Alexis de Tocqueville : un chroniqueur d’une Amérique en construction ?

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Par Sophie Sendra – Pendant des décennies, Alexis de Tocqueville n’a pas été lu et perçu comme un philosophe. Tout juste était-il un chroniqueur d’une Amérique en construction.

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L’œuvre la plus connue est De La démocratie en Amérique. En deux tomes, Tocqueville décrit ce qu’il trouve sur ce continent : paysages, Indiens, peuples européens en pleine conquête, système social, caractères, institutions, système démocratique etc. faisant ainsi des comparaisons avec la veille Europe et sa propre construction, ses balbutiements.
En se posant la question de savoir ce qu’est une société démocratique, Tocqueville s’interroge sur le fonctionnement même des répercutions sociétales et comportementales.

De la question démocratique

Dans le premier tome de cette œuvre à la fois sociologique et philosophique, l’auteur engage une description géographique et démologique – néologisme associant à la fois la notion de peuple et de science – comme si l’espace même de cette Amérique à construire avait une influence sur l’édification politique.
En valorisant l’implication du peuple dans le système politique et l’égalité de tous, la démocratie à l’Américaine voulait abolir les privilèges et former ainsi des institutions garantissant un équilibre des pouvoirs.

Mais la question démocratique implique de ne pas ériger celle-ci en idéologie. En constatant l’édification d’un système, Tocqueville se fait observateur. Il ne manque pas de constater une valorisation des ambitions et de la cristallisation de celles-ci sur la personne. Etre dans la sécurité de soi et de ses biens, sur l’édification de la réussite, implique un égoïsme dévalorisant de fait la relation à l’autre. D’ailleurs, il fait très justement remarquer, dès les premiers chapitres, à quel point il notait la différence fondamentale sur ce point entre les Indiens – souvent décrit comme « sauvages » – et les européens. Chose assez rare à l’époque pour le souligner. En effet, il remarquait que la notion de tribu rendait les autochtones beaucoup moins égoïstes que les conquérants.
Sur la question démocratique, Tocqueville va plus loin. Il se demande si l’égalité de parole, de « voix » ne facilite pas l’uniformisation des opinions. Partant de cette interrogation, il ne remet pas forcément en cause la démocratie en elle-même mais plutôt les paradoxes qu’elle soulève.

De la démocratie à l’uniformité

En laissant croire qu’il existe une égalité démocratique, l’Etat laisserait les « masses » s’uniformiser et l’avis majoritaire prendre le dessus. Paradoxalement, en voulant donner à chacun un « pouvoir » – cratos – le peuple – démos – semble laisser le pouvoir à un seul qui laisse croire à une bienveillance d’apparence.
Cette uniformité qui laisse présager un égoïsme généralisé et une soumission inconsciente montrerait, comme le disait Diderot « soit l’extrême bonté du Prince, soit le profond esclavage du peuple » ainsi « on ne permet de dire qu’à celui qui ne peut rien ». Cette démocratie décrite par l’auteur est proche d’un despotisme qui prive les peuples de libertés en lui faisant croire que tout est pour le mieux.
Seule possibilité de penser une démocratie qui ne subit pas les écueils de ce qu’elle crée dans un grand paradoxe : les partis politiques diversifiés et les différents systèmes d’associations qui seraient les uniques garants d’une interaction entre les individus et les citoyens.
En observant la création d’une presse libre, Tocqueville constate qu’il y a sans doute là l’expression la plus directe et la plus révélatrice de ce qu’est la diversité des points de vue, la bonne marche de l’éducation et l’avènement de ce que doit être une société libre. Sans cette presse libre, aucun peuple ne peut vivre et se développer.

S’il fallait conclure

En faisant ce voyage en Amérique en 1830, Alexis de Tocqueville constata les aléas d’une démocratie perfectible qui s’avèrera être révélatrice de ses propres paradoxes : individualisme et valorisation de l’ambition personnelle. Mais il a également découvert un élément essentiel : la presse libre.

Tocqueville est moderne dans ses constations, ses analyses et cela est valable pour toute démocratie en construction. Dans cette optique, l’évolution des peuples à visée démocratique ne peut être évaluée qu’au travers de la diversité des informations et de la liberté de la presse.

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