Langue française : l’Eternel Féminin

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Par Sophie Sendra – Il est un paradoxe évident de la langue française qui échappe à toute logique. La nouvelle règle d’écriture concernant la féminisation des fonctions est méconnue en France, ou tout bonnement laissée à la seule discrétion de celui ou celle qui écrit.

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La règle n’est pas appliquée systématiquement alors qu’elle existe déjà depuis quelques années. Un tel paradoxe nous amène à une schizophrénie qui nous demande une adaptation constante.
Lorsqu’on écrit à des canadiens francophones, il est indéniable que le féminin s’applique à la fonction dont on parle. Ainsi, il existe une écrivaine, une auteure, une avocate, une professeure, une Docteure … Cette règle, si elle n’est pas appliquée, est considérée comme une faute d’orthographe. En France, pays de la langue française, il arrive très fréquemment, le plus souvent d’ailleurs, que cette orthographe soit considérée comme une bizarrerie, voire comme du féminisme mal placé.
Comment une règle orthographique peut-elle devenir une revendication politique ?
Nos amis francophones, lecteurs de ce magazine, doivent se demander comment une telle question est possible. Éléments de réponse(s).

Féminisation des Fonctions

L’argument principal avancé par les partisans de la fonction sans féminisation est justifié par le fait qu’il s’agit de LA fonction dite « neutre ». La fonction est celle d’écrivain (au sens neutre) sans distinction de genre. De même, un avocat est par sa fonction même, du genre « neutre ». Les autres fonctions souffrent de cette même règle. UNE fonction, doit être du genre masculin (sic). Le paradoxe est bien là, sous nos yeux. Si la langue française devait être en accord avec elle-même, elle aurait sans doute soulevé cette coquille à l’apparence d’un pavé (dans la mare bien entendu).
Pour expliquer cette coquille vide servant d’argument aux conservateurs de tous bords, il faut remonter le cours de l’histoire.
A l’époque où le masculin l’emportait toujours sur le féminin (jusqu’à la fin du XIXème siècle environ), la fonction était toujours masculine puisque la femme n’avait droit qu’à des études succinctes et n’occupait aucun métier demandant des études supérieures – inaccessibilité au baccalauréat par exemple. Les seuls métiers réservés au genre féminin étaient soit sage-femme, soit infirmière (les bonnes sœurs dédiaient leur vie à ces fonctions). Le masculin lié aux autres fonctions – dans les autres domaines – ne se posait donc pas. Avec le temps, lorsque des hommes ont exercé le métier « d’infirmière », il fut normal de masculiniser LA fonction. LA fonction revenait dans le giron du masculin : un infirmier.
Pour la « sage-femme » ce fut plus difficile, comme pour « entraîneur de sport ». Il est difficile de dire « entraîneuse ». Sage-homme, Entraîneure alors ?
L’ordinateur n’aime pas cette féminisation – alors que sage-homme ne le fait pas réagir. Pourtant la version du correcteur est de cette année. Toutefois, il rougit comme un adolescent pré pubère à chaque féminin qui se découvre dans une fonction inhabituelle.

La politique

Madame La députée, Madame La ministre, Madame Le député, Madame Le ministre ? Que choisir ? L’ordinateur ne voit plus rouge… Ces fonctions l’impressionnent sans doute. Il n’ose pas. Il réfléchit. Non, rien. Même pas un petit rose d’indignation. Essayons avec Monsieur l’Avocate. Rien. Tentons Monsieur la Professeur. Toujours rien, le mélange des genres ne le surprend plus, du moment que certaines fonctions ne franchissent pas l’inconcevable celle de la seule limite que nous nous imposons à nous-même. Les pays francophones revendiquent une égalité certaine dans l’appellation des fonctions. Le respect du genre, de la fonction de celui ou celle qui l’occupe montre qu’une attention particulière est donnée à celui ou celle à qui on s’adresse. Le genre est appliqué. La règle s’impose.
Le paradoxe de la langue française utilisée en France sur cette féminisation montre, de manière plus sérieuse, que la culture (ou les mentalités) évolue moins vite que la réforme. Dans notre société patriarcale, dans notre langue (qui n’a aucune neutralité de genre comme cela est le cas en anglais par exemple), dans notre fonctionnement hiérarchique, dans un groupe de mots, le masculin l’emporte sur le féminin.
Cette féminisation des fonctions n’est pas une revendication politique, elle n’est pas un féminisme outragé, elle est une manière de savoir de qui il s’agit, de qui on parle. Faire une différence entre les genres n’est pas faire une hiérarchie entre eux. C’est marquer une déférence plus qu’une différence. Cette règle de féminisation tente de se frayer un chemin, petit à petit. Les francophones qui lisent cet article auront sans doute du mal à imaginer que cette règle n’est pas appliquée par tous et qu’elle prend en France, une tournure politique et revendicative. Pourtant c’est le cas, même si les écrivaines, auteures, professeures, docteures ne le veulent pas, elles s’obligent à se déterminer au masculin, elles n’osent pas toujours parler au féminin de peur qu’on leur souligne la faute. On leur impose le fait de corriger elles-mêmes leurs interlocuteurs comme si cela restait encore un combat (un de plus) à mener.

S’il fallait conclure

La féminisation des termes est souvent comprise comme une « prise » de fonction(s), de position(s), comme s’il s’agissait d’une prise d’otage. Cette féminisation paraît injustifiée alors qu’il est question d’injustice. Cela paraît anodin alors qu’il s’agit d’un thème majeur celui de la reconnaissance, celle de deux genres différents dans l’égalité de ce qu’ils sont, dans leur existence propre : une garagiste, une maître de conférence, une garde des sceaux, une pilote, une plombière. L’ordinateur semble bien s’adapter finalement. Pour les mentalités d’arrière-garde c’est plus dur semble-t-il, peut-être parce que certains pensent encore que donner ou accorder quelque chose c’est se démunir, se départir ; la peur est une drôle de chose tout de même.

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