koh-Lantha, The Voice, les frites, les éléments de langage, les tenues vestimentaires, la tondeuse, la fascination pour les loisirs et les plaisirs simples, l’alimentation ainsi que les tâches ménagères qui balisent leur existence de façon systémique.
Les alibis du made in Beauf
Cependant, il y a une forme de justification permanente autant que sous-jacente de la part du réalisateur et des acteurs du film qui rappellent constamment que les Tuche sont « hauts en couleur, spontanés, exubérants, libres, sincères, détachés de tout conformisme et de conventions sociales » : une sorte d’hédonisme populaire qui donnerait presque envie de se jeter dans les bras chaleureux de la beaufitude.
Mais en réalité, il est dépeint dans les Tuche un portrait d’une France dont on se moque effrontément sans ambages, de la France d’en bas, de ces classes moyennes et populaires raillées et méprisées, qui, très curieusement font le succès de cette saga familiale. Incompréhensible.
Avec plus de 4 millions d’entrées, les TUCHE continuent de déplacer les foules pour cette nouvelle sortie en salle. Et nous serions presque d’accord avec Eric Neuhoff qui déclarait dans l’émission Le Masque et la Plume sur France Inter : « Le problème en France, ce n’est pas que Marine Le Pen arrive au deuxième tour, c’est que les gens se précipitent voir ce truc-là. Pour moi, c’est gravissime et ça donne envie d’habiter ailleurs. » ( Source France Inter).
Finalement, l’énorme succès des Tuche au cinéma est tout aussi inquiétant que l’élection fantasmée de Jeff Tuche à la fonction suprême.