Vivir y otras ficciones : Jo Sol pose la question du handicap et des libertés individuelles

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Vivir y otras ficciones raconte l’histoire d’Antonio et Pepe, deux amis en situation de handicap, qui tentent de se faire une place dans la société tout en revendiquant leur droit à la différence.

Antonio et Pepe sont en situation de handicap : l’un a le corps « cassé », l’autre a la tête « malade ». Même s’ils ne sont pas toujours d’accord sur la manière de procéder, ils ont en commun le besoin d’assumer leur différence dans une société qui s’attelle à la cacher. Dans Vivir y otras ficciones, le réalisateur espagnol Jo Sol n’interroge pas seulement la place des handicapés, il met l’accent sur leurs envies et leurs désirs, en tant qu’êtres humains. C’est à travers ces regards croisés que l’histoire prend forme, à la lisière du documentaire. Antonio et Pepe se meuvent dans un monde teinté de mélancolie où la norme est érigée en loi. La fiction essaie alors de faire bouger les lignes avec une certaine pudeur, et dans toute la complexité des rapports humains.

« Je ne crois pas qu’il y a une ligne stable entre ceux qui sont ‘bien’ et ceux qui ne le sont pas. Je crois avoir fait un film pudique car il ne prétend pas être du côté des handicapés », commente Jo Sol lors de l’avant-première du film à Montpellier. « J’ai essayé de parler de la différence comme d’une valeur. La pudeur vient du fait qu’il n’y a pas de provocation, du fait de montrer que la ligne entre normalité ou anormalité est toujours mouvante : on peut se retrouver d’un côté ou d’un autre à tout moment. »

Antonio et Pepe ne sont à aucun instant présentés comme « anormaux » mais bien comme des êtres dont les corps demandent une autre manière de voir, de penser, d’agir. Ainsi, à la question de savoir pourquoi il s’est fait interner, Pepe répondra laconiquement : « pour vivre ». Comme si l’enfermement était le seul moyen de « vivre » sa différence. Et le réalisateur d’ajouter : « Pour le capitalisme, il y a toujours un moment où l’on est pas assez utile, pas assez normal. Le travail du cinéaste est de brutaliser cette ligne. »

Le propos devient plus politique à travers Antonio, puisque le film aborde le sujet tabou de la sexualité des personnes handicapées. Dans l’une des premières scènes, alors qu’il recherche une assistante sexuelle, le personnage se voit dans l’obligation de se justifier : « Je ne veux pas faire du business, je veux générer un droit. » Un acte éminemment politique tant le sujet est ô combien sensible et peu évoqué dans le débat public, mais vital pour les personnes en situation de handicap, laissées la plupart du temps dans un monde où ils ne doivent désirer personne.
Que faire alors ? Jo Sol ne tranche pas la question en préférant souligner un puritanisme encore plus appuyé lorsqu’il s’agit de handicap : « Le débat n’est pas la prostitution mais comment une société adhère au désir. »

En dosant savamment le documentaire et le cinéma social, Vivir y otras ficciones s’éloigne des rapports binaires pour laisser place à l’ouverture d’esprit et, surtout, à la réflexion. Si un corps, un mental, d’autant plus « cassés », étaient uniquement réduits aux diktats d’une société normative, on ne parlerait certainement jamais de libertés individuelles.

 

Vivir y otras ficciones
Ecrit et réalisé par Jo Sol
Drame, Espagne, 2016, 1h21
Avec : Antonio Centeno, Pepe Rovira, Arántzazu Ruiz, Ann M.Perelló
Distribution : Les Films des Deux Rives
Sortie nationale : 7 février 2018

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