Heis : le film d’une génération par Anaïs Volpé
Par Jonathan Rodriguez – Il y aurait-il un sursaut dans le cinéma français ? Sans rentrer dans des généralités faciles, le nouveau film d’Anaïs Volpé semble pourtant confirmer qu’une nouvelle génération de cinéastes français semble voir le jour.
Plus audacieuse, plus culottée, plus libre, plus jusqu’auboutiste. Plus féminine aussi. L’apparition de jeunes réalisatrices comme Katell Quillévéré, Valérie Donzelli, Céline Sciamma, Rebecca Zlotowski ou encore Julia Ducournau – et son excellent Grave – donnait un vent d’air frais au cinéma français. Et c’est une bonne nouvelle.
Heis où l’avènement d’un cinéma underground
Mais le premier film d’Anaïs Volpé révèle autre chose de positif. De sa conception à sa distribution, le film n’a bénéficié d’aucune subvention, d’aucune aide. Un film totalement underground qui peut en inspirer d’autres, si ce n’est pas déjà le cas.
Partant du documentaire « Le Concours » de Claire Simon, Richard Brody, célèbre critique du New Yorker, pointait du doigt il y a quelques semaines, le formatage et l’académisme dont été en partie responsable les écoles de cinéma en France, comme la Fémis – sujet dudit documentaire – et responsable du fait que le cinéma français n’a produit aucun cinéaste d’importance historique depuis trente ans.
Auréolé du prix du meilleur film au festival de Los Angeles, HEIS démontre – au cas où on ne le savait pas – que le cinéma français peut se faire, aussi, hors des circuits classiques, sans altérer ni l’ambition, ni la qualité.
HEIS où le portrait de la génération 90
Mais HEIS c’est aussi un premier film percutant sur la génération 80-90. Celle qui aspire à d’autres choses qu’à une situation professionnelle et familiale déterminée, celle qui est dans la galère et qui essaie de s’en sortir en dépit des circonstances. HEIS, c’est le chiffre « 1 » en grec, ou ne faire qu’un dans le sens de l’épanouissement personnel. Comment y tendre face aux difficultés : la famille, la rupture, la traversée du désert, le manque d’argent, de stabilité.
Ce UN, c’est Pia qui essaye de l’atteindre. Son retour dans le foyer familial va tout chambouler. Revenir pour mieux repartir. Entre volonté d’émancipation et la culpabilité de laisser de nouveau les siens, HEIS dépeint avec une véritable justesse un état d’esprit jeune et contemporain. Sans prétendre à l’universalisme, le film touche profondément et résonne à l’intérieur de nous. Une œuvre ancrée dans son temps.
Cet écho prend acte notamment grâce au talent d’Anaïs Volpé. Le film dévoile de grandes qualités cinématographiques. Notamment à travers à son choix de mise en scène et la richesse de son montage. C’est une œuvre qui donne beaucoup à voir à son spectateur. Les couleurs changent au gré des émotions. On passe du noir et blanc à diverses couleurs, comme pour imprimer sur la toile ces doutes et ce changement d’humeur d’une jeunesse perdue. Son montage vif, presque anarchique, tant les plans s’enchaînent, apporte une vraie dynamique au film. Lorsque l’on sait que la jeune cinéaste de 28 ans a appris à monter grâce à des tutoriels sur youtube, le résultat est d’autant plus bluffant.
HEIS est un film qui donne de l’espoir, tant par son traitement que par sa fabrication. C’est également un film important sur ce qu’il renvoie au cinéma français : sa formation, sa situation actuelle et sa nécessité de remise en question.
Par sa fraicheur, son espérance, son ambition et son inventivité, Anaïs Volpé réussit son pari et prouve déjà, qu’elle est une cinéaste à suivre de près. La sueur du coeur.
« Il suffit parfois de quelques bouts d’histoires, une bande de potes dévoués, d’obsessions tenaces et de quelques nuits blanches. Toutes ces choses qui ne s’apprennent pas tellement dans les écoles » concluait parfaitement SO FILM dans son édito du mois d’avril.
Une bouffée d’air plus que bienvenue qu’il est nécessaire d’encourager. C’est tout de même mieux de respirer de l’air frais.
HEIS ( chroniques )
d’Anaïs Volpé
avec Anaïs Volpé, Matthieu Longatte, Akéla Sari, Emilia Derou-Bernal, Alexandre Desane
Territoire(s) film / 1h30
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