Il existe peu de Youtubers spécialisés dans la chronique de bande-dessinée. Comment est née votre chaîne Youtube « Funenbulles » ?
Il y a plusieurs raisons ! Je dirais que tout d’abord, c’est par goût pour l’analyse artistique : j’ai toujours aimé comprendre, détailler, décortiquer une œuvre autant que possible, pour la rendre plus parlante, en mettant des mots sur les émotions qu’on ressent d’abord instinctivement. En second point, c’est bien sûr parce que je suis un grand lecteur de BD ! Et enfin, je trouve ça tellement génial ce qui se passe sur YouTube, avec toutes ces chaînes de vulgarisations scientifiques, ou consacrées à la politique, au cinéma,… que je souhaitais contribuer un peu moi aussi, humblement. Ajoutez à cela quelques amis motivés par le projet et prêts à m’aider, et on est parti !
Vous avez un parcours atypique : classe préparatoire, école de commerce de Lyon… Comment avez-vous découvert la bande-dessinée ? Comment est-ce que ce parcours scolaire vous aide dans la mise en place et la promotion de votre chaîne YouTube ?
Ce n’est pas si atypique que ça, au contraire, beaucoup de gens font prépa puis école de commerce. Dans mes souvenirs, je crois avoir découvert la BD avec les albums de mes parents, et en particulier ceux de Rahan. J’aimais aussi beaucoup dessiner, et ça m’a naturellement mené à la BD. Il ne fait pas de doute que mon parcours scolaire m’aide pour Funenbulles. En prépa lettre, une bonne partie du travail consiste à analyser des œuvres littéraires : les éléments sont différents de la BD, puisqu’il s’agit d’allitérations plutôt que de cases, de figures de style plutôt que de mise en page, mais la méthode reste la même. Et quant aux études commerciales, je pense qu’elles m’ont aidé à définir le projet, notamment en évaluant un peu en amont le « marché » des booktubeurs (les chroniqueurs littéraires sur Youtube, ndlr) : ma priorité était clairement de me faire plaisir, mais il y avait aussi une opportunité, vu qu’il y a assez peu d’autres critiques de BD sur YouTube.
Comment choisissez-vous les bandes dessinées que vous chroniquez ? Travaillez-vous avec des maisons d’édition en tant que Youtubeur ?
Au début, je fonctionnais uniquement au coup de cœur : une BD me plaisait, j’en faisais une critique. Au bout d’un moment, j’ai un peu plus réfléchi à mes choix. Le plaisir de lire l’album reste bien sûr essentiel, mais à présent, je m’assure aussi que la BD ait une actualité, si elle est sélectionnée pour un festival par exemple. J’essaie aussi de choisir des one-shot plutôt que des séries, ou alors des séries pas trop longues, parce qu’il va falloir que je lise l’album une bonne quinzaine de fois pour faire une critique convaincante. Et non, je ne travaille pas avec des éditeurs : je ne souhaite pas, pour l’instant, réaliser de « commande », car mon critère principal reste mon attrait personnel pour un album.
Pouvez-vous nous expliquer le processus de création de vos vidéos ?
Une fois un album choisi, je le lis plusieurs fois pour être sûr que rien ne m’échappe, et je rédige le texte, de manière très précise. Etant assez peu à l’aise devant une caméra, je laisse très peu de place à l’improvisation ! Puis on passe au tournage : je réunis pour cela une petite équipe de gentils amis qui sont d’accords pour m’aider ! En ce moment, c’est Aniole, de la chaîne « Tout ça pour ça », qui filme, et je l’en remercie ! Il faut aussi quelqu’un pour le décor, un musicien, ainsi qu’une personne en charge des quelques images, comme les miniatures des vidéos. Le montage est aussi un long travail, car c’est à ce moment-là que j’inclus les extraits de planches, en essayant de les choisir au plus juste. Et puis il y a bien sûr tout un tas de petites corrections, comme la couleur, le son, voire les effets spéciaux, pour finalement arriver à la vidéo finale.
Vos chroniques sont fouillées avec un regard graphique et technique : comment avez-vous acquis un tel bagage ? Et à qui s’adresse votre chaîne ? Uniquement aux passionnés de BD ?
Je ne crois pas vraiment qu’il s’agisse d’un bagage, plutôt d’une technique : j’aime beaucoup la BD, et, c’est sûr, j’ai quelques connaissances, comme tout bédéphile, mais pas de là à faire preuve d’une réelle érudition. Ce que je maîtrise plus, en revanche – et ça clairement je le tiens des années de prépa à décortiquer des textes de littérature, de philo et de latin – c’est l’analyse précise d’un objet artistique. C’est en fait être à l’écoute de soi-même : qu’est-ce que je ressens à la lecture de cette planche ? Quel est l’effet, en moi, de ce changement de plan, ou de ce découpage dans la case ? Il faut écouter ces émotions, puis trouver leurs origines. Du coup, Funenbulles ne s’adresse pas uniquement aux passionnés de BD, mais à tous les lecteurs : l’idée est d’avoir une approche pertinente, mais pas inaccessible. Je fais aussi en sorte de choisir des BD qui, sans être nécessairement grand public, ne sont pas non plus totalement inconnues.
Vous réalisez deux émissions, »Funenbulles » et « Papierbulles », qui analyse une seule planche : pourquoi ce parti pris ?
Ces deux émissions sont complémentaires : Funenbulles analyse une œuvre, tandis que Papierbulles reprend l’une des planches de cette œuvre pour l’analyser plus en détail. Papierbulles me permet de me focaliser sur le plus petit élément narratif en BD (je ne dirais pas qu’une case soit le plus petit élément, car une case n’existe jamais qu’au côté d’une autre) : j’aime beaucoup aller au plus près, « dans le dur », pour véritablement décortiquer la BD dans le moment de sa lecture, et non pas seulement avec le recul de Funenbulles, qui considère l’œuvre dans son ensemble. On lit souvent si rapidement une planche, et elles sont aussi si souvent bien faites, qu’on ne réalise pas l’architecture sous-jacente : mon souhait, avec Papierbulles, est de faire jaillir cette construction.
Thibault Lasfargues, « Funenbulles » (cliquez ici)
Lire aussi dans nos Découvertes :
Louis Witter : « A mes yeux, le Liban se résume en un mot, contraste »
Mathilde Lavenne : « On est guidé par le mythe de Frankenstein »
Jessica Nelson : l’amour des manuscrits
Anaëlle Clot : « j’aimerais que les gens pénètrent dans l’œuvre et forment un tout avec elle »